Bernard Pivot, de l’Académie Goncourt, chronique cette semaine le livre de Renaud Capuçon, « Mouvement perpétuel ».

Le confinement avec une pianiste ou un violoniste est-il enviable? Au début, oui, sûrement, mais, au fil des semaines, l’instrument de musique ne devient-il pas une sorte de double sonore de la pandémie, le rappel, si mélodique soit-il, de l’enfermement de la famille, de l’angoisse permanente d’attraper le virus? À force, les auditeurs obligés, les voisins de l’artiste, n’en viennent-ils pas à haïr Schubert, Chopin, Rachmaninov ou Poulenc? Ne découvrent-ils pas une parenté sournoise entre l’opus 35 et le Covid-19?

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Dans le cas d’un violoniste, les confinés peuvent lui conseiller : « Mets ta sourdine! » De plomb et d’acier, la sourdine est un petit cylindre disposé sur le chevalet. Selon Renaud Capuçon, elle réduit la sonorité du violon « à un murmure ». Il l’utilise, de nuit comme de jour, dans les hôtels où il travaille avant de donner un récital. Il ne s’en sert heureusement pas à Paris d’où, immobilisé, il expédie chaque jour, sur les réseaux sociaux, un admirable et consolateur morceau de violon.

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Jouer Bach, pour moi, c’est prier. Une musique qui lave, qui purifie, qui remplit et qui stimule

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Juste avant de ne plus pouvoir prendre un avion pour aller jouer aux quatre coins d’un monde devenu pestiféré, Renaud Capuçon avait déposé en librairies son premier livre, Mouvement perpétuel. Il a 44 ans. C’est un peu tôt pour des Mémoires, mais c’est l’âge idoine pour des souvenirs écrits dans la joie, l’émotion, le désordre et la fierté d’être aujourd’hui une star de la musique. D’autant qu’il ne se contente pas de jouer : il enseigne, à Lausanne ; il crée des festivals dont celui, éclatant, à Pâques, d’Aix-en-Provence (mais pas cette année évidemment). Ce n’est pas le lieu qui l’a motivé, mais l’époque : Pâques. Est-ce parce qu’il a la foi? « Jouer Bach, pour moi, c’est prier. Une musique qui lave, qui purifie, qui remplit et qui stimule. » Ç’aurait dû être Pâques à Évian ; ce fut Pâques à Aix-en-Provence!

Sa soif de créer, d’organiser, Renaud Capuçon la découvrit au Conservatoire de Paris. Il fut assez convaincant pour obtenir l’autorisation de rassembler vingt-trois de ses camarades pour jouer l’œuvre testamentaire de Richard Strauss, Métamorphoses, qui le fascinait.

Violoniste débutant, il créa à Chambéry, sa ville natale, le festival de Bel-Air qui, pendant quinze ans, réunit – gracieusement – de grands musiciens dont il était devenu l’ami, ses camarades de promotion et le public savoyard de plus en plus nombreux et enthousiaste. J’y suis allé plusieurs fois. C’était joyeux, spontané, pas mal organisé, et, après les concerts, artistes, bénévoles et qui voulait se retrouvaient à souper chez de généreux mélomanes chambériens. On croisait Vengerov, Martha Argerich, Barenboïm – qui s’était contenté de tourner les pages – et le jeune frère de Renaud, Gautier Capuçon, bientôt magnifique violoncelliste. Je me rappelle avoir suggéré au directeur culturel de France 3 de l’époque de faire un film sur ce festival hors normes. « Le festival de Bel-Air? Connais pas! – Renaud Capuçon, dis-je. – Qui est-ce? » Si j’avais ajouté Chambéry, que m’aurait-il répondu?

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Il écrit que dans la capitale française « on semblait [lui] en vouloir ». Mais de quoi? Il ne le dit pas

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Il est vrai que Renaud Capuçon a été célèbre à Salzbourg, à Vienne et à Berlin avant de l’être à Paris. Il écrit que dans la capitale française « on semblait [lui] en vouloir ». Mais de quoi? Il ne le dit pas. Probablement d’avoir déjà été adoubé par Simon Rattle, Claudio Abbado, Semyon Bychkov, Daniel Barenboïm. Myung-Whun Chung a été le premier chef à lui faire confiance en France. Son premier grand début, à Paris, ce serait, à Pleyel, dans le quatrième concerto de Mozart, sous la direction de Yehudi Menuhin. Hélas! Celui-ci disparut quatre jours avant le concert.

Renaud Capuçon dit son admiration à tous ceux qu’il admire, son amour ou son amitié à tous ceux qu’il aime, sa reconnaissance à tous ceux qui l’ont aidé. Ça fait beaucoup de monde. C’est le péché de jeunesse de ce livre. C’est aussi un merveilleux éloge de la musique, de ses sortilèges et du métier de soliste. Je cite en vrac : la musique de chambre, Brahms, les quatuors à cordes, Mozart, Schumann, le concerto pour violon de Beethoven, les rapports de la musique et de la poésie, jouer Ravel sous l’Arc de Triomphe le 11 novembre 2018, la création musicale d’aujourd’hui, Strauss et Zweig associés dans son imaginaire, les quelques minutes avant d’entrer en scène… Sur ces sujets et sur beaucoup d’autres, Renaud Capuçon écrit juste et sincère. À de nombreuses pages, j’ai entendu le son du Vicomte de Panette, son violon, qui a été celui d’Isaac Stern pendant un demi-siècle. gUn merveilleux éloge de la musique, de ses sortilèges et du métier de soliste

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