Quatre expertes ont rejoint la modératrice Valérie Hoffenberg, présidente du Connecting Leaders Club, pour échanger autour de ces thématiques : Claudine Junien, professeure émérite de génétique médicale et membre honoraire de l’Académie de médecine, Ulrike Decoene, directrice de la communication, de la marque et de la responsabilité d’entreprise du groupe AXA, Yannick Hnatkow, directrice générale de WW France et Ana Alves, directrice de l’usine Sanofi de Compiègne.

Comme l’a rappelé Valérie Hoffenberg en introduction, l’Organisation mondiale de la santé indique dans son rapport sur les femmes et la santé que « malgré certains progrès, la société ne répond pas toujours aux besoins des femmes à des moments clés de leur vie, en particulier pendant l’adolescence et la vieillesse ». Les données démontrent également que si les femmes ont globalement une espérance de vie plus longue, elles ne vieillissent pas en bonne santé. 

Les erreurs de diagnostic sur des maladies dites « masculines » sont très meurtrières pour les femmes : seuls les symptômes des hommes sont connus et étudiés.

La pandémie de COVID-19 a, à nouveau, mis le curseur sur les différences biologiques entre les hommes et les femmes en matière de santé : sur les personnes admises en réanimation, 73% étaient des hommes. Mais en termes de décès, 46% sont des femmes.

Selon Claudine Julien, d’autres chiffres sont à mettre en lumière pour tenter de tirer des leçons : « En France, et surtout aux Pays-Bas, plus de femmes ont été touchées par la maladie. Cela vient du fait qu’elles sont plus exposées en milieu hospitalier (80% d’infirmières) ou dans les EPAHD (75% de femmes). Les femmes développent des formes moins graves, donc elles meurent moins. »

L’experte en génétique est ensuite revenue sur la « base biologique » des chromosomes X et Y, porteurs de gènes différenciés, impliqués ou non dans la fabrication d’anticorps. Certains auront par exemple un rôle pour certaines maladies.

Récemment, des appels ont été lancés par le corps médical contre « la pandémie invisible de maladies cardio-vasculaires chez la femme ». Ces maladies dites « masculines » sont en fait très meurtrières pour les femmes, du fait parfois, d’erreurs de diagnostics parce que seuls les symptômes des hommes sont suffisamment connus et étudiés.

La réponse apportée par Claudine Julien est une médecine qui prenne en compte le sexe et le genre. « Il faut donc prendre en compte les aspects économiques et sociaux, mais aussi les différences biologiques », a résumé Valérie Hoffenberg.

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Oser prendre des responsabilités

Pour que les spécificités des corps féminins puissent être prises en compte, une plus forte représentation aux postes clés dans la recherche et les instances publiques est aussi souhaitée.

En France, le comité scientifique du gouvernement a réuni neuf hommes et deux femmes seulement. Et alors que le corps médical est représenté par 46% de femmes, l’ordre des médecins en compte moins d’un tiers.

Invitée en tant que rôle modèle, Ana Alves est à la tête de 450 personnes dans l’usine qu’elle dirige pour Sanofi, à Compiègne. Si la force de travail compte encore 70% d’hommes, le comité de direction est paritaire. Selon la directrice : « Il faut oser, ne pas  douter de soi et ne pas s’autocensurer. J’encourage toutes les femmes à se définir des limites et savoir dire non lorsqu’elles sont dépassées. »

Prendre en compte la charge mentale  

Mais comme a pu le constater Yannick Hnatkow, directrice générale de WW France : « La crise a tout même eu pour effet le retour à la femme au foyer, en charge des trois repas par jour à gérer. Télétravail, maison, enfant… s’il y a eu un intérêt des hommes, c’est quand même la femme qui est restée en charge de tout. Cette charge mentale est un enjeu clé pour nous. » 

Des femmes ont mis leurs douleurs digestives et leur stress de côté et on les a vues arriver en situations critiques

Elle est aussi un enjeu au sein du groupe AXA, qui a lancé un observatoire de la santé des femmes. « L’absence d’accès aux soins pendant la crise a eu des conséquences particulières pour les femmes, comme des grossesses non voulues, a rappelé Ulrike Decoene.

