Le cinéma des frères Dardenne… À chaque long métrage, il se simplifie – mise en scène plus sèche, intrigue qui file à toute allure, épure du jeu des comédiens.
Comme si, avec l’âge, les deux Belges allaient à l’essentiel. Mais au lieu de perdre en force ou de tomber dans le piège du manichéisme, chaque fois, ils accouchent d’un film météorite. Une œuvre qui vient percuter notre regard et y laisser une empreinte indélébile. Une blessure.
Tori et Lokita, un conte peuplé de pièges
Cette fois, nos yeux brûlent pour Tori (Pablo Schils) et Lokita (Joely Mbundu), deux jeunes exilé·es du Bénin, héros de ce thriller qui a décroché le prix spécial du Festival de Cannes 2022, en salle depuis le 5 octobre dernier.
Le premier, gamin débrouillard, a obtenu ses papiers en échappant au destin des enfants accusés de sorcellerie. Mais Lokita, grande fille grave, sa sœur d’adoption, se heurte aux enquêteurs d’immigration.
Pour survivre – et payer leur dette au passeur –, ils refourguent la drogue d’un restaurateur qui, par ailleurs, viole Lokita à plusieurs reprises.
Celle-ci échoue dans le sous-sol d’une usine à cannabis, dont elle doit arroser les plants. Enterrée vivante, c’est là que le cauchemar redouble.
Voilà ce que réussit le duo de réalisateurs – et qu’ont tendance à déréaliser la plupart des journaux télévisés : nous faire prendre conscience de l’état de misère auquel est réduite une partie de l’humanité – migrants et sans-papiers perdus dans le faux eldorado de l’Europe. Car horrifié·es, on l’est.
Le film est un conte peuplé d’ogres, de pièges et de forêts maléfiques, qui nous interdit de reprendre notre souffle ou de détourner les yeux. Les plans savamment cadrés produisent une suffocation. L’engrenage du destin – on est dans la tragédie – file trop vite pour laisser entrer psychologie, morale ou affect.
Et lorsque le couperet final tombe, on se sent parfaitement idiot·e et impuissant·e, sonné·e par une cruauté qu’il serait mal venu d’attribuer aux cinéastes. Car dans sa trajectoire impitoyable, Tori et Lokita a aussi laissé une grande déflagration d’amour.
Tori et Lokita, de Luc et Jean-Pierre Dardenne, avec Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj…
Cette critique a été initialement publiée dans le Marie Claire numéro 842 daté novembre 2022.
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