Le 11 mai prévoit le retour à l’école de certains écoliers. Mais dans quelles conditions ? La question reste entière. Face à cette annonce, les mères de famille qui travaillent tentent désespérément de s’organiser et de poursuivre leur vie professionnelle.
À quinze jours de la réouverture des classes, le flou demeure total. Toutes les écoles vont-elles réouvrir ? Comment les gestes barrières vont-ils être assurés ? Tout ce que l’on sait, c’est que le retour à l’école se fera sur la base du volontariat des parents. Mais dans ces conditions, difficile pour eux de se projeter. Surtout pour ceux qui jonglent depuis près d’un mois et demi entre la garde de leurs enfants et le travail à la maison. Nous avons interrogé quelques unes de ces mères actives et pour elles, le retour à l’école est loin d’annoncer une conciliation plus facile des temps de vie.
« Le retour à l’école ne m’allège pas du tout »
«Le télétravail plus la garde des enfants et la classe à la maison ça rend marteau, mais le retour à l’école ne m’allège pas du tout pour travailler», confie Sophie (1). La journaliste a quitté Paris pour la Normandie avec ses deux enfants, le temps du confinement, et télétravaille. Le plus jeune est en grande section, et l’aînée en CP, «une classe charnière comme ils disent (les professeurs NDLR), mais même si ça me fait culpabiliser, je ne sais pas si je la remettrai à l’école le 11 mai», confie cette mère célibataire.
Le problème, en dehors d’un retour à Paris dans des conditions de confinement beaucoup moins agréables, est celui de la garde des enfants. Sans solution, reprendre une activité à temps complet, même en télétravail, est impossible. «Les modalités de leur retour à l’école sont trop morcelées, qui peut s’organiser comme ça, surtout avec plus d’un enfant ?», s’étonne-t-elle. Le calendrier prévoit en effet un déconfinement scolaire échelonné : le 11 mai pour les élèves de grandes sections, de CP et de CM2, le 18 mai pour les 5e, 3e, premières et terminales, et le 25 mai pour les autres. Le tout plafonné à 15 élèves par classes. Il n’est pas certain non plus que les écoliers auront cours tous les jours, ni toute la journée. Pour Sophie, pas question de demander aux grands-parents de jouer les baby-sitters à cause des risques liés à la contraction du Covid-19. Séparée du père de ses enfants, elle ne peut pas non plus compter sur une garde alternée. «C’est un véritable casse-tête, soupire-t-elle, et pour trois semaines de cours, est-ce que ça vaut vraiment la peine ?»
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La crainte d’une carrière pénalisée
L’organisation, c’est aussi le souci principal de Louise, confinée à Montpellier avec ses trois enfants : l’un est en 6e, un autre en 4e et le troisième en seconde. La garde alternée fonctionne bien et lui permet de s’investir totalement sur son travail quand c’est au tour de son ex-mari. Mais quel que soit l’âge des enfants, «l’activité professionnelle est incompatible avec le fait de s’occuper d’eux», affirme cette responsable administratif et financier dans une start-up. Tant qu’ils ne retourneront pas tous à l’école à temps complet, cette mère de famille devra continuer d’assurer les cours à la maison. Une tâche qui se complique à mesure que les enfants avancent dans leur scolarité. «On ne maîtrise pas tous les sujets, ni tous les niveaux, confie Louise. Et mon petit dernier a des problèmes de dyslexie et de dysgraphie, donc avec lui le travail scolaire demande beaucoup de temps.»
Jusqu’à présent, le dialogue avec son supérieur hiérarchique est plutôt vertueux, et il est prévu qu’elle puisse poursuivre son travail en chômage partiel lorsque les écoles réouvriront. Malgré tout, elle craint que cette situation ait un impact négatif sur sa vie professionnelle. «Je fais tout mon possible, mais cela ne correspond pas à ses attentes, explique-t-elle. Ça lui pèse de devoir gérer les choses pour lesquelles je ne suis pas disponible et cela crée des tensions. J’ai peur qu’inconsciemment ces mauvaises impressions restent.» Or la réouverture des écoles ne signifie pas forcément plus de temps de travail disponible pour les femmes actives. Quelles dispositions peuvent être prises dans ce cas ?
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L’arrêt de travail arrive à son terme
Aujourd’hui la règle est claire : le télétravail est obligatoire lorsqu’il est possible. Reste à savoir si elle sera toujours en vigueur à partir du 11 mai. «Si c’est le cas, les salariés pourront refuser de revenir travailler en présentiel, explique Sonia Moreau, avocate spécialiste du droit du travail. Sinon, pour poursuivre en télétravail, il faudra négocier.» Mais comme le montrent les témoignages de Louise et Sophie, le télétravail est souvent incompatible avec la garde des enfants, et la réouverture des écoles ne semble pas résoudre ce problème, au contraire.
