- Un homme qui donne la vie : l’argument biologique en déroute
- En France, les hommes trans exclus de l’accès à la PMA
- L’homme enceint, entre transphobie et conservatisme sexiste
« Au Planning, on sait que les hommes aussi peuvent être enceints ». Depuis le 18 août 2022, la dernière campagne du Planning Familial – et notamment l’affiche montrant un homme enceint avec son partenaire – est fustigée sur les réseaux par des personnes ne reconnaissant pas la possibilité pour les hommes de porter la vie.
Pourtant, c’est une réalité qui n’a rien de nouveau. Le 29 juin 2008, l’Américain Thomas Beatie donnait naissance à Susan Juliette, sa première fille. Sept ans plus tard, le public découvrait l’histoire de cette grossesse inédite, via un court-métrage nommé Hippocampe. En 2016, Thomas participait à la dixième édition de Secret Story, avec pour secret “Je suis le premier homme enceint au monde”.
Et Thomas Beatie n’est évidemment pas le seul. Pourtant, six ans plus tard, l’image d’un homme enceint semble toujours déranger. En mai 2022, c’est une campagne d’affichage Calvin Klein qui était vivement critiquée. Au premier plan de cette série de photos polémique, Roberto et Erika, futurs parents. Sous les cicatrices de mastectomie, le futur papa d’origine brésilienne affiche un ventre rond, que sa compagne entoure chèrement.
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“J’étais véritablement heureux.se de voir cette campagne, car les personnes trans sont toujours exclues du sujet de la grossesse. Cela montre qu’elles sont comme tout le monde, qu’elles veulent fonder une famille comme les autres”, se réjouit D. Ojeda, docteur.e en philosophie et défenseur.euse des politiques publiques au Centre National pour l’Egalité des Transgenres, aux États-Unis.
Au même moment, l’apparition d’un émoji d’homme enceint enflammait les débats, et ulcérait celles et ceux qui restent persuadés que la sacro sainte maternité doit rester l’affaire des femmes cisgenres au risque de provoquer une « apocalypse sociétale”.
Un homme qui donne la vie : l’argument biologique en déroute
Pourtant, s’il faut nécessairement être doté d’un utérus pour pouvoir porter un enfant, il ne suffit pas de posséder un utérus pour être une femme, et de posséder un pénis pour être un homme.
Ainsi, une personne transgenre est une personne dont le genre ne correspond pas à celui qui a été assigné à la naissance, en fonction de son sexe biologique. Ce qui, souvent, donne lieu à une dysphorie de genre, que le manuel MSD (manuel de diagnostics médical américain, ndlr) définit comme « une identification forte et permanente à l’autre genre associée à une anxiété, à une dépression, à une irritabilité et, souvent, à un désir de vivre en tant que genre différent du sexe attribué à la naissance. »
Si elle ne le désire pas, une personne transgenre n’a aucune obligation de modifier ses organes sexuels, ni de correspondre « physiquement » à son identité de genre. En ce sens, on distingue désormais le sexe biologique de l’identité de genre. “Les détracteurs invoquent la science, mais en réalité, la science est de notre côté”, argue D. Ojeda.
En définitive, un homme trans n’ayant pas subi de chirurgie de réattribution sexuelle ou de réassignation sexuelle (CRS) devrait pouvoir donner naissance normalement.
Toutefois, dans le cas où l’homme trans souhaite correspondre physiquement à son identité de genre, il se verra prescrit de la testostérone. Et on sait qu’une telle hormone a pour effet de développer la musculature et la pilosité, stopper les règles et par conséquent, rendre stérile.
À cela, le Dr D. Ojeda répond : “En réalité, même sous testostérone, il arrive que l’on puisse quand même mener une grossesse. Sinon, beaucoup d’hommes trans mettent leurs traitements en pause pour pouvoir tomber enceints.” Iel pointe toutefois la responsabilité des cliniques, rarement “trans friendly”.
En France, les hommes trans exclus de l’accès à la PMA
En plus d’être biologiquement habilités à enfanter, les hommes trans n’ont aucune interdiction légale de le faire. Tout du moins, en France.
