L’actrice a choisi Gabrielle Chanel pour la nouvelle collection Elle parle d’elle sur Canal+ Docs. Un documentaire qui déroule l’itinéraire de ces deux femmes libres.
À 27 ans, Carole Bouquet devenait égérie Chanel pour l’incontournable
Numéro 5, scellant à jamais son histoire avec la maison dont elle admire le savoir-faire, et surtout la fondatrice. Coco s’est d’ailleurs immédiatement imposée quand Canal+ a proposé à la comédienne de choisir une femme inspirante pour sa nouvelle collection documentaire Elle parle d’elle. «Au cinéma, j’ai eu beaucoup de noms, mais il y a une femme que j’aurais aimé être : Gabrielle», annonce l’actrice dans les premières minutes du documentaire, avant que ne se déroulent en parallèle son parcours et celui de la créatrice.
Si Carole Bouquet n’aime pas parler d’elle, l’interprète culte de Cet obscur objet de désir, Trop belle pour toi, Lucie Aubrac, ou récemment En thérapie, se dévoile généreusement dans ce documentaire, Carole Bouquet raconte, évoquant les temps forts de sa filmographie, mais aussi sa maternité, son rapport à la féminité, son enfance, son engagement ou les hommes de sa vie, qui l’auront «protégée, émerveillée… et aussi enquiquinée», de son père au producteur Jean-Pierre Rassam, en passant par Gérard Depardieu. «Il faut aimer les femmes pour les habiller», dit-elle sur Gabrielle Chanel dans le film. Il faut aussi les aimer pour les incarner avec la justesse dont cette grande comédienne libre et passionnée a toujours fait preuve.
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Madame Figaro. – Pourquoi avoir précisément choisi Gabrielle Chanel pour ce documentaire ?
Alix Armour. – Pour son envie féroce d’indépendance. Avec ses créations, elle s’est émancipée mais a aussi libéré les femmes, en supprimant notamment les corsets, ces prisons physiques et mentales qui les entravaient. Comment en effet pouvait-on appréhender le monde et trouver sa place quand, le souffle coupé, on ne pouvait ni marcher, ni parler, ni même penser ? Nous devons beaucoup à Chanel, comme à toutes celles qui se sont battues pour les femmes. Je pense à Georgia O’Keeffe, Louise Bourgeois, Clara Schumann, Madame de Staël, Virginia Woolf…
Elle a créé un uniforme pour les femmes. Il y a longtemps, vous avez choisi le vôtre : chemise blanche et pantalon. Pourquoi ce choix ?
C’est l’héritage de mon éducation : chez les sœurs, et avec mon père qui portait toujours la même panoplie. Ma fantaisie s’exprime dans les bijoux baroques qui marquent tout autant une personnalité. Quand je «m’habille», c’est de la mise en scène pour un événement, parfois pour me faire plaisir. Mais j’ai alors l’impression de jouer, comme une enfant qui se déguise.
Ce plaisir du jeu, vous le trouviez d’ailleurs avec vos enfants quand ils étaient petits
Regarder le monde avec leurs yeux me rendait tellement heureuse. Je n’en ai pas perdu une miette, et je voulais que chaque instant passé ensemble soit particulier. J’étais protectrice, autoritaire parfois, mais je voulais surtout partager avec eux, quitte à en faire trop parfois. Je me suis quand même retrouvée à prendre des cours de philologie avec mon fils de 12 ans… Quoi qu’il en soit, j’ai appris la vie grâce à mes fils.
Dans votre vie, vous êtes-vous déjà sentie marginalisée parce que vous étiez une femme ?
J’ai eu la chance de ne pas subir de violence, mais je n’ai pas échappé aux coups tordus et aux comportements machistes. Paradoxalement, d’une certaine façon, mon physique de madone dont je ne savais que faire me protégeait aussi. Il impressionnait et éloignait les hommes. Cela m’arrangeait car j’étais excessivement timide. Ma myopie m’a aussi aidée. Je ne mettais jamais mes lunettes pour ne pas voir ce qui m’entourait.
Êtes-vous devenue actrice pour vaincre votre timidité ?
Franchement, je n’en ai aucune idée. Je ne sais toujours pas ce qui m’a pris. À un dîner, j’ai répondu que je voulais être actrice, sans y avoir jamais pensé auparavant. J’ai passé le casting de Buñuel, j’ai été prise, je suis devenue indépendante – ce qui m’importait énormément -, et je ne me suis plus posé de questions… Si j’avais rencontré un chef opérateur ou un ingénieur du son, je serais allée vers ces métiers, car la seule chose que je savais, c’est que j’aimais le cinéma. Jouer était même une torture au début. Tous les jours, sur Cet obscur objet de désir, je me demandais pourquoi on ne me virait pas. J’avais tellement peur que j’ai vécu le tournage comme un trou noir. À cause de ma bobine, on attendait quelque chose de moi dont je ne savais que faire. L’école de la séduction n’a jamais été la mienne.
