100 millions de dollars d’une provenance qui interroge, des fondations opaques… Six ans après son abdication et moins d’un an après son retrait de la vie publique, le roi Juan Carlos Ier d’Espagne va devoir s’expliquer. Son fils le roi Felipe VI d’Espagne n’a pas attendu et a pris des mesures sans compromis.
Rien n’aura été épargné au début de règne du roi Felipe VI d’Espagne : monté sur le trône en juin 2014 en pleine crise de confiance (et économique), son père et prédécesseur le roi Juan Carlos Ier ayant abdiqué dans l’opprobre après une chasse à l’éléphant au Botswana payée par un homme d’affaires syrien et soldée par une fracture de la hanche nécessitant une opération, le nouveau souverain avait hérité du scandale de corruption de l’Institut Noos. Confronté à cette affaire de détournement de fonds dans laquelle son beau-frère Inaki Urdangarin allait être reconnu coupable (il purge actuellement sa peine de cinq ans et dix mois de prison), Felipe n’avait pas tardé à prendre des mesures drastiques, écartant sa soeur l’infante Cristina et son époux de la famille royale et leur retirant leurs titres de duc et duchesse de Palma.
Un cadeau de 100 millions de dollars qui dérange, la maîtresse de Juan Carlos impliquée
Dimanche 15 mars 2020, Felipe VI d’Espagne a été amené à s’exprimer et à prendre de nouvelles décisions radicales à l’aune d’un autre scandale de corruption touchant son père Juan Carlos : en réaction à des révélations faites dans la presse d’une donation de 100 millions de dollars que l’ancien monarque aurait perçue et dont lui-même serait second bénéficiaire après lui, l’époux de la reine Letizia a signalé qu’il renonce intégralement à l’héritage de son père, mais aussi qu’il lui retire sa dotation annuelle, estimée à 194 000 euros.
Moins d’un an après que le roi Juan Carlos Ier a annoncé son retrait de toutes activités publiques, le quotidien suisse La Tribune de Genève avait quelques jours plus tôt porté l’affaire à la connaissance du public. L’ancien souverain est dans le collimateur de la justice helvétique pour une donation de 100 millions de dollars reçue en 2008 du roi d’Arabie saoudite, qu’il aurait dissimulée en Suisse avant d’en offrir en 2012 les deux-tiers (65 millions) à sa maîtresse Corinna Larsen (ex-Sayn-Wittgenstein) – la fameuse Corinna qui, entre autres, était avec lui lors de son safari au Botswana. Alors que le parquet espagnol s’est par suite saisi aussi du dossier, le quotidien britannique The Telegraph ajoutait de nouvelles révélations embarrassantes, avançant que le roi Felipe serait enregistré comme bénéficiaire en second (après son père) d’une certaine Fondation Lucus, fondation offshore (domiciliée au Panama) dont le compte en Suisse abritait les sommes perçues par Juan Carlos.
« Cohérent« , Felipe renonce à tout héritage et prive Juan Carlos de sa rente
A la lumière de ces allégations, Felipe VI d’Espagne, qui avait imprimé une volonté inflexible d’intégrité et de transparence à sa prise de fonctions, a promptement et fermement réagi par voie de communiqué. Un communiqué qui commence d’ailleurs par rappeler cette ligne de conduite intransigeante : « Dans son discours de proclamation devant les Cortes Generales le 19 juin 2014, Sa Majesté le roi a dit que la Couronne doit (…) assurer la dignité de l’institution, préserver son prestige et observer une conduite droite, honnête et transparente, comme il sied à sa fonction institutionnelle et à sa responsabilité sociale.«
Première conséquence directe, « en cohérence » avec cette profession de foi : Felipe renonce à son héritage. « Sa Majesté le roi, est-il stipulé, souhaite qu’il soit publiquement connu que le roi Juan Carlos est au courant de sa décision de renoncer à l’héritage de Juan Carlos qui pourrait lui revenir personnellement ainsi qu’à tout actif, structure d’investissement ou financière dont l’origine, les caractéristiques ou la finalité peuvent s’avérer non conformes à la légalité ou aux critères de rectitude et d’intégrité (…). »
Deuxième conséquence directe : « Sa Majesté le roi Juan Carlos cesse de percevoir l’allocation fixée dans les Budgets de la Maison de Sa Majesté le roi. » Bien qu’il ait mis un terme en juin 2019 à ses activités pour le compte de la Couronne, l’ancien souverain touchait encore une rente estimée à 194 000 euros.
Protéger la princesse Leonor…
Felipe VI d’Espagne poursuit en précisant qu’il ignorait totalement qu’il était désigné comme bénéficiaire de la Fondation Zagatka (laquelle auraitfinancé des millions d’euros de vols en jets privés pour Juan Carlos) et que, si cette information devait s’avérer exacte, elle tomberait sous le coup du point précédemment évoqué dans sa déclaration – la renonciation à tout héritage de son père. A propos de la Fondation Lucus, il signale par ailleurs avoir été informé de son existence et de sa désignation comme bénéficiaire en date du 5 mars 2019. Suite à quoi, il avait, le 21 mars, fait savoir que ni lui ni la Maison royale « n’avaient la moindre connaissance, participation ou responsabilité que ce soit« , puis, le 12 avril 2019, s’était assuré par un courrier à son père, attesté par un notaire, « que si sa désignation ou celle de la princesse des Asturies en tant que bénéficiaires de la Fondation susmentionnée était vraie, il annulait une telle désignation« . On constate que, bien avant que l’affaire soit rendue publique, le roi Felipe avait pris les devants et avait eu la présence d’esprit de protéger son héritière, sa fille aînée la princesse Leonor (14 ans), en statuant « qu’elle n’accepterait aucune participation ou avantage dans cette entité« .
Les derniers points du communiqué émis par la Maison royale concernent spécifiquement le roi Juan Carlos, qui y adjoint quelques précisions : outre le fait qu’il certifie n’avoir jamais fourni d’informations à son fils le roi sur les deux fondations incriminées, celui qui présida aux destinées de l’Espagne pendant 38 ans après la dictature franquiste communique l’identité de l’avocat, M. Javier Sánchez-Junco Mans, qui assurera sa défense dans cette affaire. Car ce n’est que le début…
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