Depuis la loi du 18 novembre 2016, les personnes trans ont la possibilité de faire modifier la mention de leur sexe à l’état civil sans avoir subi de traitement stérilisant. Ce qui indique qu’un homme trans possédant un utérus et des ovaires fonctionnels, n’a, en théorie, pas besoin d’aide pour mener à bien sa grossesse.
Sauf que, le droit “lie toujours accouchement et maternité”, rappelaient les signataires d’une tribune publiée dans Libération, le 9 janvier 2020. Concrètement, sur notre territoire, un homme qui accouche ne peut pas être reconnu comme père de l’enfant sur l’état civil.
C’est pourquoi le texte publié alors demandait à ce que l’on ouvre l’accès à la Procréation médicalement assistée (PMA) aux personnes trans. “Pour la plupart d’entre eux, cela sera la seule façon de devenir parent.” Le Dr. Ojeda va dans ce sens : « Les personnes trans doivent avoir le droit aux mêmes aides à la procréation que tout le monde ». Pour l’heure, ces personnes restent exclues. Malgré les contestations d’une association de défense du droit des personnes transgenres, le Conseil constitutionnel a validé vendredi 8 juillet 2022, l’exclusion des hommes transgenres de l’accès de la procréation médicalement assistée (PMA) inscrite dans la loi bioéthique.
Quelques mois auparavant, en novembre 2021, après des mois de débats houleux, l’Espagne annonçait pour sa part étendre la PMA aux personnes transgenres « en capacité de gestation ». Elle a ainsi rejoint la Belgique au rang des pays européens ayant la législation la plus permissive en termes de procréation médicalement assistée.
L’homme enceint, entre transphobie et conservatisme sexiste
En Europe comme ailleurs, l’homme enceint cristallise des siècles de transphobie et de misogynie. Encore aujourd’hui, pour une majorité, la grossesse reste inconditionnellement associée à la femme. Quitte à la réduire à ce rôle de ventre pour le restant de sa vie.
“À l’époque, on parlait des femmes et hommes comme du soleil et de la lune. Et les gens ont été assignés à croire qu’il n’y avait que deux genres, que c’était limité. Les personnes trans sont alors déshumanisées”, dénonce le Dr Ojeda.
“Il y a beaucoup de désinformation sur la transidentité. Les gens sont gênés, parce qu’ils n’ont aucune interaction avec les personnes, et les attaques perpétuelles venant des politiciens n’aident pas”, accuse Dr D. Ojeda. Pour iel, il est question d’éducation, et celle-ci doit commencer dès le plus jeune âge. “Je pense que l’empathie et la compassion commencent lorsqu’on autorise les enfants à ne pas se sentir mal à l’aise lorsqu’ils voient des personnes différentes d’eux”.
Pour læ militant.e, une campagne de l’ampleur telle que celle déployée par Calvin Klein en 2022 est nécessaire dans le sens où elle permet de visibiliser et de normaliser leur existence, mais surtout d’inciter les milieux médicaux à améliorer l’accueil et l’accompagnement de ces personnes désireuses de porter la vie.
“Dans les années 90 déjà, des hommes trans mettaient des enfants au monde, mais on n’en parlait pas. Aujourd’hui, ce phénomène se développe et devient visible. Selon les associations LGBT+, beaucoup de jeunes hommes trans pensent mener une grossesse”, expliquait Sally Hines, professeure de sociologie et d’identité de genre à l’université de Leeds, à Marie Claire dans un reportage en 2018.
En 2015, le Dr Karine Chung, directrice du programme de préservation de la fertilité à la Keck School of Medicine de l’Université de Californie du Sud, évoquait même l’idée que les hommes cisgenres puissent également tomber enceint, via une transplantation d’utérus, d’ici 2025. “L’homme n’est pas doté naturellement de quoi supporter un utérus (veines, hormones, vagin, cervix ) mais il n’est pas impossible de surmonter ces obstacles (…) l’anatomie masculine et féminine ne sont pas si différentes. À un moment ou un autre, quelqu’un parviendra bien à le faire”.
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