Les sorcières n’ont pas de saison, et chacune peut en faire partie… Vogue s’est entretenu avec des sorcières venues du Mexique, du Japon et d’Arizona, sur les variations de leur art et sur la façon dont chacune peut mettre en application ses principes dans sa propre vie.

Les sorcières, connues dans la culture populaire grâce à leurs chapeaux pointus et leurs balais, sont des figures auréolées de puissance et de mystère. Dépeintes comme des femmes qui détestent les enfants (notamment dans Sacrées Sorcières de Roal Dahl), ou qui aiment faire le mal (comme en témoignent les sœurs Wayward dans Macbeth de Shakespeare), mais aussi parfois comme des femmes savantes, et des guérisseuses douées de créativité (Harry Potter), l’image des sorcières s’est toujours faite la chambre d’écho de la société qui l’a produite. Cela traduit une forme de méfiance à l’égard des femmes, et particulièrement des femmes puissantes, mais également un rapport collectif fluctuant au rituel et à la magie. Car la sorcière contemporaine est devenue l’héroïne d’un féminisme bravache qui rejette toutes ces définitions. Elle n’existe pas dans un monde noir ou blanc, mais bien dans les interespaces gris. La sorcière d’aujourd’hui n’est pas gentille ou méchante, elle est un point c’est tout. La sorcellerie existe dans les interstices. Tout comme les archétypes de la sorcière, celle-ci change sans cesse de forme, et ne se trouve jamais exactement là où on l’attend. Sa meilleure définition est celle d’une pratique spirituelle qui s’inscrit dans différents cycles : celui de la terre, celui du cosmos et celui de l’individu. La sorcellerie va de pair avec une affirmation personnelle et se nourrit toujours de la culture qui l’entoure. La beauté de la magie, c’est que son efficacité et sa puissance décuplent lorsqu’elles sont profondément personnelles.

Gabriela Herstik

© Alexandra Herstik

Mon aventure avec la magie a commencé de façon indirecte, avec mes parents. Mon père, un rabbin réformé, et ma mère, qui est issue de la communauté juive de Mexico, m’ont tous deux encouragé dans mon obsession précoce pour la spiritualité. Mon père a toujours nourri ma curiosité pour l’inconnu et la religion, tandis que ma mère a partagé avec moi depuis toute petite des pratiques comme le yoga, la lithothérapie, et la méditation de pleine conscience. Mais, lorsque j’ai découvert la sorcellerie à l’âge de 11 ans, ils ont cru qu’il ne s’agissait que d’une phase. Le stigmate qui entourait le mot sorcellerie était encore profond, et beaucoup considérait qu’il s’agissait d’une pratique maléfique, particulièrement dans l’État très religieux et conservateur dans lequel j’ai grandi. 13 ans plus tard, beaucoup de choses ont changé. La magie et la sorcellerie sont revenues dans l’air du temps. La communion avec la nature et avec l’amour que permet la pratique est découverte par un nombre croissant d’adeptes. Ma pratique personnelle consiste en une dévotion au féminin divin ; je travaille sur des sorts sexuels en me servant de l’orgasme pour une intention particulière ; je m’appuie sur les cycles de la lune et les saisons, et je cherche une émancipation dans ma pratique quotidienne de méditation, dans le tarot, la respiration, la guérison énergétique et le rituel. Cela signifie que je me perçois, avec ma capacité à soigner, comme partie d’une conscience collective.Chaque sorcière configure différemment sa pratique de la sorcellerie, c’est pourquoi, je me suis entretenue avec trois femmes venues du Mexique, du Japon et d’Arizona, pour un tour d’horizon de cette pratique qui fait de plus en plus d’adeptes. 

Saint – Auber, ‘Arrival of the Sabbath and tribute paid to the Devil’, 18th century, Cambrai. musée des beaux arts

© Photo12/Universal Images Group via Getty Images

Vogue a rencontré trois adeptes de la sorcellerie :

1. Bere Parra, 39 ans, Guanajuato City, Mexique

Bere Parra est une consultante en communication indépendante. Elle s’occupe de rédaction de contenus et de gestion des images de marque sur les réseaux sociaux.L’arsenal magique de Bre Parra est bien fourni : sa sorcellerie s’ancre dans la dévotion au soi, au satanisme et à la divinité rebelle. « Ma lignée personnelle de sorcellerie et de magie incorpore des principes du satanisme de LaVey, de luciférianisme ainsi que quelques traditions du wiccanisme. Je travaille souvent avec les puissances de la lune et avec l’aide de la déesse Lilith, en fonction des sujets à traiter », explique Parra. La magie de Parra lui vient d’une lignée matriarcale de guérisseuse. Son arrière grand-mère était une sorcière, une curandera (guérisseuse traditionnelle) à Oaxaca, dans le sud du Mexique, chez qui les gens venaient pour se faire soigner, aussi bien le corps que l’esprit. Cette tradition a été transmise à Bere et à sa mère qui continuent à avoir recours à la magie dans leurs vies quotidienne. Et si le Mexique est nimbé de catholicisme, la magie est profondément ancrée dans la culture. « Les Mexicains sont ouverts, singuliers et contradictoires, ajoute Bere Parra. Nous n’aimons pas suivre les règles de trop près. Même s’ils sont catholiques, beaucoup s’intéressent à l’astrologie, font des tarots, ou vont voir des brujas [celle qui sont spécialisées en sorcellerie] pour des limpias [purifications]… » Toutefois, il reste tabou d’être sataniste à Mexico, cette pratique étant mal comprise par beaucoup de personnes dans le monde. « Le satanisme traite en son cœur de l’individualité. Il s’agit de subversion et de rébellion, d’être assez audacieux pour suivre son propre chemin. Nous ne vouons pas de culte au démon, c’est bien plus complexe que ça, nous dit Bere Parra. Les satanistes LaVeyen ne vénèrent aucune divinité, ils sont athées. Les Satanistes théistiques comme moi, s’adonnent à des rituels ou des pratiques qui impliquent une forme de vénération, mais aucun d’entre nous n’adhère à un canon spécifique. »

