Mal connue et stigmatisée, cette maladie psychiatrique souffre de nombreux préjugés. On décrypte la schizophrénie avec le Pr Raphaël Gaillard*, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris.

De Docteur Jekyll et Mister Hyde en passant par Psychose ou Split, la littérature et le cinéma ont largement nourri les clichés terrifiants. La société porte aujourd’hui encore un regard méfiant sur la schizophrénie. Dans l’imaginaire collectif, derrière cette maladie se cache un personnage violent, incontrôlable et promis à un avenir sombre. Employé à tort et à travers dans le langage courant, le mot schizophrène est toujours prononcé dans un contexte négatif. Autant d’idées reçues qu’il est temps de combattre.

Ils sont dangereux

FAUX D’horribles faits divers ont marqué les esprits, mais ils ne reflètent pas la réalité. En effet, les accès de violence au cours d’une crise sont rarissimes. Et la majorité des crimes en France sont commis par des délinquants qui n’ont pas de pathologie mentale. En revanche, les malades sont des êtres sensibles et très vulnérables : ils sont sept fois plus victimes d’agressions que la population générale. Par ailleurs, leur souffrance intérieure est telle que leur agressivité se tourne davantage contre eux-mêmes. Près de 40 % d’entre eux commettent une tentative de suicide au cours de leur vie et entre 10 et 15 % mettent fin à leurs jours.

Les malades ont une double personnalité

FAUX Certes, l’étymologie grecque (« skhizein » pour fendre et « phrên » pour esprit) induit en erreur. Et les malades tiennent parfois un discours abracadabrant, car leurs émotions ne sont pas toujours en accord avec l’affect qu’ils devraient exprimer – ils rient dans un contexte triste et, inversement, pleurent dans un moment joyeux. Mais jamais ils n’adoptent une autre personnalité que la leur.

Ils ont un retard mental

FAUX La schizophrénie n’altère pas les capacités intellectuelles mais plutôt la mise en œuvre de ces capacités. De ce fait, les troubles peuvent perturber les fonctions comme l’attention, la mémoire, l’apprentissage et la compréhension. En réalité, le niveau intellectuel des personnes concernées varie comme dans le reste de la population. Ainsi, le mathématicien John Forbes Nash, Prix Nobel d’économie en 1994, était schizophrène.

Ils souffrent essentiellement d’hallucinations

FAUX Ce sont effectivement les symptômes les plus spectaculaires, mais ce ne sont pas les seuls. Ils sont associés à des idées délirantes, un déficit d’envie et une désorganisation de la pensée (d’où une incapacité à entreprendre). Ces hallucinations, perçues comme réelles, peuvent être visuelles mais aussi olfactives et en particulier auditives : les malades entendent des voix insultantes et dévalorisantes (« Tu es nul »). Cependant, il existe aussi des formes de schizophrénie sans (ou avec très peu) d’hallucinations. La maladie se traduit en effet de manière différente d’un individu à l’autre, avec des degrés de gravité plus ou moins importants. Le retrait social et les difficultés cognitives sont les manifestations les plus handicapantes. C’est pourquoi l’OMS a classé cette pathologie psychiatrique parmi les dix maladies les plus invalidantes au monde.

C’est une maladie rare

FAUX C’est encore une idée erronée qui provient de la forte stigmatisation, excluant ainsi les schizophrènes de la société. La mauvaise image dont souffre la maladie conduit les proches à la dissimuler et à se taire. Résultat, le grand public sous-estime les chiffres de prévalence. Or il est fort probable que nous connaissions tous quelqu’un concerné autour de nous. La schizophrénie est en effet deux fois plus fréquente que la maladie d’Alzheimer et cinq fois plus que la sclérose en plaques. En France, 600000 personnes en souffrent à des degrés divers. Elle touche des individus de toute origine ethnique, culturelle et de tout statut socio-économique.

Elle est incurable

FAUX Un rétablissement est possible. La plupart du temps, les symptômes aigus régressent avec une prise en charge appropriée – traitement médicamenteux de type neuroleptiques au long cours, psychothérapie et accompagnement psychosocial. Prise à temps, la pathologie se soigne de mieux en mieux. Malheureusement, la stigmatisation, le tabou et la méconnaissance de la maladie retardent de dix-huit mois en moyenne la première prise en charge. Les familles confondent souvent les premiers symptômes avec une crise d’adolescence. Or, dès le moindre signe alarmant – repli sur soi, perte d’intérêt, décrochage scolaire, troubles de l’attention, insomnie… –, il faut solliciter le médecin traitant ou s’orienter vers un centre médico-psychologique. Plus on intervient tôt, plus les chances de stabilisation et de rémission augmentent. Bien soignés et accompagnés, les patients peuvent construire un projet de vie.

Entretien avec Polo Tonka*, écrivain « N’ayez pas peur de nous »

Quels sont les clichés dont vous avez le plus souffert ?

Les gens me croyaient dangereux et violent. Si c’était vrai, cela poserait un vrai problème de sécurité, car la schizophrénie touche de nombreuses personnes. J’ai aussi entendu que je n’avais pas de volonté. « T’as qu’à travailler », me disait-on pendant mes études. Or la maladie affecte les circuits cérébraux de la motivation. Vous aurez beau vouloir la terre entière, vous n’y arriverez pas. Ce n’est pas de la paresse mais une anesthésie de la volonté.

Vous n’aimez pas le mot « schizophrène »…

Non, il est trop entaché de préjugés. Et, surtout, il est chargé d’un sens obscur et ténébreux. Quand on m’a dit que j’étais schizophrène, je me suis pris en pleine tête tout ce que la société véhicule. D’un seul coup, je me suis retrouvé avec quelque chose de très sombre qui me collait à la peau. Non seulement la maladie ne suscite aucune empathie, mais, en outre, elle est caricaturée. Et ça, c’est une souffrance. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup de mal à sortir ce mot quand j’entre en discussion avec quelqu’un. Je préfère le terme fou.

Quels messages donneriez-vous ?

N’ayez pas peur de nous. Nous sommes bien plus terrorisés que vous ne l’êtes et nous aurions besoin d’être rassurés. Imaginez que vous soyez traqué par un criminel, vous seriez sans doute effrayé. Mais vous auriez la possibilité de courir plus vite, de vous mettre à l’abri, d’appeler à l’aide… Nous, notre lieu du drame est notre propre cerveau. Il ne dispose d’aucune échappatoire. On a beau s’enfermer à double tour et se cacher sous les draps, les voix et les hallucinations visuelles sont toujours là…

*Moi, le fou, Odile Jacob.

La maladie en 4 points 

1. Elle affecte le système nerveux central, altère les fonctions cognitives et perturbe le cours de la pensée. Ce n’est pas un trouble psychologique mais une vraie atteinte du cerveau.

2. Elle se déclenche le plus souvent entre 15 et 25 ans, période clé de la maturation cérébrale. Exceptionnellement, elle peut apparaître pendant l’enfance ou après 30 ans. Elle touche de manière égale hommes et femmes, et évolue tout au long de la vie.

3. Ce n’est pas une maladie génétique. Néanmoins, si l’un des deux parents est concerné, le risque d’en être atteint augmente.

4. Parmi les causes reconnues de la maladie, les facteurs environnementaux et personnels jouent également un rôle prépondérant : en particulier les infections virales pendant la grossesse et le stress psychologique. Les substances toxiques, en particulier le cannabis, ont un effet délétère.

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