Il y a trois ans, en octobre 2017, les accusations de viols et d’agressions sexuelles contre le producteur Harvey Weinstein deviennent publiques. Dans la foulée, sur Twitter, des femmes du monde entier témoignent des violences sexuelles dont elles ont été victimes, grâce au hashtag #MeToo.
Popularisé à l’époque par l’actrice Alyssa Milano, ce hashtag existe en fait depuis 2006, quand une travailleuse sociale de Harlem, Tarana Burke, l’a lancé en soutien aux victimes d’agressions sexuelles. En 2017, ce « Moi aussi » enflamme les réseaux sociaux au point de devenir un véritable phénomène de société et d’envahir les débats. La parole des femmes, longtemps ignorée, prend enfin tout l’espace.
Il faut faire un #payetasociété, parce que ça se produit partout.
Trois ans plus tard, que reste-t-il de ce mouvement ? Quel bilan en tirer alors que les hashtags dénonçant les violences faites aux femmes continuent régulièrement de fleurir sur les réseaux sociaux, secteurs par secteurs, un jour les études de santé, le lendemain le milieu de la musique ?
Prise de conscience
« Il faut faire un #payetasociété, parce que ça se produit partout », analyse la militante féministe et essayiste Valérie Rey-Robert. Elle a publié en mars dernier Le sexisme, une affaire d’hommes*, dont elle avait poussé l’analyse salvatrice auprès de Marie Claire. L’autrice y appelle notamment à « déviriliser nos sociétés ». Elle conclut d’ailleurs son ouvrage en expliquant que « tout reste encore à faire ».
« MeToo a permis aux femmes en particulier, à certains hommes victimes, aux ados et peut-être aux enfants de se rendre compte qu’ils avaient vécu des violences, des agressions », rappelle Valérie Rey-Robert.
D’après elle, cette vague de témoignages a aidé à « mettre en avant tout le champ des violences sexuelles. Tout n’est pas forcément toujours condamnable, mais certaines situations restent inacceptables : MeToo a montré que tout ça n’était pas séparé, que ces événements allaient ensemble, dans un continuum. »
Il reste désormais d’autres étapes à franchir. Et notamment « que les femmes aient suffisamment de pouvoir pour que les hommes n’aient plus celui de les violer. S’ils pensaient qu’agresser sexuellement une femme leur vaudrait l’opprobre générale, leur ferait perdre leur boulot, ils arrêteraient. »
Seulement voilà, pour l’essayiste féministe, les grosses affaires qui ont pu faire la Une ces derniers temps, comme celle de Roman Polanski ou Gabriel Matzneff ont eu un effet paradoxal : celui d’instaurer l’idée du violeur comme « une figure monstrueuse ». Or « si le viol constitue effectivement un crime monstrueux, ceux qui les commettent sont des ‘Monsieur Tout-le-monde’. Ça, ça reste difficile à amener dans le débat public ».
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Un bilan contrasté du côté des associations
Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), dresse, elle aussi, un bilan « contrasté » de MeToo, trois ans après – « vu de la fenêtre AVFT », précise-t-elle.
D’un côté, elle se félicite d’une « évolution des consciences du côté des employeurs publics et un intérêt grandissant des entreprises privées sur ce sujet là ». L’AVFT a ainsi été régulièrement sollicitée pour mettre en place des programmes de prévention pour les salariés et les administrations publiques ont été encouragées, par voie de circulaire, à se saisir de la question.
L’association travaille par exemple avec le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animé) qui vient de lancer une formation « destinée aux employeurs du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo » afin de « les accompagner dans la prévention et la détection des comportements inappropriés que ce soit sur les tournages, dans les entreprises, ou lors la promotion des films », selon le communiqué de l’établissement public. Cette formation sera obligatoire pour percevoir les aides du CNC.
Une réponse de l’État pas à la hauteur
Malgré tout, la déléguée générale de l’AVFT déplore le « peu de ressources pour les victimes » et des « moyens dérisoires alloués aux associations qui les soutiennent ». Surtout, elle pointe « l’indigence de l’institution judiciaire ».
Il y a 20% de plaintes en plus en 2018, mais est-ce que cela va se traduire par 20% de classements sans suite en plus parce que l’institution judiciaire n’est pas dimensionnée ?
« MeToo a entraîné une hausse du nombre de plaintes, mais pour quel traitement judiciaire derrière ? Il y a 20% de plaintes en plus en 2018, mais est-ce que cela va se traduire par 20% de classements sans suite en plus parce que l’institution judiciaire n’est pas dimensionnée ? Le constat se révèle assez sombre sur le plan de la réponse de l’État », observe-t-elle amèrement.
Ce, d’autant plus que, MeToo a « fait baisser le seuil de tolérance des victimes ». « Aujourd’hui, on est de plus en plus saisies sur des dossiers type Darmanin**, où les violences sont commises par utilisation de la contrainte économique, dans des situations très enlisées. Ce sont des dossiers difficiles à traiter et à faire avancer, car on ne dispose pas des bons outils juridiques pour ça, regrette Marilyn Baldeck. La contrainte, les juges l’admettent rarement comme économique, or de plus en plus de femmes nous parlent de comment elles cèdent justement en raison de cette contrainte financière. »
Une nouvelle génération plus éveillée
Pour autant, elle salue l’effet de MeToo sur l’évolution des mentalités, notamment au sein de la société civile. « Quand on voit fleurir tous ces hashtags sectoriels, les uns après les autres, on constate que les femmes s’auto-organisent. Elles ont bien compris que rien ne sera fait à leur place. »
Les récentes manifestations, du 8 mars ou à l’appel de Nous Toutes, montrent aussi une mobilisation de plus en plus forte dans les rues, encore plus de la part des jeunes générations. « Une partie des 12-17 ans est extrêmement engagée, se rend compte du système. Idem pour les 18-25 ans, souligne Valérie Rey-Robert. Mais c’est aussi cette génération qui subit le plus de harcèlement de masse. Leur backlash se révèle plus violent. Mais, déjà, les jeunes connaissent ces sujets-là. Même si c’est pour dire ‘le manspreading, c’est des conneries’, au moins, il savent de quoi on parle. »
* éditions Libertalia
** Le ministre de l’Intérieur est en effet visé par une plainte pour viol. Sophie Patterson-Spatz, une ancienne adhérente de l’UMP, affirme s’être sentie contrainte à avoir une relation sexuelle avec lui, en échange de son intervention en sa faveur pour faire effacer une condamnation judiciaire. D’abord classée sans suite, la plainte a été relancée par la cour d’appel de Paris début juin.
Une autre plainte avait également été déposée à l’encontre de Gérald Darmanin, accusé par une habitante de Tourcoing (ville dont il était maire) d’avoir été incitée à avoir une relation sexuelle avec lui en échange d’un logement et d’un emploi. Elle a été classée sans suite en mai 2018, une décision confirmée en septembre dernier par le parquet de Paris, alors que l’association Pouvoir féministe avait demandé à la justice de relancer l’enquête.
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- Sur Instagram, @toutenuedanslarue et @disbonjoursalepute mettent des mots sur le harcèlement de rue
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