- Pression financière, cotisations sociales et cadence infernale
- “Comme on meurt plus vite que les autres, on est super rentable !”
- La retraite à 64 ans ? Une perspective inenvisageable
- La peur de commettre l’irréparable
78 ans. C’est l’espérance de vie d’une infirmière selon la caisse de retraite CNRACL, soit sept années de moins que le reste des Françaises qui, en moyenne, vivent jusqu’à 85 ans.
De la même manière, 20% des infirmières partent en retraite avec un taux d’invalidité. Des chiffres édifiants qui, avec le vote du passage de l’âge légal du départ en retraite à 64 ans, commencent à peser lourd dans la balance.
“Tout au long de notre carrière, puis lors du Covid, nous nous sommes donnés sans compter, aujourd’hui la nation doit reconnaître notre engagement ! », clame dans une tribune en ligne, Thierry Lamouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC), qui représente des professionnels de l’hôpital, des cliniques et des entreprises. « Nous réclamons une « reconnaissance de la pénibilité de la profession, dans le public comme dans le privé”, poursuit-il.
Et pour cause, celles qui – dans le secteur public – pouvaient jusqu’en 2010 partir en retraite dès 55 ans sont soumises au quotidien à des conditions de travail difficiles.
Manque d’effectifs, horaires décalées, journées (ou nuits) à rallonge, expositions à des produits toxiques, manutention des malades, stress de faire des erreurs et solitude liée à la surcharge de travail, agressivité croissante des patients soumis à des temps d’attente toujours plus long : la liste est longue, d’autant plus qu’elle s’ajoute à des salaires qui flirtent plus que jamais avec le revenu minimum et un âge de départ à la retraite qui, pour les infirmières libérales, peut aller parfois jusqu’à 67 ans pour qu’elle soit à taux plein.
« 10% des soignants sont en maladie, épuisement, dépression, burnout« , rappelle ici Thierry Lamouroux.
Résultat ? Dans la rue et sur les réseaux sociaux, la colère gronde, les infirmières multipliant les initiatives pour faire entendre leurs revendications, que ce soit à l’aide de mèmes humoristiques, de dessins de presse ou de vidéo mettant en scène leur quotidien.
“Nous avons subi bien trop longtemps sans rien dire, « la tête dans le guidon ». Mais maintenant les #infirmiersliberauxencolere ne vont plus se taire!! Alors entendez nous!”, retweete Floriane, infirmière libérale.
Pression financière, cotisations sociales et cadence infernale
Contactée par téléphone, la jeune femme de 32 ans basée dans un village de la Haute-Vienne (87) de 300 habitants nous raconte un quotidien placé sous le signe de la pénibilité.
“On prend le relais des familles pour les soulager et améliorer la vie de personnes en état de dépendance. Du coup, on s’occupe des soins de personnes grabataires, la prise de médicaments de personnes qui ne sont pas en mesure de le faire eux-mêmes, on monte et descend de notre voiture 35 fois par jour… J’invite n’importe qui doutant de la pénibilité de ce métier à venir me suivre une semaine dans mes tournées », résume celle qui est également sapeur-pompier volontaire dans son village depuis 2007.
« Et encore, j’ai envie de dire que la pénibilité physique, on s’y attendait en choisissant ce métier. Ce qui est difficile c’est la pression financière qui pèse aussi bien sur notre santé psychologique que sur la prise en charge de nos patients. On doit être efficace pour eux… mais aussi pour nous. Du coup, on augmente la cadence et on enchaine les visites à toute allure.”
J’aime me donner pour les autres, me dévouer à mon métier mais les conditions de non reconnaissance ont de quoi vous dégouter.
Non-revalorisation de leurs actes médicaux et de leurs déplacements, augmentation du prix de l’essence et des charges de l’URSSAF, inflation généralisée : les infirmières libérales peinent à boucler les fins de mois quand elles ne sont pas tout simplement dans l’impossibilité de se dégager un salaire. « Par exemple, aller effectuer une prise de sang à domicile, ça nous revient à 2€ net, une fois les charges et frais déduits », explique-t-elle.
« Avec ça, il faut nourrir les enfants, payer le prêt immobilier… et on doit se priver sur les dépenses personnelles », énumère-t-elle, précisant qu’elle et son mari ne peuvent pas se permettre de partir en vacances avec leurs enfants.
« J’aime me donner pour les autres, me dévouer à mon métier mais les conditions de non reconnaissance ont de quoi vous dégouter », confie celle qui a développé depuis peu un eczéma face aux montées de stress. La retraite ? Un horizon lointain qui lui parait presque surréaliste. « J’espère être en capacité mais j’ai du mal à me voir faire ça à 67 ans ».
“Comme on meurt plus vite que les autres, on est super rentable !”
Un sentiment que partage Laurianne, 37 ans, infirmière libérale originaire du Tarn et membre du collectif asyndical “Infirmiers Libéraux en colère” qui regroupe près de 16 000 participants.
Ancienne infirmière hospitalière, elle fuit le secteur public suite à la crise du Covid et d’un burn-out qui l’a complètement traumatisée de ce métier. En quête de reconversion, elle se lance tout de même dans une activité d’infirmière libérale, souhaitant laisser une dernière chance à ce métier qu’elle aime tant. En vain.
« Le libéral, c’est presque pire que travailler à l’hôpital car on devient chef d’entreprise en plus de son métier, avec toutes les responsabilités que ca comporte. On a toutes les charges à payer, on a pas d’arrêt maladie ou presque, on s’impose des journées de 14h pour tenter de gagner décemment notre vie et, comme on est seule pour pratiquer nos actes médicaux, notre pénibilité est multipliée par deux avec pour ma part, plus de tendinites aux poignets et d’intenses maux de dos », résume-t-elle, tout en soulignant comme Florianne l’équation impossible de charges qui augmentent et de revenus qui ne sont pas revus à la hausse. « Du coup, au niveau de la charge mentale, on pense toujours à l’argent”.
