- L’émission brésilienne Faites de moi une reine est en ligne sur Netflix.
- Dans chacun des six épisodes, deux drag-queens aident un gay ou une lesbienne à créer son personnage de scène.
- « Faire du drag est un acte politique », assure une artiste dans l’un des épisodes. Une phrase qui prend d’autant plus de sens qu’au Brésil l’homophobie et la transphobie font des centaines de victimes chaque année.
Mardi, au siège du gouvernement fédéral, le président du Brésil, Jair Bolsonaro,
se distinguait par une sortie homophobe. « Il faut arrêter d’être un pays de pédés. Nous devons nous battre la tête haute, lutter », a-t-il déclaré. Il a employé le terme « maricas », désignant de manière péjorative les homosexuels, pour évoquer la lâcheté et minimiser l’ampleur de la pandémie de Covid-19 qui a fait plus de 162.000 victimes dans son pays.
Hasard de la programmation, Faites de moi une reine a été mise en ligne quelques heures plus tard sur
Netflix, dans le monde entier. Cette émission brésilienne, dont le titre original est Nasce uma Rainha, « Une reine est née », résonne et répond – indirectement – aux propos du chef d’Etat d’extrême droite. Dans chacun des six épisodes, un gay ou une lesbienne vient à la rencontre de deux drag-queens, Gloria Groove et Alexia Twister, pour créer et développer son propre personnage scénique tout en sequins et perruques exubérantes.
Dans un décor digne d’une telenovela, les néophytes s’exercent aux chorégraphies en talons hauts et apprennent les principales astuces de maquillage. Mais au-delà de cet aspect divertissant, le concept souligne combien l’art du drag peut être un moteur d’émancipation et de résilience.
« On vit dans le pays le plus homophobe au monde »
Les personnes qui se prêtent au jeu ont toutes fait leur coming-out, assument leur orientation sexuelle et entretiennent de bonnes relations avec leur entourage, mais faire la démarche de répéter un numéro pour le présenter sur une scène représente un moment fort pour elles, allant bien au-delà du simple amusement. « J’ai trouvé le domaine artistique qui me permet de m’exprimer de façon authentique, et ça c’est inestimable. Je ne vais pas m’arrêter là », assure l’une d’elles. « Après avoir réfléchi à tout ce que j’ai vécu de fou dans ma vie, je me dis que c’est aujourd’hui que je me suis trouvé », dit un autre.
En parallèle des répétitions, Daniel Garcia Felicione Napoleão, qui incarne Gloria Groove à la scène, s’entretient avec un proche de la drag-queen en devenir à laquelle est consacré l’épisode. A chaque fois, il s’agit de faire de la pédagogie car ces personnes – frère, tante, cousine… – expriment, souvent sans tact, leurs préjugés et leurs réticences à voir l’un des leurs s’épanouir en tant que drag-queen. La plupart déclarent redouter que cela les expose au rejet et aux discriminations.
« On vit dans le pays le plus homophobe au monde », affirme sans ambages Daniel à une femme inquiète pour son neveu, avant de lui présenter une jeune drag-queen, Eva X. « D’abord, j’ai fait mon coming-out à ma mère et ça a coincé. Mais j’ai vite compris qu’elle avait peur que les gens ne veuillent pas m’approcher, qu’ils m’insultent, me tabassent », témoigne-t-elle au côté de sa maman, engagée depuis dans l’association Mères pour la diversité. « Tu ne crois pas que, même quand on veut ce qu’il y a de meilleur pour quelqu’un, c’est son bonheur qui prime ? Voilà ce qu’il faut lui demander « Qu’est-ce qui te rend heureux ? » », conseille Eva X.
« On veut pouvoir rentrer chez soi en vie »
Dans un épisode ultérieur, une autre artiste, Loulou Callas, rappelle que « faire du drag est un acte politique ». Et d’expliquer : « C’est l’un des leviers des luttes LGBT. On doit descendre dans la rue, investir les espaces, crier : « Oui, on existe, on exige le respect, on veut pouvoir rentrer chez soi en vie, et oui, on aime les gens du même sexe. » »
Des propos qui prennent un sens d’autant plus fort qu’au Brésil, « toutes les 26 heures, une personne LGBT est assassinée ou se suicide en tant que victime de LGBTphobie », selon le rapport 2019 de l’ONG Grupo Gay da Bahia (GGB), qui collecte les statistiques nationales.
L’an passé, cet organisme a recensé 329 morts violentes de personnes LGBT (297 homicides, 32 suicides) liées à l’homophobie ou à la transphobie. Un chiffre en recul de 22 % par rapport à 2018. « L’explication la plus plausible de cette baisse tient au discours homophobe persistant du président de la République et surtout aux terrifiants messages des « bolsominions » [les soutiens de Bolsonaro] sur les réseaux sociaux au quotidien, conduisant la communauté LGBT à être plus prudente », avançait dans le dernier rapport mis en ligne Luiz Mott, créateur de Grupo Gay da Bahia.
Par ailleurs, en juin 2019, la Cour suprême brésilienne a criminalisé l’homophobie, désormais punissable, à l’instar des actes de racisme, de un à trois ans de prison ou d’amendes. Une décision qui avait provoqué la colère de Jair Bolsonaro. Derrière son apparence feel-good, Faites de moi une reine prend, une fois que l’on a ce contexte en tête, une dimension bien moins anecdotique.
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