« Forfait pour la Coupe du monde en Australie, à cause d’une blessure au genou, Sandrine Gruda – capitaine et meilleure marqueuse de l’équipe de France de basket – regarde avec bienveillance ses coéquipières mener leur aventure sur les parquets australiens.
Avant le match qui opposera les Bleues à la Chine en quart de finale, elle se livre sur sa carrière sportive, son rôle de capitaine, de championne mais aussi sur son engagement pour lever le tabou de l’endométriose.
Marie Claire : La coupe du monde de basket Féminin 2022 a débuté la semaine dernière. Quel est votre regard sur l’évolution de votre discipline ces dernières années ?
Sandrine Gruda : Clairement, le basketball a fait un bond. Nous – les équipes premières en sélection – avons remporté plein de médailles ces derniers temps, que ce soit lors de l’Eurobasket ou encore lors des Jeux Olympiques (argent 2012 et bronze en 2020, ndlr).
Cela contribue naturellement à l’extension de ce sport, et surtout d’un point de vue statistique à beaucoup plus de licenciées. Le basketball se porte bien en France.
Loin des Bleues à cause d’une blessure, avez-vous pu échanger avec vos coéquipières en amont de la compétition ?
Oui, tout à fait. J’étais au sein de l’équipe de France pendant quasiment tout le mois d’août, donc j’ai vécu avec elles. J’ai pu voir la mise en route de notre groupe et je suis encore en contact avec elles. Je les suis de près.
Là, étant écartée du terrain et puis elles sont en compétition, je reste discrète pour leur donner la latitude pour pouvoir évoluer avec leurs forces en présence. Je les ai vues progresser, et j’ai bien sûr observé comment elles ont abordé leurs matchs de groupe.
Depuis 2021, vous êtes capitaine de la sélection nationale. Quelles sont les compétences à avoir pour être une bonne capitaine ? Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Ça fait 17 ans que je joue en pro et j’en ai vu des capitaines, et elles avaient toutes des qualités différentes. Pour ma part, je pense qu’il faut déjà être accès sur l’humain, c’est-à-dire que moi je représente les joueuses avant tout. Je fais évidemment le lien entre les joueuses et le coach, et a fortiori les membres du bureau.
Mais j’estime qu’il faut être à l’écoute, dans la communication… Il faut pour pouvoir fédérer un groupe qui peut ne pas se connaître afin d’atteindre un objectif commun. Il y a également un travail émotionnel à faire car parfois, il y a des baisses de forme et de régime. Il faut donc être présente et soutenir les filles moralement.
Sur le terrain, je suis beaucoup dans la transmission et dans le partage de mes savoirs personnels. S’il y a des conseils à prodiguer pour que la joueuse puisse mieux s’épanouir ou évoluer, je n’hésite pas.
Capitaine ou pas capitaine, je le faisais déjà et je constate que les filles beaucoup plus jeunes que moi sont demandeuses de ça.
Quel est votre plus beau souvenir sportif, en sélection nationale ou durant votre carrière pro ?
C’est difficile de répondre à cette question parce que j’ai gagné beaucoup de titres, et tous ces titres ont une saveur très particulière.
Faire un classement, ce serait diminuer les faits et les conséquences de ce titre dans mon palmarès.
Mais mon top 3 en Bleu, ce serait la médaille de bronze lors des Jeux Olympiques de Tokyo (2021), la médaille d’argent aux Jeux Olympiques de Londres (2012) et le titre de championnes d’Europe qu’on a réussi à décrocher en 2009.
C’est quoi le plus difficile à gérer quand on est sportive de haut-niveau ?
Pour ma part – parce qu’on est toutes différentes – le plus difficile, c’est premièrement de faire comprendre à la structure pour laquelle je joue, que je suis complètement axée sur l’objectif collectif.
Il faut savoir que dans le basket en Europe, il y a une certaine infantilisation des joueuses assez automatique. Et qui dit infantilisation, dit que je pense comme une enfant et que je ne suis pas responsable.
Dans le basket en Europe, il y a une certaine infantilisation des joueuses assez automatique.
À chaque fois, j’ai l’impression qu’il me faut faire comprendre à mon interlocuteur que je suis une adulte – donc que je suis responsable – mais aussi, que si je suis là c’est parce que j’ai un objectif qui est la gagne. À partir du moment où ce cap là est passé, tout roule.
Ensuite, d’un point de vue plus global pour une sportive de haut niveau, l’une des choses les plus difficile, c’est la gestion de la douleur. C’est un sentiment d’alerte avec lequel on vit et qui fait partie de notre quotidien. Il faut savoir s’écouter pour savoir quand l’alerte est telle qui faut que le staff médical intervienne. On a parfois une mauvaise interprétation de ce qu’on peut ressentir, et derrière ça peut avoir des répercussions conséquentes.
