« Si je dois vous expliquer ma science, alors c’est que vous n’y avez rien compris ». Marie Curie n’avait pas peur de défendre sa fierté, ni de revendiquer ce qui lui appartenait : un génie scientifique parmi les plus grands de l’Histoire de l’humanité. Il lui a valu deux Prix Nobel : un, partagé, pour des recherches sur les radiations, et un à son nom pour la découverte du radium et du polonium. Elle fut non seulement la première femme à remporter un Nobel, mais aussi, la seule, encore à ce jour, à avoir reçu deux Prix Nobel dans des catégories différentes. 

Comment raconter la vie foisonnante et moderne de cette Polonaise naturalisée française sans trahir sa force ni occulter les difficultés auxquelles elle a été confrontée, en tant que femme moderne, au tournant des XIXe et XXe siècle ? Marjane Satrapi s’y attelle avec brio avec Radioactive, film biographique féministe avec une approche toute personnelle, en salle le 22 juin 2020, avec Rosamund Pike (Gone Girl, Hostiles) dans le rôle principal. Il est diffusé sur Canal plus le mardi 16 février, à 21h07.

Marie Sklodowska, avant Marie Curie

Avant d’être l’épouse de Pierre Curie, joué ici par Sam Riley (Maléfique, Control), qui fut son partenaire de laboratoire pendant à peine une dizaine d’années, Marie Curie se nommait Marie Sklodowska. On le dit d’ailleurs peu, mais la physicienne et chimiste avait opté pour un nom de famille composé, lorsqu’elle épousa le scientifique français en 1895. 

Radioactive montre Marie Sklodowska alors qu’elle vit et travaille déjà à Paris, jeune adulte qui a trouvé refuge en France après avoir fui l’empire russe, qui empêchait les femmes de poursuivre des études supérieures.

Dans le film, c’est en pleine rue qu’elle rencontre Pierre Curie. Après un échange qu’elle écourte, elle le croise à nouveau lors d’une soirée. Ce dernier, qui apprécie déjà son travail, lui propose de rejoindre son laboratoire. Non sans le prévenir qu’elle refuse de devenir son amante, Marie Sklodowska accepte son offre, lasse de se voir refuser une place partout ailleurs, depuis que l’éminent Gabriel Lippmann rechignait à lui offrir suffisamment de place pour ses études sur la radioactivité. 

Pourtant, rapidement, une complicité naturelle naît entre Marie Sklodowska et Pierre Curie, qui est séduit par son intelligence et son aplomb, tandis qu’elle, se sent acceptée pour qui elle est : une femme brillante qui ne veut pas se rabaisser pour ménager des egos. En ce sens, Radioactive offre le portrait d’un couple touchant, égalitaire et complémentaire, et l’alchimie opère entre Rosamund Pike et Sam Riley.

Tendre, respectueux et impliqué, Pierre Curie aura été le grand amour de Marie Sklodowska-Curie, ce qui se mesure notamment au chagrin immense, ravageur, qui la traverse lorsqu’il meurt accidentellement. Aux côtés de la dépouille de son époux, seule dans une pièce tamisée, la grande scientifique laisse exploser sa tristesse, qui irise l’écran de couleurs verdoyantes et de flashs aveuglants. L’une des scènes les plus poignantes de Radioactive.

Se tailler sa place

Très vite, Marie Sklodowska explique à Pierre Curie qu’elle pense avoir trouvé un nouvel élément n’existant pas encore dans le tableau périodique les répertoriant. En 1898, à force d’efforts et de tonnes de pechblende écrasés, chauffés et distillés dans un dangereux processus de raffinage, le couple découvre finalement deux nouveaux éléments : le radium et le polonium, bien plus radioactifs que l’uranium.

L’effort est d’autant plus incroyable que les moyens dont ils disposaient, un atelier poussiérieux et non-sécurisé, étaient ridicules. Les scènes montrant Rosamund Pike à l’oeuvre, portant des sacs de pechblende qu’elle fend ensuite avec un bâton de fer, jusqu’à en avoir les mains rouges et les joues noires, font ressentir la dureté de la tâche.

En 1903, Pierre et Marie Curie, ainsi que leur associé, Henri Becquerel, obtiennent le Nobel de physique pour ces recherches sur les radiations, ce que le film décide d’omettre pour concentrer la récompense sur le couple Curie. Grâce à lui, la recherche d’un traitement contre le cancer a bondi d’un coup.

Affaiblie après une grossesse difficile, Marie Curie ne peut accompagner son époux à Stockholm récupérer leur prix. Ce dernier doit d’ailleurs se battre pour que le nom de son épouse soit bien mentionné, ce qui n’était pas le cas. Le film offre d’ailleurs l’une de ses scènes-clés lorsqu’il est accueilli, après son voyage en Suède, par une épouse furibonde parce qu’il aurait prononcé son discours de remerciement à la première personne. 