C’est-à-dire ?
J’ai été élevée par un homme qui passait trois minutes dans la salle de bains avant de partir travailler. Mon modèle, c’était ce papa qui rentrait dîner avec nous et n’invitait jamais de femme ou d’amis. Je ne pensais pas «hommes-femmes» quand j’étais petite mais «adultes-travail». Pendant longtemps, les seules femmes que je fréquentais étaient les religieuses de la pension. Et encore, j’ai eu de la chance qu’elles soient féministes : elles ne nous parlaient pas mariage, mais nous demandaient si nous voulions être chirurgienne ou avocate.
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L’un de vos points communs avec Chanel, c’est l’humour. Vous a-t-il permis de briser la glace, vous qui impressionniez tant ?
Pour être honnête, j’ignorais que j’en avais avant de rencontrer Michel Blanc, Josiane Balasko et d’autres amis avec lesquels je riais énormément. C’est d’ailleurs Michel qui m’a proposé ma première comédie avec Grosse Fatigue : il savait que je ne place rien plus haut que le rire, dans la vie comme au cinéma.
Vous dites vous être sentie actrice sur le tournage de Trop belle pour toi. Pourquoi?
Ce film a été un cadeau : je venais de décrocher le contrat Chanel, mais je ne tournais pas depuis deux ans quand Bertrand Blier m’a appelée. Sur son plateau, c’est la première fois que je suivais mon instinct, mes envies. J’étais gaie comme un pinson, contrairement aux autres qui étaient angoissés : Bertrand pour son film, Gérard (Depardieu, NDLR) pour son fils… Mais pour moi, ce film, c’était mon Épiphanie !
Anna Mouglalis assiste au défilé Chanel dans un tailleur-jupe noir en tweed.
L’actrice Carole Bouquet porte un tailleur associé à une chemise blanche et une ceinture chaîne.
Le mannequin Caroline de Maigret porte une combinaison pantalon à manches longues sauge.
Iman Perez et Zoé Adjani au défilé Chanel.
Contrairement à James Bond, j’imagine ?
Je me suis tellement ennuyée ! J’ai accepté parce qu’il fallait que je gagne ma vie et parce que les trois hommes présents au moment de l’appel, notamment mon compagnon Jean-Pierre Rassam, étaient très amusés par l’idée. Mais c’est moi qui me suis retrouvée à faire la gourde sur un plateau, en maillot de bain, devant un bocal ! Je n’ai même pas profité de la tournée mondiale, car je ne voulais pas que cette expérience me condamne aux films avec des cascades ou des dinosaures.
Avez-vous des regrets dans votre carrière ?
Ne pas avoir été actrice plus tôt pour tourner avec Fellini, Visconti, Pasolini, Rossellini, Ferreri, De Sica…, tous les maîtres italiens dont je ne me lasse pas. Fassbinder aussi qui était mon graal absolu. Mais j’ai déjà eu beaucoup de chance, notamment celle de faire le dernier film de Buñuel. Je suis très attachée à l’histoire du cinéma, ce qui peut d’ailleurs me rendre impatiente avec certains jeunes metteurs en scène qui ne la connaissent pas.
Quelle sera la suite pour vous ?
J’ai une légère obsession pour Racine, et je répète Bérénice que je jouerai à nouveau en mai, à Nice puis à Paris. J’ai toujours aimé jouer des rôles de mon âge…
Est-ce plus difficile de trouver des rôles les années passant ?
Un peu, mais la palette s’élargit. À mes débuts, on m’a estampillée «obscur objet de désir», alors que rien ne me correspondait dans ce titre. Et puis, je suis devenue au cinéma la maîtresse, puis la femme trompée, comme si les réalisateurs réglaient leur compte avec les femmes à travers moi. Ensuite, j’ai à mon tour été la femme adultère, le monstre… Leur imaginaire grandissait à mesure que je vieillissais. Et, alors qu’à 20 ou 40 ans je ne savais que faire des compliments, quand on me dit que je suis jolie à 64 ans, je prends… le temps que ça dure.
Vous verra-t-on dans la saison 2 de la sérieEn thérapie ?
Un peu, et j’en suis ravie. J’aime cette série dont le succès nous a dépassés. Certes, il y avait le confinement, un sujet fort avec le Bataclan comme point de départ, mais de là à expliquer le phénomène… Cela dit sans doute quelque chose de nous, peut-être que nous avions alors besoin que quelqu’un nous entende et nous écoute.
Quelle est selon vous la plus grande qualité d’un acteur ?
La santé morale et physique pour supporter les remous et tenir sur la durée.
Elle parle d’elle. Carole Bouquet raconte Coco Chanel, le 13 décembre, à 20h55, sur Canal+ Docs, puis sur MyCanal.
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