Jusqu’à ses 10 ans, son "père" l’a battue, humiliée. Rencontre avec une survivante qui veut retrouver confiance dans les hommes. Un témoignage poignant dans Infrarouge : Enfants de femmes battues, les oubliés sur France 2 disponible en replay.
Pouvez-vous dater le début des maltraitances ?
Séphora : Non. Cet homme n’a jamais rien été d’autre que mon géniteur, même si aujourd’hui, à 20 ans, je porte encore son nom. Il ne voulait pas que je l’appelle "Papa", je l’appelais "Tata". Jamais je n’ai senti qu’il nous aimait ou même que nous étions ses enfants.
En plus de vous battre, il vous humiliait…
Quel "père" traite sa fille de pute parce qu’elle a mis une jupe, quel "père" la maquille, lui met du rouge à lèvres pour ensuite lui dire : "Regarde comme tu es belle pour aller sur le trottoir" ? J’avais 9 ans. Il détruisait ma féminité avec acharnement. Je mettais des pantalons pour avoir la paix.
Sa cible principale, en dehors de vous, était votre mère…
Tout était prétexte à la frapper, à l’humilier. Parfois, quand les cris commençaient, j’emmenais mes petits frères et sœur jouer à l’écart pour qu’ils n’entendent pas. Alors qu’elle faisait tout à la maison. À table, il lui disait toujours que son dîner était vraiment dégueulasse. Une fois, je lui ai répondu qu’il n’avait qu’à cuisiner lui-même et qu’il pou"vait aussi aller chercher ses bouteilles d’alcool plutôt que d’envoyer ma mère et de la laisser passer pour une alcoolique auprès des caissières. Je l’ai vu serrer les dents. j’ai compris que j’allais payer, plus tard.
Aviez-vous conscience que ce que vous viviez n’était pas normal ?
Il ne voulait pas que nous allions chez des copines mais maman se débrouillait pour nous couvrir. Elle nous défendait toujours, quitte à prendre des coups. Chez mes amies, je voyais bien que nous n’étions pas comme les autres… que je vivais avec le Mal, qu’il n’existait pas seulement dans les livres.
Pouviez-vous vous échapper d’une façon ou d’une autre ?
Mon géniteur a volé mon enfance. Il parasitait tout. Même quand je réussissais à aller chez une camarade, je me demandais ce qui se passait pour maman, que j’avais laissée seule, ce que je découvrirais en rentrant. L’idée qu’il lui fasse du mal me faisait souffrir. Même en classe, je n’étais pas attentive.
En avez-vous parlé à l’école, ou à une copine ?
Non, j’avais trop peur. Et à l’école, personne n’a jamais posé de question sur une absence ou un bleu. Les voisins non plus, alors qu’ils entendaient forcément ce qui se passait chez nous. Plus tard, ils ont même dit : "Ah bah, ça, on ne se doutait de rien." Souvent, ma mère est allée à la police avec des ecchymoses et le visage marqué. On lui disait : "Il faut porter plainte madame", "Il faut un certificat médical", "Revenez plus tard".
Le 18 juin 2009, alors que vous aviez été une fois de plus violemment battue par votre géniteur, votre mère l’a tué d’un coup de couteau (Alexandra Lange a été acquittée par la cour d’Assises de Douai le 23 mars 2012, ndlr). Quel souvenir gardez-vous de cette nuit-là ?
Je me souviens que la police est venue chercher ma mère et nous a emmenés aussi, mes frères, ma sœur et moi. Dans la voiture, je n’arrivais pas à parler, je n’arrivais pas à tout dire. J’avais peur que l’on nous emmène loin, que l’on nous sépare. Il a fallu la patience d’un psy, plus tard, pour que je raconte tout.
Vous faites des études de droit aujourd’hui. En quoi est-ce une revanche ?
Mon géniteur voulait que j’arrête l’école, "pour une fille, c’est pas la peine". Chacun de mes diplômes a été une revanche. Il avait voulu m’écraser, m’étouffer, m’empêcher d’exister mais j’avais survécu et plus encore. J’avais ces victoires. Je guéris petit à petit ; avec maman et mes frères et sœur, nous réapprenons à vivre ensemble. J’espère pouvoir un jour agir pour aider les femmes battues.
Que diriez-vous aujourd’hui aux femmes maltraitées ?
Je leur dirais qu’elles doivent tout faire pour partir. Si elles restent, ils finiront par les tuer car c’est l’objectif de ces hommes-là.
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