L’année 2020 aurait dû marquer pour moi le début d’un nouveau chapitre de vie, avec mon entrée dans le monde du travail. Une marche difficile à gravir, surtout quand on sort d’un cocon de vingt ans à l’école. Mais n’est-elle pas plus compliquée à appréhender aujourd’hui, alors que la société essaye doucement de se relever d’une crise sanitaire sans précédent, tout en essayant de gérer le désastre économique créée par cette dernière ? Question rhétorique, cela va de soi. 

De nos jours, une grande partie des Français a peur pour son avenir notamment professionnel. Moi je fais partie de ceux qui ont peur alors qu’ils n’ont jamais eu d’emploi. Je vis avec cette angoisse d’avoir un diplôme estampillé « génération COVID ». Un diplôme obtenu sans avoir pu passer mes examens finaux ou valider la totalité de mes stages. Une situation complexe qui me laisse dans l’ambivalence la plus totale : dois-je allonger mon temps d’étude ou me jeter dans la gueule du loup au risque d’accentuer une précarité déjà bien installée.

Et vaisemblablement, je ne suis pas la seule. Selon un sondage mené par l’IFOP* en mai dernier, ce sont 43 % des étudiants qui déclarent ne pas être sereins quant à leur avenir professionnel. Témoignages de cette « génération sacrifiée » en mal d’avenir.

Pas encore diplômé et un marché déjà saturé

« On essaye de ne pas y penser, mais j’ai quand même déjà déposé quelques CV à droite, à gauche. Malgré les promesses de ma fac, qui assurait qu’on trouverait du travail directement à la sortie du M2, la réalité est tout autre », lance Anthony, 25 ans. Il fait parti des 750 000 étudiants en fin de cursus cette année, qui se retrouvent face à un marché du travail barricadé.

Le jeune (presque) diplômé en informatique spécialisé dans le big data a pourtant de l’expérience et de la fraîcheur à revendre. Des qualités qui ne suffisent vraisemblablement plus. »J’ai passé un entretien il y a deux semaines dans une boîte qui travaille dans l’énergie, témoigne-t-il, le recruteur me dit que mon CV est fourni, que j’ai fait beaucoup de choses, mais qu’il ne saurait pas à quel poste me caser. » Et lorsque que le jeune homme évoque le salaire qu’il tend à percevoir, on le regarde avec des gros yeux. On ne peut rien lui promettre, tout au mieux une semaine d’insertion dans l’entreprise.

Une proposition pas si étonnante quand on sait que dans son nouveau baromètre de l’insertion des jeunes diplômés bac + 4/5**, l’Association pour l’emploi des cadres annonce avoir observé une impressionnante chute des offres destinées aux jeunes diplômés en avril (moins 69% par rapport à avril 2019) et ne prévoit aucun signe d’embellie pour le moment. Rassurant. 

Une ambition limitée aux frontières

Aymeric, étudiant en Master 2 LEA Management International, fait partie de ceux qui ont pu passer leurs examens avant l’annonce du confinement. Il a aussi pu commencer son stage en télétravail. Même s’il peut paraître comme l’un des plus chanceux, son inquiétude concernant l’avenir reste aussi forte que celles de ses camarades.

« A priori, la COVID-19 n’a pas eu d’impact négatif sur ma fin d’année, mais il se trouve qu’elle est bien plus déstabilisante en ce qui concerne l’après de ma vie étudiante », commente le jeune homme de 23 ans. En effet ses 5 années de formation post-bac reposent sur l’échange culturel, la découverte, les marchés internationaux et l’économie mondiale. »Comment pleinement profiter de mes compétences si toutes les frontières ne sont pas de nouveaux ouvertes ? », s’interroge la jeune homme.

J’ai tout laissé alors que je comptais m’établir au Royaume-Uni à la fin de mes examens

En effet, s’établir à l’étranger, c’est encore plus difficile à imaginer.  Etudiante en FLE (français langue étrangère), Juliette effectuait en Erasmus à Reading, en Angleterre, où elle allait commencer un stage en école primaire quand le confinement a été prononcé en France. « J’ai dû rentrer en catastrophe mi-mars parce que ma faculté exigeait que les étudiants à l’étranger rentrent. J’ai tout laissé alors que je comptais m’établir au Royaume-Uni à la fin de mes examens », raconte la jeune professeure, déçue.

