• Se libérer de nos chaînes numériques pour se reconnecter à soi
  • Au bord du burn-out digital
  • Réactiver la mémoire sensorielle du corps
  • Couper complètement les réseaux sociaux

Jadis, les nuits de Juliette étaient des sanctuaires : du calme, de la pénombre. Et surtout pas d’écran pour venir troubler son sommeil. Mais depuis plusieurs mois, quelque chose a changé. Petit à petit, elle a laissé le portable entrer dans la chambre.

« Je n’arrive plus à me passer de ma session de réseaux sociaux avant le coucher, raconte la quadra, cheffe de projet dans une agence de communication. Je ne lis plus, je me laisse entraîner, passant d’un post à l’autre. Un coup d’Insta pour suivre la vie inspirante de mon réseau, un peu de Twitter parce qu’il faut être en prise avec l’actu, quelques applis de news aussi, pour mon lot de buzz et de polémiques, et même un petit passage par TikTok et ses vidéos satisfaisantes pour checker le compte de mon fils préado… C’est pathétique ! » Résultat : tout s’oppose à la nuit.

Se libérer de nos chaînes numériques pour se reconnecter à soi

Juliette éprouve des difficultés d’endormissement, une fatigue persistante. Et un sentiment de dégoût face au temps perdu. Mais comme rien n’est jamais complètement foutu, la voici qui ressent aussi la féroce envie de s’extirper de tout cela pour renouer avec la vraie vie.

Son objectif ? « Profiter de l’été pour remettre les choses à plat et savourer sans filtre mes jours et mes nuits », confie-t-elle. « Le phénomène est classique, décrypte Géraldyne Prévot-Gigant, psychopraticienne et auteure notamment de La force de la rencontre (Ed. Odile Jacob) . Comme pour tous les mécanismes d’addiction, on peut s’en vouloir d’avoir trop consommé, ressentir un malaise intérieur, de l’anxiété, de la culpabilité… La prise de conscience est le début du chemin. »

On dégaine désormais son portable à peu près deux cents fois par jour… Et si ces outils technologiques ont du bon […] ils ont aussi exacerbé des difficultés.

À la décharge de Juliette, depuis le Covid, les confinements successifs et l’avènement du télétravail, nos usages numériques ont explosé. « Ces crises sont venues amplifier un phénomène déjà existant, explique Michael Stora, psychologue et psychanalyste, expert des mondes numériques et auteur, entre autres, de Réseaux (a)sociaux ! (Ed. Larousse) . On dégaine désormais son portable à peu près deux cents fois par jour… Et si ces outils technologiques ont du bon, qu’ils nous permettent de rester connectés, d’apprendre, de travailler à distance, ils ont aussi exacerbé des difficultés, créant notamment chez certains une phobie sociale plus ou moins sévère. Une incapacité à se reconnecter au réel ».

Forts de ce constat, nombreux·ses sont celles et ceux, à l’instar de Juliette, qui souhaitent tenter de se libérer de leurs chaînes numériques. Et qui veulent retrouver le goût de la vie, sans rien qui ne lui fasse écran justement, les cinq sens en éveil. Un peu cliché ? « C’est une nécessité absolue, souligne Michael Stora. Une question de santé publique, même ! »

L’été et le temps des vacances apparaissent comme le moment idéal pour se lancer dans cette reprise en main, cette entreprise de re-connexion avec les autres et avec soi. S’offrir du temps pour rêver, mettre son corps en mouvement et son cerveau dans une forme de repos, loin des shoots de dopamine générés par le moindre like, la moindre interaction : voici le programme idéal.

Au bord du burn-out digital

La tâche, pourtant, est loin d’être aisée car la vie digitale nous appelle sans relâche. Réseaux sociaux aux algorithmes ensorcelants conçus pour nous rendre accros, promesses d’un monde-métavers comme un jardin d’éden dans lequel pourraient se déployer nos avatars de rêve et tout un tas de nouveaux business auxquels on serait bien idiots de ne pas s’intéresser, réunions Teams et cours sur Zoom pour nous permettre de rester sans cesse dans la course… les sirènes numériques nous chantent leurs antiennes de lait et de miel. Mais le réveil est parfois comme une bonne vieille gueule de bois à la piquette.

