- Un tribunal époque art déco avec des croix gammées…
- Une mairie aux fenêtres murées…
- Un immeuble déplacé tout entier…
- Voici trois histoires (et un bonus) d’architecture à Marseille.
Nous savons Marseille singulière à bien des égards, mais moins souvent pour quelques-unes de ses curiosités
architecturales. Des reliquats de l’histoire que nous avons demandés à des historiens de l’art d’expliquer.
Des croix gammées sur la façade du tribunal, vraiment ?
Le motif ceinturant l’ancien tribunal de commerce de Marseille (actuellement dédié aux audiences correctionnelles, dont la 7e chambre qui juge régulièrement les acteurs des réseaux de trafic de stupéfiant), peut laisser de prime abords pantois. Cette enfilade de svastikas est-elle un avertissement annonçant le caractère impitoyable des jugements ? La réalité artistique et historique est, heureusement, tout autre.
Quoique inaugurés en 1933, année où Adolf Hitler prend le pouvoir en Allemagne, les motifs ornant la façade du tribunal ne sont pas une ode au nazisme. « C’est une coïncidence », introduit Laurent Noet, historien de l’art, spécialiste de Gaston Castel, l’architecte du bâtiment. « Nous sommes en pleine période art déco, qui succède à l’art nouveau. On aime alors les figures géométriques et délaisse les courbes et contre courbes caractéristiques de la période précédente. Gaston Castel a simplement repris le motif hindou du svastika, bien qu’il n’ait pas voyagé en Inde », poursuit-il. Il est difficile par ailleurs d’imaginer Gaston Castel avoir des accointances
nazies. « C’était une gueule cassée. Il a eu la mâchoire déformée par un éclat d’obus lors de la Première Guerre mondiale », conclut-il.
Bonus : Au rayon des créations de Gaston Castel, mentionnons le bâtiment de l’Opéra ou encore la prison des Baumettes, actuellement en cours de démolition – reconstruction, mais dont le mur d’enceinte comporte sept étonnantes statues évoquant les sept péchés capitaux qui risquent de vous y conduire – tel était du moins la vision de l’époque.
Un hôtel de ville aux fenêtres murées
Nous connaissions la légende soviétique voulant que les lumières du Kremlin ne s’éteignent jamais, prouvant ainsi l’ardeur au travail de ses dirigeants. Force est de constater, à la vue des fenêtres entièrement murées de la façade Est de l’hôtel de ville marseillais, que ses locataires successifs n’aiment pas la lumière matinale ou bien craignent les squatteurs.
Plus sérieusement, celles-ci « ont été murées à la suite de la loi du 4 Frimaire an VII (24 novembre 1798). Cette loi établissait une contribution directe dont l’assiette était établie sur le nombre et la taille des portes et fenêtres », renseigne Nathalie Bertrand, maître de conférences en histoire de l’art à l’université d’Aix-Marseille. L’occasion de se souvenir de Jacques Brel qui, dans sa géniale chanson Chez ces gens-là, évoque cet impôt : « Qu’on aura une maison avec des tas de fenêtres/avec presque pas de murs et qu’on vivra dedans ». Peu enclins à la poésie et aux impôts, les corporations des marchands et armateurs marseillais, qui occupaient alors le Pavillon Puget, (dont la construction a débuté en 1653), avaient fait murer toute cette façade pour alléger leur fiscalité.
Bien que cette loi eût été « supprimée en 1926 sous la poussée du mouvement hygiéniste pour qui cela encourageait l’insalubrité des logements », précise l’historienne, la mairie est restée en l’état.
L’immeuble qu’on a déplacé tout entier
Les Marseillais observant les travaux de reconstruction et de réaménagement du Vieux-Port en 1954 avaient de quoi célébrer les prouesses de la modernité. Car en en cette année, les ingénieurs sont carrément parvenus à déplacer un immeuble tout entier au lieu de le démolir. « Il s’agit de la maison de l’échevin Cabre, bâtie en 1535. C’est la plus vieille maison de Marseille qui a survécu à la destruction du Vieux-Port », explique Nathalie Bertrand.
« Pour la conserver, il convenait de la déplacer de 15 mètres et de la tourner à 90 degrés afin de l’aligner à la Grand-Rue ». Grossièrement, le bâtiment était découpé par en dessous, et placé sur des rails. Après cinq jours d’efforts, voilà ce bâtiment bien aligné à la Grand-Rue, mais curieusement disjoint de l’immeuble voisin, dont il est séparé d’une poignée de centimètres. « Le déplacement des monuments n’est pas rare : le plus spectaculaire fut bien sûr celui du sauvetage d’Abou Simbel en Egypte piloté par l’Unesco et plus modestement le déplacement de la porte de l’Arsenal de Toulon en 1976 pour être plaqué sur la façade du Musée de la Marine », rappelle l’universitaire.
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