Avec la crise, la fashion sphère a dû repenser son écosystème global via les outils numériques. Défilés online, création de sites ou relooking d’e-shops… Bienvenue dans une mode virtuelle bien réelle.
Le 8 juin, à midi pile, Chanel embarquait virtuellement les internautes dans une «Balade en Méditerranée». Nul avion à emprunter pour découvrir ce défilé croisière mis en scène en studio, dans un décor de bord de mer. Il suffisait de cliquer sur chanel.com. La maison Dior inaugure, elle aussi cette année, une croisière un peu particulière avec un véritable défilé (le 22 juillet à Lecce, dans les Pouilles, en Italie), mais sans public, à huis clos. L’événement sera retransmis en ligne, bien sûr, dans la droite lignée du phygital, cette nouvelle tendance qui allie monde physique et digital pour faire vivre aux consommateurs la meilleure expérience possible.
L’enjeu est similaire pour les maisons, qui se préparent à défiler hors podium et en images, à l’occasion de la première Haute Couture Online parisienne, du 6 au 8 juillet et de la première Paris Fashion Week Online, dédiée au prêt-à-porter masculin, du 9 au 13 juillet. Ces dernières seront suivie dans la foulée et sur le même principe par Milan.
En vidéo, le défilé Chanel automne-hiver 2020-2021
Garder le lien
Ces nouvelles façons de montrer la mode sont les déclinaisons des initiatives numériques qui se sont multipliées pendant le confinement. Cours de danse avec la maison Dior sur Instagram, tutos vidéo pour fabriquer un pouf de Manufact’Home Fondation d’entreprise Hermès, conseils pour créer des poupées en papier de la griffe Alexander McQueen diffusés sur YouTube, talks en ligne organisés par Prada pour aborder «la création dans le nouveau monde»… Leurs boutiques étant fermées, les griffes ont dû continuer à entretenir le lien avec leurs fans.
«Au début de la crise, on avait plus envie d’attention que de vêtements. Pour exister auprès des consommateurs, les marques ont donc dû évoluer, en passant d’un discours transactionnel à un discours relationnel, ce qui a engendré toutes sortes d’initiatives : recettes de cuisine, conseils de lecture…», décrypte Yann Rivoallan, cofondateur de The Other Store, spécialiste en stratégie digitale. En deux mois, les griffes sont ainsi devenues de bonnes amies virtuelles, aux petits soins pour leur entourage. Cette approche perdure. «On assiste maintenant à une mutation des sites de vente avec des fiches produits mieux rédigées, des directions artistiques plus précises. L’objectif est de faire de l’e-shop un média avec un contenu éditorial qui accompagne le visiteur», complète Yann Rivoallan.
Une méthode qui fait ses preuves
Un ton qu’avaient déjà assimilé les pure players de la mode, comme Balzac Paris. «Nous sommes depuis toujours à l’écoute de notre communauté. Dès la mi-mars, nous avons senti un besoin d’affect plus important et nous avons réorienté nos contenus de façon à offrir des bulles de liberté, en proposant des extraits de films, de la musique… Nous avons associé nos clientes à nos décisions, de la fermeture de l’entrepôt, mi-mars, à sa réouverture, fin avril. Elles n’ont pas cessé de nous soutenir.» Balzac Paris a ainsi assuré le succès de sa collection de mai, qui a généré un chiffre d’affaires en augmentation de 43 % par rapport à l’année précédente. Et à la clôture de l’exercice cet été, ce dernier devrait être en hausse de 30 % par rapport à 2019.
Tee-shirt Kate & William 100% coton, Balzac Paris x émoi émoi, 60 €. Disponible dès le 20 mars.
Tee-shirt Baby et Johnny 100% coton, Balzac Paris x émoi émoi, 60 €. Disponible dès le 20 mars.
Tee-shirt Lois et Clark 100% coton, Balzac Paris x émoi émoi, 60 €. Disponible dès le 20 mars.
Tee-shirt Tarzan & Jane 100% coton, Balzac Paris x émoi émoi, 60 €. Disponible dès le 20 mars.
Des résultats qui feront réfléchir les rares griffes qui n’ont pas encore pris le tournant digital, d’autant que, comme l’explique Yann Rivoallan, dans ce domaine, un plafond de verre a été brisé : «Pendant la crise, sur les sites que nous gérons, 20 % des gens ayant acheté en ligne l’ont fait pour la première fois. Et tout porte à croire qu’ils vont continuer», détaille-t-il. Le réflexe est désormais ancré et l’offre s’est élargie. «Nous avons questionné 250 de nos exposants de boutiques internationales sur leur digitalisation, détaille Boris Provost, président de Tranoï, salon de mode qui travaille d’ailleurs sur une plateforme B to B en ligne. Ils ont quasiment tous franchi le pas. Désormais, 75 % de ces boutiques font de la vente online, et 50 % ont revu ou créé leur site pendant le confinement. Le Web a été un moyen de pallier l’absence d’achats physique, et il va le rester quelque temps, la boutique demeurant un lieu anxiogène.»
Le vintage rejoint la danse
Entrées au compte-gouttes, masques sur le nez, cabines condamnées… Il faut, en effet, être motivé pour retourner en magasin ! Pourquoi se déplacer quand l’expérience client n’est plus de mise ? Gauthier Borsarello, spécialiste du vintage, a anticipé ce phénomène en lançant son e-shop pendant le confinement. «Le digital est le futur de la mode. Ce n’est sans doute pas la formule idéale pour les vêtements de seconde main basiques, qui ont souvent des coupes bizarres et qui, sans essayage, peuvent décevoir, mais, pour les pièces vintage haut de gamme comme les miennes, l’achat en ligne est envisageable, car elles intéressent une clientèle d’amateurs pointus et habitués à ces produits. J’avais un stock qui dormait, la boutique fermée, mes missions de consulting en stand-by, j’ai pensé ce site comme une galerie plutôt que comme un magasin. On y accède avec un code, et je n’y propose qu’une sélection limitée. Pour être efficace, un e-shop doit être parfaitement positionné. Internet floute tout, atténue les impressions. Les partis pris de style doivent être très forts pour qu’ils soient compris.»
Dans ce tsunami digital, c’est également tout l’écosystème de la mode qui se virtualise, à l’image des showrooms et des salons, qui réfléchissent à de nouvelles options dématérialisées. Dans le «monde d’après», chaque maillon de cette chaîne planche sur des formules innovantes. En somme, sur de nouvelles façons de crever l’écran…
Une pollution numérique ?
Le tournant numérique dans la mode pourrait-il accentuer la pollution digitale ? La réponse d’Inès Leonarduzzi, CEO de Digital for the Planet : «L’essentiel de la pollution digitale est engendré par la fabrication et le recyclage des appareils numériques. On estime à 25 % la pollution liée à leur usage. Acheter ses vêtements en ligne est un acte qui pollue, certes, mais au même titre que prendre sa voiture pour aller dans une boutique. Le tournant qu’emprunte la mode en matière d’e-commerce ne doit pas nous alarmer. En revanche, il faut éduquer les marques et les consommateurs. Les premières doivent être plus attentives à l’impact de leur logistique – d’où partent les produits, où ils vont, comment ils sont transportés… Il faut aussi qu’elles gardent le plus longtemps possible leurs équipements informatiques. Les seconds doivent être vigilants quant au processus de livraison en privilégiant, par exemple, le vélo. Ils doivent évoluer vers la sobriété en évitant les achats impulsifs en ligne, car le numérique catalyse les pulsions, avec, notamment, l’enregistrement de la carte de crédit, qui facilite le paiement.»
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