Marie, 39 ans, confirme : « Je constate que j’ai de plus en plus de mal à me satisfaire du réel. Ce qui se passe online est souvent plus important pour moi. Un dîner un peu mou ? Je trouve un prétexte pour regarder mon portable. Une session plage et un livre moyen ? Je file sur Insta… » À deux doigts d’un burn-out digital, elle aussi a souhaité (ré)agir.

En août, elle partira « avec un dumbphone, ces portables à touches qui n’ont pas Internet. J’ai d’ailleurs acheté un réveil et ressorti ma vieille montre. Mon mari et ma fille de 13 ans ont accepté de jouer le jeu. On va faire de la randonnée, cuisiner, voir des potes, regarder des films. Le tout sans Internet, comme si on était en 1998. Je ne garantis pas le succès de ces vacances, mais on aura essayé », rit-elle, un peu jaune, mais décidée à tenir bon.

Réactiver la mémoire sensorielle du corps

“C’est vrai, l’été est le bon moment pour une reprise en main », constate Coco Brac de la Perrière, coach en détox digitale. À condition, poursuit-elle, « d’accepter de sortir du déni sur nos pratiques numériques et nos addictions, de prendre conscience ».

Première étape, donc : faire un bilan. « Il faut de l’autodiscipline pour entamer ce processus, explique Géraldyne Prévot Gigant. Regarder en lucidité ses temps de connexion sur chaque application, la fréquence à laquelle on saisit le portable, mais aussi être très attentif à la qualité de son sommeil. Tester et voir comment on se sent quand on laisse son téléphone pour partir en balade ou hors de la chambre, le soir… « 

L’enjeu, alors, est de passer du célèbre “Fomo” (Fear of missing out, ou la peur de rater quelque chose) au “Jomo”, la joie de la mise en retrait.

On est parfois surpris, assure la psychologue, de l’effet de manque suscité. « L’enjeu, alors, est de passer du célèbre “Fomo” (Fear of missing out, ou la peur de rater quelque chose) au “Jomo”, la joie de la mise en retrait », explique Coco Brac de la Perrière.

Objectif ? Un été de plaisirs. Une nouvelle écoute de son corps. « Celui-ci a une mémoire sensorielle très puissante, confirme Michael Stora. Il faut la réactiver. »

Pour cela, s’accordent les expert·es, rien de mieux qu’une immersion dans la nature. Observer les arbres et les fleurs, écouter le ressac de la mer ou le lent écoulement des eaux dans le lit de la rivière, plonger dans les étoiles, s’offrir des contemplations de cieux intenses… Dans cette nature splendide, « prendre le temps de la rêverie, laisser aller ses pensées », recommande Michael Stora. Ce que, il faut bien avouer, nous avons peu d’occasions de faire dans le rythme trépidant de l’année.

Et bouger son corps. « Mais attention, le danger de rechute guette, donc il faut absolument privilégier des sports sans possibilité de se saisir du téléphone« , précise Géraldyne Prévot-Gigant. De la marche, oui, mais avec bâtons « pour ne pas céder à la tentation du selfie ». De la nage, bien sûr. Du yoga, évidemment, pour se mettre hors tension. 

Couper complètement les réseaux sociaux

Les plus motivées couperont complètement les réseaux sociaux, pour sortir de « la tyrannie de l’idéal », dixit Michael Stora, ce mal qui nous ronge lorsque nous nous comparons aux autres par clichés instagram interposés.

« L’an dernier, j’ai passé des congés horribles à regarder les vacances de rêve des autres et à me lamenter sur ma maison de location décevante, mes enfants que je trouvais ingérables et la météo pas au beau fixe… Je me suis juré de ne pas revivre ça, témoigne Aurélie. Donc cet été, pas d’Insta ni de Facebook. Je vais tenter d’être dans l’instant présent, avec mes proches, sans me projeter dans cet ailleurs un peu factice qui me déprime. »

Une belle ambition qu’il faudrait, si possible, continuer à faire vivre à la rentrée. Malgré les tombereaux de mails qui ne manqueront pas d’être au rendez-vous, les visioconférences, les groupes WhatsApp qui tinteront, les notifications et les posts incessants…

Et si on tentait de se préserver un espace pour soi ? Un endroit de douceur et de lenteur, d’écoute et de silence ? À méditer dès cet été.

Article publié dans le magazine Marie Claire n°840, daté septembre – paru en août 2022

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