Witches in Flight (Vuelo de Brujas), 1797-1798. Found in the collection of Museo del Prado,Madrid, Francisco de Goya (1746 – 1828)

© Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images

2. Madoka, 29 ans, Tokyo, Japon et Los Angeles

Madoka est une chercheuse en réalité virtuelle et augmentée dont les pratiques artistiques et personnelles se mêlent dans son exploration de la sorcellerie, de la divination et du chamanisme. Entre Tokyo et Los Angeles, son œuvre analyse les différences entre les deux cultures et s’intéresse à la fusion entre le féminisme et la sorcellerie aux Etats-Unis. L’histoire du rapport de Madoka à la sorcellerie commence après qu’un ami lui ait fait découvrir les cartes du tarot de Thoth d’Aleister Crowley. En tant qu’artiste et animatrice 3D, elle a tout de suite été frappée par la beauté hallucinatoire et les archétypes des cartes. Un an plus tard, elle se targue d’être une sorcière. « Je m’intéresse beaucoup à la culture de la côte ouest américaine, et j’ai étudié la sorcellerie avec la sorcière activiste écologiste Starhawk à San Francisco en 2018. Je pratique de nombreux rituels et sorts, des visions et des invocations, et je médite tous les jours ». Elle travaille également sur de nombreux arts de divination orientaux et occidentaux dont le I Ching, le tarot, le feng shui et les quatre piliers du destin.

Madoka

© Courtesy Madoka

Si la sorcellerie joue un rôle important dans la culture américaine, le cadre est différent au Japon, où la majorité de la population est polythéiste. « La culture de la sorcellerie est vraiment très implantée à Los Angeles comparé au Japon, mais la grande différence c’est qu’au Japon, les sorcières ne sont pas dans la contre-culture, car la chrétienté n’y est pas majoritaire. La paganisme et les bouddhistes sont majoritaires, ce qui explique qu’il soit plus dur de trouver des gens qui se présentent comme sorcières », nous explique Madoka. « Les Japonais pensent qu’il existe 8 millions de divinités dans le monde. Pierres, bois, sol, mer, rivière, tout est divinité. C’est une pensée très normale pour nous ».

Les cartes du tarot

© Wiro Klyngz / Alamy Stock Photo

3. Taylor Cordova, 31 ans, Désert du Sonora, au sud de Phoenix, Arizona

Taylor Cordova passe ses journées plongées dans la magie. Cette artiste et historienne de l’arttravaille comme professeur d’art dans une école élémentaire et s’occupe d’une boutique en ligne appelée The Flowerchild Bruja. Elle y vend des pierres et des bâtonnets d’encens faits maison avec des plantes sacrées comme la rose, la lavande ou l’armoise, qui permettent de purifier l’énergie d’un lieu. « Ma pratique personnelle consiste à communier avec l’esprit de Gaïa [la déesse-mère de la terre]. Le culte et la création d’espaces sacrés sont une manière de me lier aux esprits et de donner cours à ma dévotion », nous explique Taylor Cordova. Elle s’adonne également à d’autres rituels, ancrés dans le mysticisme de la divinité féminine. « La magie sexuelle et l’utilisation du sang de mes menstruations sont quelques-unes des pratiques taboues que j’ai, mais honnêtement, ça dépend de ce que je ressens sur le moment. L’esprit communique les types de travaux les plus nécessaires sur le moment ».

© OGphoto

Son enfance dans le désert l’a clairement influencée dans son cheminement vers la magie. Les montagnes, et plus particulièrement le Parc de la South Montain, l’ont initié à cette sagesse ancestrale. Sorcière afro-latina, la culture de Cordova se rattache de nombreuses manières aux esprits du désert. « Ma culture me guide à chaque pas, dans ma manière d’utiliser mes mains, dans la façon dont je jette les sorts avec mes hanches, dont je chante et je prie. Chacune des mes cultures sont présentes dans ma façon d’offrir ma dévotion. Le désert du Sonora, la communauté du sud de Phoenix dans laquelle j’ai grandi, et mes origines africaines sont des facteurs extrêmement importants dans ma pratique, mais ils sont nuancés, ils se mêlent, et il est difficile de dire que cela se fait de façon tout à fait transparente. Halloween, ou Samhain pour ceux qui observent le calendrier païen, est l’équivalent du nouvel-an pour les sorcières, c’est le moment parfait pour découvrir la magie. Toutefois, il est possible de découvrir ce monde quand on le souhaite, où qu’on se trouve. Quelle que soit la saison, c’est toujours la saison des sorcières, et chacune est bienvenue ».

© humonia

Gabriela Herstick est écrivaine et habite à Los Angeles. Elle a écrit deux livres Craft: How to be a Modern Witch (2018) ainsi que Bewitching the Elements: Finding Empowerment through Earth, Air, Fire, Water and Spirit (à paraître en 2020)

Source: Lire L’Article Complet