Changement d’organisation aussi pour ceux qui bénéficient d’un arrêt de travail pour garde d’enfant. «À partir du 1er mai, le chômage partiel devrait prendre le relais, signale l’avocate. Pour l’instant ce n’est qu’une annonce, mais elle doit faire l’objet d’un amendement dans les jours à venir.» L’objectif selon Me Moreau : éviter une perte de rémunération aux employés. Une mesure qui pourrait aussi leur faciliter la tâche pour concilier travail et famille.
La solution : la négociation
Depuis la publication d’une ordonnance le 23 avril, le chômage partiel, mesure jusqu’à présent collective, est désormais plus individualisée. «Certaines entreprises vont choisir l’activité partielle sur la base du volontariat pour privilégier ce qui a du sens pour leurs employés, explique Sonia Moreau. La plage horaire du chômage partiel est imposée par l’employeur, mais en réalité cela fait l’objet d’une discussion préalable avec l’employé.» Une solution qui permettra peut-être de compartimenter davantage les temps de travail et ceux de garde, car le mélange des deux ne saurait durer.
«On voit les effets psychologiques sur ceux qui télétravaillent depuis le début, met en garde Sonia Moreau. Si la situation devient intenable, il ne faut pas hésiter à se rapprocher des délégués du personnel. Il en va de la santé des salariés. Les familles monoparentales sont les plus exposées financièrement et celles pour qui la garde des enfants est la plus compliquée. Mais je suis optimiste, des textes de loi vont probablement être rédigés pour les sécuriser.»
En attendant, et pour éviter le burn-out à domicile, la première étape est d’essayer de trouver un compromis avec sa hiérarchie. «Le salarié peut demander une charge de travail allégée ou un aménagement d’horaires, pourquoi pas poser des RTT, des congés payés ou sans solde en solution ultime. Mais cela dépend de la compréhension de l’employeur», confie Sonia Moreau. Pour mettre toutes les chances de son côté, pourquoi ne pas suivre les conseils d’une experte ?
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Les clés d’une négociation apaisée
Toquer à la porte de son patron, ou l’appeler en temps de confinement, pour exprimer une requête, n’est pas toujours chose aisée. La conciliation des temps de vie cristallise de nombreuses tensions au sein d’une hiérarchie et les femmes sont encore les premières à en pâtir. Mais selon Sandrine Meyfret, coach spécialisée dans le management, le leadership et dans la question du genre, le confinement a peut-être aidé à faire évoluer les mentalités. «Les temps ont changé, explique-t-elle. Les managers se sont eux aussi retrouvés en télétravail, les hommes comme les femmes. Ils se sont rendus compte que la frontière entre vie privée et vie professionnelle n’est pas si épaisse et que plus on la rend fluide, plus c’est facile. J’ai l’impression qu’ils seront plus à l’écoute, en particulier les messieurs.» Cela dit, quelques phrases clés peuvent aider à aborder ce moment un peu délicat de façon plus sereine.
«Anticiper, proposer des solutions et formuler de phrases positives» sont les trois ingrédients pour négocier dans les meilleures conditions, selon la coach. L’idéal, ne pas attendre la veille du 11 mai pour contacter votre patron. «La dernière chose à faire est de jeter le problème au visage du manager et de lui demander de se débrouiller avec», prévient Sandrine Meyfret. Ensuite, exposer les faits de façon calme et concise, par exemple : « Comme tu le sais la situation est compliquée, les écoles réouvrent mais… » Deuxième étape : proposer des solutions, et surtout s’y tenir. «Quand on dit qu’on ne peut pas faire quelque chose, il faut dire ce que l’on peut faire à la place», conseille la coach. Pour cela, on formule des phrases positives, telles que «Je m’engage à». Au préalable, on peut aussi proposer de trouver une solution ensemble, en demandant : «Que peut-on mettre en place ?», ou «que puis-je te proposer ?» «Au vu du temps passé en télétravail, vous pouvez argumenter que vous savez le gérer», ajoute la coach.
Il est aussi possible de proposer une solution collective. «Plusieurs membres de l’entreprise sont sûrement dans des cas similaires au vôtre, souligne Sandrine Meyfret. Proposer une forme d’organisation collective sera aussi mieux reçu par le manager.» Enfin, avant de décrocher votre téléphone, chassez vos mauvaises pensées : «Il faut que les femmes se sentent à l’aise, qu’elles ne culpabilisent pas, insiste la coach. Mais attention à ne pas se laisser gagner par le stress ou la fatigue. La situation est inédite pour tout le monde, donc personne n’a la solution a priori.»
(1) Certains prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat de certains des témoins.
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