Je pense que pour certaines personnes, on peut aussi ajouter la gestion du stress, qui peut être difficile également.
Parlons records. Vous êtes actuellement la 5ème marqueuse des Bleu.es hommes et femmes confondus. C’est important pour vous ce type de records ?
Je ne dirais pas que c’est important, mais gratifiant. Ça vient couronner tout le travail effectué pendant toutes ces années, et même valider ma vision du haut niveau et l’implication nécessaire pour atteindre ces objectifs. Donc, j’en suis contente.
Maintenant je dois vous avouer que depuis que j’ai ce titre-là, ça apporte aussi davantage de poids et de crédit à ma parole.
Concernant la santé maintenant. Vous avez pris part à une campagne sur l’endométriose. C’était important de vous engager dans cette cause ?
Tout d’abord je suis moi-même porteuse de la maladie, donc je connais mon sujet.
Il s’avère qu’à l’époque, j’avais un talk show en live sur Instagram et je trouvais que ce terrain de communication correspondait parfaitement au sujet. J’ai commencé à en parler, sans penser aux retombées que ça aurait. Je n’avais pas conscience que c’était si tabou, si difficile pour les femmes d’en parler ou même de vivre avec. Cette cause avait besoin d’un porte-parole et c’est comme ça que j’en suis devenue une.
Comment cette pathologie a affecté votre carrière ?
Il faut savoir que lorsqu’on est atteintes d’endométriose, dans la médecine conventionnelle, on est sous pilule sans interruption. Ça permet de cacher la douleur, mais ça ne soigne pas.
Avant d’être diagnostiquée en 2013 (aux États-Unis), je prenais des anti-inflammatoires en grandes quantités. Je vivais dans un état d’angoisse permanent. J’arrivais à gérer la douleur en fonction de mes différents matchs et entraînements, mais au fil du temps, ça devenait compliqué. Et en consultant l’option de la pilule est venue et ça m’a vraiment aidée à pouvoir jouer.
De manière plus générale, pensez-vous en tant que championne qu’il faudrait mieux prendre en compte le cycle menstruel et ses spécificités dans l’entraînement et la préparation des sportives ? Des choses sont-elles déjà mises en place ?
Oui, je pense que les clubs devraient considérer les règles lors de la préparation physique ou d’une pratique sportive. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, en tout cas je n’ai pas été dans des clubs où on prenait vraiment en compte les règles, encore moins l’endométriose. Mais aujourd’hui on a une piste où on peut mentionner qu’on a nos règles ou pas. C’est un premier pas.
Maintenant à titre personnel, c’est quelque chose que j’ai intégré dans mon quotidien. J’ai une application qui me permet de savoir quand j’ai mes règles et de comprendre aussi le niveau d’effort que je peux fournir en fonction de la période où je me trouve. Donc c’est beaucoup plus précis que de dire, “j’ai mes règles ou pas mes règles”.
Par exemple en période d’ovulation, je sais qu’il faut lever le pied alors que quand il y a les règles, au contraire, là on peut vraiment travailler normalement.
C’est toutes ces subtilités qui ne sont pas encore présentes dans le sport aujourd’hui.
Vous avez débuté en 2016, une formation en journalisme par correspondance. Vous pensez souvent à votre après-carrière sportive ?
Oui clairement. Je n’ai pas été au bout de cette formation-là, mais c’est vrai que nous les femmes contrairement aux hommes, nous sommes généralement beaucoup plus dans l’anticipation.
Les statistiques qui montrent que les athlètes sont en déroute après leur carrière sportive, généralement il s’agit davantage des hommes. En tout cas, c’est ce que j’ai pu voir autour de moi.
Même si on ne sait pas toujours ce qu’on veut faire après notre carrière sportive, nous sommes nombreux.ses à vouloir redonner à la communauté. En l’occurence on est nombreux.ses à avoir des associations, des fondations. On s’implique dans la société, on veut aider d’autres jeunes ou jeunes adultes à pouvoir atteindre leurs objectifs qu’ils soient personnels ou scolaires.
Pour ma part, j’ai une association qui s’appelle Jeux et Enjeux qui vient en aide aux adolescents. J’ai créé cette association pour plusieurs raisons : la première, c’est pour que les Martiniquais puissent mieux appréhender leur déracinement, notamment lorsqu’ils partent faire des études à l’étranger. Mais aussi pour pouvoir aider la jeunesse martiniquaise au sujet du décrochage scolaire. Il faut pouvoir être présent pour pouvoir mieux accompagner les jeunes qui en ont besoin. En bref, on propose une pédagogie qui vient compléter l’éducation parentale et scolaire. »
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