Selon une étude de l’ESN***, sur les 22 000 jeunes en mobilité interrogés en mars, au moins 40 % sont rentrés chez eux. Ainsi chez ses parents depuis plus de trois mois, Juliette a du mal à rester positive, « je ne sais plus trop comment voir l’avenir », partage-t-elle.

Retourner à l’école pour éviter le chômage ?

Ce manque de visibilité pourrait pousser certains étudiants – pour qui c’est encore possible – à continuer leurs études pour s’assurer de garder une bourse, un logement CROUS ou un semblant de stabilité.  

Une solution dont ne veut entendre parler Chrystopher, futur journaliste. « Je ne vois pas l’intérêt de prolonger mes études et retarder mon insertion professionnelle, car on pourrait me reprocher d’être sur-diplômé. J’ai consacré cinq ans de ma vie aux études, j’ai fait mon maximum. Maintenant, il est vraiment temps de travailler, même si ça va être difficile. Il faut savoir être pragmatique et se débrouiller. »

Pour Assia, qui rentre en doctorat en septembre, les choses ne sont pas si simples. En parallèle de son travail de recherche, elle commence une activité d’enseignante à l’Université Collège de Londres à la rentrée. Mais le confinement a mis des bâtons dans les roues à ses nouveaux projets. 

« Quand on entre en doctorat, il y a ce qu’on appelle un contrat doctoral, explique la jeune femme, c’est un contrat qui permet d’être financé pendant trois ans pour sa recherche, mais cette année, en raison de la crise sanitaire, les personnes qui soutiennent leur mémoire de M2, en septembre, soit 70 à 80% des étudiants dans mon université, ne peuvent pas prétendre à cette bourse, donc on ne pourra pas être financé par notre doctorat. »

Un coup dur de plus quand on sait que la précarité étudiante, déjà bien installée en France, a été augmentée par le confinement. Selon l’UNEF, avant la crise sanitaire, 20% des étudiants vivaient déjà sous le seuil de pauvreté. Perte de travail alimentaire et aucun droit au chômage partiel, plus de stages mais des charges à régler… Ce sont des milliers d’étudiants isolés qui ont dû subsister avec l’aide des banques alimentaires pendant près de huit semaines.

Début avril, un jeune étudiant s’est donné la mort sur le campus d’HEC. « Il souffrait de dépression sur fond d’éloignement familial et de confinement » avait révélé une source au Parisien.

Tenter d’imaginer l’avenir

Malgré tout, les étudiants essayent de garder le cap. Beaucoup tentent déjà de rebondir en planifiant les mois à venir, sans doute pour se rassurer. « C’est flippant, il y a une toute une remise en question qui s’opère mais il faut s’accrocher. Il faut être capable de se jauger soi-même et peut être se dire, qu’il faudra encore faire d’autres stages pour gagner en expérience, avant de viser un emploi stable », raconte Anthony.

Pour Aymeric, loin de se laisser abattre, il faut se battre : « La COVID-19 n’est pas une excuse, elle est un frein à nos projets. J’ai donc transformé mes craintes en projets d’avenir : comment rebondir ? Comment faire ce que j’aime avec ce que cette fin d’année va me laisser en termes d’opportunités ? Comment avoir une fin d’étude réussie et challengeante dans ce contexte sanitaire ? »

Chrystopher, de son côté, a déjà sécurisé un CDD. Certes, dans une branche loin des rédactions mais ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. « J’ai décroché un poste d’un an, en tant qu’assistant de scolarité dans une université, le temps de mettre en place une stratégie concrète pour me lancer dans la pige en parallèle », explicite-t-il.  

Si cette année, le diplôme de fin d’études n’aura pas la même saveur, des enseignements sont donc à tirer de cette société en changement.

En arrivant au bout d’un parcours au commencement d’un monde post-COVID, ne sommes-nous pas les mieux placer pour façonner celui de demain ?

  • Bullshit job, cette impression désagréable de travailler pour rien
  • Comment trouver du sens dans son travail ?

* « Les perspectives d’avenir des lycéens et des étudiants à l’heure du coronavirus », IFOP, mai 2020

** Baromètre 2020 de l’insertion des jeunes diplômés, Association pour l’emploi des cadres, mai 2020

*** « The impact of COVID-19 on student exchanges in Europe », ESN, avril 2020

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