Selon AXA, il faut qu’il y ait un système vertueux qui se mette en place. La recherche doit prendre en compte les biais pour aboutir à des traitements et des possibilités de dépistage et des campagnes de prévention plus ciblées pour les femmes. C’est le sens de notre fonds pour financer la recherche. »

Depuis dix ans, 600 projets ont ainsi été consacrés à la santé des femmes avec une approche genrée. « Dans ce système vertueux, a-t-elle poursuivi, la tech peut servir à mieux soigner les femmes : mais il faut plus de femmes soutenues et que les financeurs reconnaissent que c’est un sujet essentiel. La Femtech est un domaine prometteur, de plusieurs milliards d’euros. »

Claudine Junien a ensuite souligné l’importance des effets de la charge mentale sur la santé des femmes, notamment dans le fait de différer le diagnostic et les traitements adéquats. 

« Des femmes ont mis des symptômes comme des douleurs digestives et du stress de côté et on les a vues arriver en situations critiques. Elles avaient attendu plusieurs semaines avant de consulter… »

Ainsi, un site* a été mis en ligne pour aiguiller les femmes dans le bon parcours de soin. 

Bien-être collectif : des attentes concrètes pour l’égalité hommes/femmes

Avec la COVID-19, il y a eu une prise de conscience : la santé prime comme facteur essentiel pour l’équilibre économique. Selon un sondage d’Opinion Way*, 88% des Français interrogés estiment en effet que la crise sanitaire et économique actuelle doit inciter les entreprises à s’impliquer davantage pour améliorer la société.

Beaucoup de femmes ont utilisé la téléconsultation pendant la crise parce qu’elles ont trois vies à mener en 24h 

Chez Sanofi, les « cafés collaboratrices » ont déjà permis d’interdire les réunions avant 9h ou après 17h afin de permettre aux parents d’être disponibles pour leurs enfants. « Les gens se sentent libres de refuser des réunions qui ne leur conviennent pas », précise Ana Alves. 

Selon Ulrike Decoene, « La crise a amplifié les attentes vis-à-vis de l’entreprise. Le bien-être n’a jamais autant été mis en lumière. » Le service de téléconsultation a rempli certains besoins et constitué un moyen rassurant pour interroger des symptômes.

D’après ses données : 60% des utilisateurs chez AXA étaient des femmes, « parce qu’elles ont trois vies à mener en 24h ». Des aides de retour au travail après un cancer deviennent monnaie courante, notamment pour la gestion des risques psycho-sociaux. 

Enfin, impossible d’ignorer l’urgence de lutter contre les violences faites aux femmes et intra-familiales, qui ont augmenté de près de 40% durant le confinement. Comme beaucoup d’entreprises, AXA a apporté une aide de 200 000 euros pour renforcer l’offre de logement pour les femmes en danger, du matériel informatique et, bien sûr, l’accès aux soins.

Suite à ces riches échanges, deux ateliers ont ensuite rassemblé des experts en petits groupes, dans le but de rédiger des propositions et des recommandations.

Le premier était intitulé : « Prévention et santé des femmes : quels rôles pour l’entreprise ? (Fatigue, charge mentale, douleurs menstruelles, reprise après un cancer, maternité, …) ». Le deuxième : « Comment encourager les femmes à faire carrière dans la science? Comment atteindre la parité dans les instances de santé publique pour une meilleure prise en compte des différences femmes-hommes ? »

* Site Agir pour le bon cœur des femmes

* Baromètre « CoviDirect Vague 46 » par Opinion Way et Organ’Ice pour les Echos (mai 2020)

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