La mini-série Unorthodox, disponible sur Netflix, raconte l’histoire d’Esther Shapiro, jeune femme de 19 ans qui décide de s’enfuir de la communauté juive ultra-orthodoxe dans laquelle elle a toujours vécu, à Williamsburg, l’un des berceaux post-Seconde Guerre Mondiale de cette frange radicale de la religion juive, à Brooklyn, dans l’Est de New York. Un sujet déjà abordé par Netflix dans son documentaire original One Of Us (2017), donnant la parole à des hommes et femmes ayant fui les ultra-orthodoxes juifs.
Les quatre épisodes mélangent son passé récent au sein de la communauté, et son arrivée hasardeuse à Berlin, où elle rencontre de jeunes musiciens avec lesquels elle se lie d’amitié. L’entremêlement de ces deux temporalités exacerbe les contraintes immenses de la vie qu’elle a fui. Mais cette vie la poursuit, alors que son époux (Amit Rahav) et un de ses cousins (Jeff Wilbush) partent à sa recherche, jouant avec le stress des téléspectateurs en fil rouge de la série. Esther est jouée par Shira Haas, actrice israélienne de 24 ans, qui signe une prestation vibrante et très incarnée.
Son histoire est inspirée de celle de Deborah Feldman, qui l’avait racontée dans le best-seller Unorthodox : the scandalous rejection of my Hassidic roots (2012), peu vu en France mais qui a ouvert les yeux sur les pratiques des communautés hassidiques aux États-Unis. Certains ont aussi pu l’apercevoir dans l’excellent documentaire Female Pleasure. Elle a par ailleurs participé à la création et l’écriture de cette mini-série Netflix.
Être une femme chez les ultra-orthodoxes juifs
Unorthodox montre une vraie fuite, puisque Esther Shapiro part sans affaires à bord d’un avion sans retour pour Berlin, en Allemagne. En quatre épisodes, cette mini-série réalisée par Anna Winger donne un aperçu sociologique glaçant de cette communauté discrète, dont l’existence même est censée être la seule raison d’être de ses membres.
Vivant en symbiose, le quotidien des juifs ultra-orthodoxes est ritualisé à l’extrême, dévoué à la famille et la religion. Les enfants sont éduqués dans des écoles internes, les mariages sont arrangés, faits très jeunes.
Celui d’Esther Shapiro est montré avec une précision et une proximité qui happent. L’oeil se perd dans les détails des tenues, et la ferveur des deux familles réunies est aussi contagieuse que savamment inquiétante. C’est l’un des points culminants de la série, qui transmet à lui seul l’institutionnalisation totale de leurs croyances comme vecteurs d’identité et d’intégration.
Le but des ultra-orthodoxes, qui les soude, est de remplacer les millions de juifs terrassés pendant l’Holocauste. Dès lors, les femmes sont assignées à résidence et ont une fonction : enfanter le plus possible, dès les premiers mois de mariage. Quand elles ne sont pas à la maison avec leur époux, dormant dans un lit séparé, elles se retrouvent entre elles, échangeant des ragots sur la communauté.
Elles ne peuvent pas exercer de métier, et ont droit à peu de loisirs, même chanter ou jouer de la musique. Elles doivent se raser la tête, car les cheveux sont vus comme impurs, et porter perruques et foulards. Elles s’habillent de manière modeste, dans des tons sombres, et ne se découvrent jamais.
Ces nombreuses règles s’accompagnent d’une surveillance étroite. Chacun jauge et juge l’autre, et inversement. Impossible d’échapper à ces regards. Écarts ou manquements sont rapportés, déformés, reprochés, davantage encore pour les femmes, qui doivent être d’irréprochables reproductrices, épouses et mères. La communauté fonctionne comme un panoptique, c’est aussi à ça qu’elle doit sa survie, et s’apparente à une secte.
Très vite, c’est cette pression qu’Esther ne supporte plus, sa belle-mère surveillant ses moindres faits et gestes, jusqu’à son intimité. Après avoir voulu s’emparer de toutes ces traditions, muée par l’envie de bien faire et le poids de leur histoire entraînant la sensation d’une insoutenable responsabilité individuelle, la jeune femme commence à s’effondrer.
En cela, l’épisode trois, qui montre ses difficultés à tomber enceinte, sa réalisation de la négation de son plaisir et de son consentement, est très difficile et poignant, mais révélateur de ce fonctionnement malsain et injuste.
Désapprendre et réapprendre
Unorthodox est par ailleurs la première série Netflix tournée en yiddish, dialecte allemand parlé par les populations juives d’Europe centrale et orientale à partir du Moyen Âge. Même si, à Berlin, Esther doit bien sûr parler anglais.
Une très bonne initiative, car cela montre davantage le décalage de cette communauté, repliée sur elle-même, non pas par hostilité, mais par peur. C’est la peur de l’Holocauste, et de l’antisémitisme de manière générale, dont se servent les rabbins ultra-orthodoxes pour exhorter leurs fidèles à rester entre eux. L’extérieur n’est fait que de faux amis prêts à vous sacrifier du jour au lendemain.
« On m’a appris à avoir peur de ça », explique Esther lorsqu’elle découvre des activités qui paraîtraient « normales » à bon nombre de gens, comme aller à la plage, ou en discothèque. Avec la caméra la collant au plus près, s’attardant régulièrement sur son regard ému, désorienté, on a l’impression de découvrir également toutes ces choses à ses côtés, à mesure qu’elle se découvre aussi elle-même. Unorthodox est autant une fuite qu’un récit initiatique : qui est-elle, si elle n’est plus une membre de sa communauté ?
C’est sur cette peur ancrée au plus profond d’elle que ses détracteurs jouent pour essayer de la faire craquer, certains cultivant, au fond, un regret de n’avoir pas eu l’élan de partir, eux aussi.
Sila privation de liberté et la pression exercée sur les femmes juives ultra-orthodoxes sont insupportables, inexcusables, et amènent à des comportements criminels, Esther Shapiro ne semble pas avoir de remords envers cette communauté. Elle ne la déteste pas car elle l’a aussi construite, et elle en partage même encore certaines valeurs.
Sa communauté hassidique n’est pas montrée comme le Mal, mais comme un entre-soi essoufflé, dangereux, étouffant, forcément sexiste par son fonctionnement et ses principes, coupé de la réalité. Un entre-soi fier, qui a le vertige d’admettre ses limites et crimes.
Si on comprend leurs motivations, on ne les excuse pas pour autant. On ne les juge pas bêtes, mais comme des humains s’obstinant à avoir une réponse désastreuse à un traumatisme légitime. Et il faut bien avoir la force de caractère d’une Esther Shapiro pour s’en rendre compte, quand on n’a connu que ça. Son départ n’est pas une libération qui coule de source, mais un arrachement impérieux.
Unorthodox, d’Anna Winger, avec Shira Haas, Amit Rahav, Jeff Wilbusch, disponible sur Netflix
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