En janvier 2022, le film Ouistreham sortait sur les écrans, l’adaptation tant attendue de l’enquête de Florence Aubenas, qui racontait le dur quotidien des intérimaires nettoyant les cabines dans les ferries. Lors des différentes avant-premières organisées en amont de la sortie, la comédienne Juliette Binoche était éclipsée par une poignée de femmes qui en imposent. Des néo-actrices, qui ont joué leur propre rôle sur grand écran.
Emilie Madeleine avait ainsi travaillé avec l’écrivaine grimée en travailleuse précaire, à l’époque : « elle a donc vécu cette cadence infernale, trois minutes chrono pour faire une cabine, et aussi la saleté des gens… Il faut bien le dire, c’est un métier très dur », a-t-elle témoigné auprès de nos collègues de France Bleu. Hélène Lambert, elle, était agent d’entretien dans une école à l’époque. Elle a été « castée » pour le film à l’agence d’intérim.
Pour une fois, tous les projecteurs étaient braqués sur elles, pour une fois, les femmes de ménage précaires faisaient la Une. Les articles sont dithyrambiques et répètent un mot : « les invisibles ». Ce qui en ce début d’année électorale, résonnait comme un rappel cinglant : oublier les travailleurs de première et deuxième lignes, les précaires, les gilets-jaunes, c’est passer à côté des enjeux politiques de 2022.
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Raillées par les politiques
Et pour convaincre les personnels d’entretien, les femmes de ménage, les aide-ménagères, il faudra mettre les bouchées doubles. Non contents d’oublier cette partie de leur électorat, elles font l’objet de railleries, ou pire de violences physique et verbales de la part de leurs employeurs comme des politiques. Pour citer quelques exemples, l’affaire DSK contre Nafissatou Diallo, bien sûr, ou encore la phrase de la candidate à la Présidence, Valérie Pécresse, « rien de tel qu’une femme pour faire le ménage ».
En mars 2021, François-Xavier Devetter et Julie Valentin, enseignants chercheurs en économie, publiaient Deux millions de travailleurs et des poussières, un ouvrage consacré aux travailleuses du nettoyage : « Une société juste se mesure aussi à sa façon de répartir les tâches pénibles et de traiter celles et ceux qui les effectuent. Qui sort ma poubelle ? Qui nettoie derrière moi ? Qui range mon espace de travail ou passe le balai dans l’école de mes enfants ? Le monde du travail consacre 8 % du temps rémunéré au nettoyage et à l’entretien d’espaces publics et privés », peut-on y lire.
Les deux économistes faisaient des constats terribles, sur les risques courus par les salariés, principalement des femmes : « Précarité, cumul de pénibilités, déqualification sont le lot de ces emplois des caractéristiques aggravées par le développement, ces dernières années, du recours à la sous-traitance ». C’est dire l’urgence d’une prise en considération de ces vies par les décideurs et les décideuses politiques.
La détermination des femmes de chambres de l’Ibis des Batignolles
Avis aux réalisatrices, après Ouistreham, il faudrait aussi faire un film sur les femmes de chambre de l’Ibis des Batignolles qui ont tenu leur piquet de grève pendant 22 mois. Les politiques, ces femmes précarisées par la sous-traitance, et pour la grande majorité, issues de l’immigration, les connaissaient de loin. Avant d’en croiser régulièrement certains sur leurs piquets de grève ou en manifestation. Ou avant de se sentir instrumentalisées par d’autres.
Fières d’avoir remporté une victoire en mai 2021 contre le groupe Accor, fières d’avoir le droit de voter, les femmes de chambre de l’hôtel Ibis iront aux urnes en avril et se mobilisent pour qu’autour d’elles, il en soit de même. Mais elles y vont surtout pour faire entendre leurs voix, celles des victimes de la sous-traitance, celles des femmes, celles des personnes issues de l’immigration.
« Le fait de pouvoir voter c’est un endroit très gratifiant pour ces catégories de salariés », estime Claude Levy, animateur syndical à la CGT-HPE (hôtels de prestige et économique). Il salue une lutte historique et symbolique à la fois : des femmes précaires salariées d’un sous-traitant (STN) contre le groupe Accor, mastodonte économique. David contre Goliath.
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