Il lui faut attendre 1911 pour recevoir un Prix Nobel qui lui est dédié : le Nobel de chimie, pour sa découverte du radium et du polonium. La reconnaissance méritée d’un travail qu’elle avait commencé bien avant d’être l’épouse et collaboratrice de Pierre Curie.

Dans Radioactive, la physicienne n’hésite pas à remettre son mari à sa juste place : c’est bien elle qui est la plus intelligente des deux. Lui a suffisamment d’humilité et de bon sens pour l’accepter, tout en essayant de lui apprendre à baisser sa garde et accepter, parfois, un peu d’aide. Une dynamique complexe, qui se niche au détour de dialogues bien ficelés.

Une femme en avance sur son temps

Dévastée par le chagrin, Marie Curie cherche le réconfort dans les bras de Paul Langevin, partenaire de laboratoire du couple. Bien mal lui en prend : l’homme est marié, et leur correspondance suggestive est dévoilée dans la presse. De coqueluche de la science, femme qui brise le plafond de verre scientifique, elle devient une paria. 

Là où les trolls haineux s’agglutinent en commentaires désormais, les critiques anonymes et virulents de la physicienne se placent directement sous sa fenêtre. « Une femme qui parle de plaisir sexuel, vous comprenez bien », balaie Marie Curie auprès de sa soeur, même si le harcèlement dont elle est victime, au fond, l’affecte.

Le regard de Rosamund Pike à travers la fenêtre, se posant sur ces silhouettes sombres qui l’insultent et lui demandent de « rentrer dans son pays », est pétri de lassitude et de tristesse. Une scène violente qui contraste avec le fait que ses deux filles dorment paisiblement dans la chambre adjacente. 

Si elle a tout fait pour être le plus indépendante possible, Marie Curie se retrouve prise au piège des mêmes questionnements endurés par toute mère de famille : comment trouver un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée ? Dans quelle mesure protéger ses filles de l’intolérance et du sexisme, tout en leur inculquant les mêmes valeurs de liberté et d’audace qui l’ont toujours portée ? Comment aimer un pair et ne pas se retrouver inévitablement dans son ombre ? 

La seconde moitié du film explore d’ailleurs le rapport de Marie Curie à la parentalité. « Tu dois toujours penser à quelque chose », dit-elle à sa fille Irène, qui marchera dans ses pas par la suite, armée de la même force de caractère.

La touche Satrapi

La science est un domaine compliqué à adapter sur grand écran. La réalisatrice Marjane Satrapi réussit le pari de rendre les découvertes de Marie Curie limpide, avec une vulgarisation qui n’enlève rien à son prestige. 

L’artiste iranienne, nommée aux Oscars pour Persepolis, propose une mise en scène qui lui est particulière, et rappelle à certains moments la fantasmagorie de Voices (2015), thriller drôle et gore dans lequel Ryan Gosling joue un tueur agissant sous l’impulsion d’animaux qui lui parlent. 

Pour ajouter du dynamisme et de la poésie, Marjane Satrapi joue sur les superpositions d’époques, et de plans. Si le film montre la vie intime de Marie Curie, il fait aussi la démonstration des dérives de son travail, et de manière originale. 

D’un coup, le spectateur se retrouve dans les pop années 60, dans un faux village bâti au milieu du désert pour être détruit par une bombe, pour le simple plaisir de touristes curieux et voyeurs. L’alignement robotique des personnes ayant payé 50 centimes pour ce spectacle morbide rend compte d’une culture du divertissement sans âme, qui met le spectateur dans la salle de cinéma mal à l’aise. La saturation du bleu du ciel et du jaune du sable contrastent avec les nuances bleues, grises et vertes qui dominent le reste du film, et l’horreur de ce qui se produit sous nos yeux. 

Tchernobyl et Hiroshima sont aussi montrés, avec une mise en scène cauchemardesque, mais là aussi, très esthétique, entre le film noir et le gothique, chers à Satrapi. La physicienne traverse ces catastrophes, impuissante. 

Avec ce choix narratif, Marjane Satrapi relie véritablement Marie Curie à l’Histoire, elle qui a tout fait pour avoir la place qu’elle y méritait. Cela remet le politique dans le personnel, et rend compte à quel point le travail d’une vie peut vous échapper, alors que la physicienne a dû, dès son vivant, faire face aux critiques sur les effets secondaires des traitements de radiothérapie pour soigner le cancer. 

Avec un montage enlevé, des dialogues ciselés et une mise en scène inventive, Radioactive offre un portrait nuancé, dynamique et féministe de Marie Curie, à la fois intime et politique. 

Radioactive, de Marjane Satrapi, avec Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin Barnard

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