Nomenclature tarifaire sans queue ni tête, politique fiscale ultra-répressive, intervention d’urgence non-remunérée lorsqu’elle retrouve à leur arrivée un patient écroulé : l’infirmière dénonce une administration française qui leur rend la vie impossible, avec au terme de leur carrière une retraite qui dépasse rarement les 1100 euros.
“Et comme on meurt plus vite que les autres, on est super rentable pour notre caisse de retraite. Ils sont tellement excédentaires qu’ils ont 10 ans d’avance sur leur financement”, ironise-t-elle, pointant que ses collègues plus âgées sont déjà usées, cassées par leur travail. “On demande que la pénibilité soit reconnue, de prendre notre retraite à 62 ans et que les pensions de retraite soit à la hauteur des cotisations”, revendique-t-elle.
La retraite à 64 ans ? Une perspective inenvisageable
Travailler jusqu’à 64 ans ? Une perspective inenvisageable pour Ana, 61 ans, auxiliaire de vie depuis près de 25 ans.
“Je roule jusqu’à 50 km par jour, je vois environ 6 personnes, parfois 3 fois par jour. Et s’il faut rester la nuit parce que le patient ne se sent pas bien, je reste passer la nuit, je ne me pose pas la question. Même chose s’il y a un problème pendant le week-end, ou qu’il faut faire des courses, je passe, même si je ne suis pas rémunérée”, raconte-t-elle.
Du lever du lit le matin au coucher du soir en passant par la préparation des repas, l’aide à l’habillement, la prise de médicaments ou encore les échanges avec le médecin traitant lors de sa visite, la sexagénaire qui commence à 8h30 et finit à 20h accompagne les personnes âgées à travers les différentes étapes de leur journée.
Des tâches qu’on pourrait croire anodines mais dont la pénibilité physique et psychologique est pourtant bel et bien avérée.
“Déplacer, aider les personnes âgées dans tous leurs mouvements, c’est très fatigant. Il faut parfois les porter, les lever, se mettre à genoux pour les chausser… d’autant que certains n’ont plus d’équilibre et ne peuvent se reposer que sur moi”, confie-t-elle.
Jamais je ne pourrai songer à partir à la retraite dans deux ans si je devais la passer en France.
“Et quand je vois l’état de santé de certains de mes patients se dégrader ou que l’un d’entre eux vient à décéder, c’est toujours très dur moralement. C’est comme si c’était quelqu’un de ma famille qui mourrait », confie celle qui revendique un “amour des gens sans limite”.
“J’aime mon métier, j’aime venir en aide et faire du bien à ceux qui en ont besoin », clame-t-elle avec une sincérité émouvante.
Quant à son avenir, elle le prépare depuis son arrivée en France au début des années 90. Heures de ménages, travaux de couture, cuisine à domicile pour des réceptions privées : elle n’a cessé de cumuler les petits jobs sur son (peu de) temps libre, pour ainsi s’assurer une retraite paisible au Portugal, son pays d’origine. “Jamais je ne pourrai songer à partir à la retraite dans deux ans si je devais la passer en France”, assure celle qui a depuis acquis la double nationalité.
La peur de commettre l’irréparable
La retraite ? Julie*, 36 ans n’y pense même pas. “J’ai aucune idée de ce que je ferai à 60 ans ! Mais une chose est sûre : je ferai un métier différent.”
Aide-soignante dans une maison de retraite à ses débuts, elle devient par la suite auxiliaire de puériculture pendant une dizaine d’années, avant de faire un burn-out et un abandon de poste.
« Que ce soit dans le privé ou dans le public, il y a un manque de personnel effarant qui fait que l’on doit subir au quotidien. Tu sais jamais comment va se dérouler la journée, c’est complètement la pagaille. On n’est pas écouté, pas soutenu et sans cesse pressurisé avec des questions de rendements, des objectifs de profits qui, dans le fond, n’ont rien à voir avec notre métier », raconte celle qui a noté une dégradation sensible de ses conditions de travail en moins d’une décennie.
“Le bien-être, des employées comme des enfants, passait clairement après. C’est vraiment marche ou crève. Un jour, je me suis retrouvée toute seule avec une douzaine de bébés à gérer pendant deux heures. Forcément, il y a eu des morsures, des cris, des pleurs… C’était juste horrible !”, poursuit-elle, décrivant un stress épuisant qui, malgré l’esprit de solidarité de ses collègues elles-mêmes surchargées de travail, a failli un jour la conduire au drame.
“Un jour, un enfant n’arrêtait pas d’essayer de mordre ses petits camarades. Excédée, je l’ai réprimandé sèchement en lui tenant la mâchoire. Je ne me suis pas reconnue. J’ai donc décidé de partir au plus vite. C’était ça ou je faisais une connerie”, se souvient-elle, mentionnant également des lombalgies à répétition qui l’ont conduite à des arrêts de travail de plusieurs jours mais aussi la fatigue d’horaires à rallonge lié au manque de personnel et un trajet en transports en commun éprouvant.
“Je ne voyais même plus ma fille qui était encore toute petite”.
Aujourd’hui salariée d’un foyer d’aide aux personnes âgées, elle poursuit sa carrière au service des autres tout en sachant pertinemment qu’elle ne pourra pas le faire toute sa vie. “Je suis certes encore jeune, mais c’est très physique. Et avec mes problèmes de dos, je sais que je ne vais pas faire long feu”, souligne celle qui ne se fait pas d’illusions sur la possibilité même de partir un jour en retraite.
*Le prénom a été modifié sur demande.
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