• Le Prix Goncourt attribué à Brigitte Giraud pour « Vivre vite » est un choix audacieux du jury, mais pas si surprenant.
  • L’auteur est une femme, mais ce n’est pas un roman féministe pour autant, et son récit d’un drame intime peut toucher n’importe quel lecteur confronté aux aléas de la vie.
  • Notre lectrice contributrice Marceline Bodier, qui a apprécié ce roman, en décrypte les tenants et les aboutissants.

Ainsi donc, le Goncourt 2022 a été attribué à Vivre vite de Brigitte Giraud. Un roman intime et personnel qui aurait pu disqualifier celle qui avait déjà écrit sur la mort de son mari, juste après son accident il y a vingt ans. Mais à ce roman qui évite les larmes pour mieux pointer les remords, on peut aussi lui trouver d’excellentes raisons pour le primer.

La première est anecdotique. Oui, l’auteur est une femme, une femme qui parle de son homme. Mais ce pas le sujet et Vivre vite n’est pas un roman féministe. La seconde, c’est l’époque. Le roman qui fige le temps à la toute fin des années 1990. Une ambiance très rock’n’roll avec de multiples références à la musique et un destin tragique qui frappe ses personnages : un jeune couple qui s’apprête à s’installer dans la maison qu’ils viennent d’acheter, elle romancière, lui critique de rock fauché à moto.

La troisième, c’est que ce n’est pas un roman sur le deuil ou sur la résilience. Brigitte Giraud, qui a déjà écrit sur la mort de son mari, dans A présent en 2001, ne s’en est jamais remise, collectant au contraire depuis vingt ans tous les « si » qui auraient pu empêcher son accident. Quitte à accumuler tous les remords possibles.

Chercher le sens

Cette confrontation aux aléas de la vie, voilà qui nous concerne tous. Et si l’autrice n’appuie pas trop fort sur la corde de la culpabilité, elle n’en pense pas moins : « Vous savez comme il est nécessaire d’attribuer la faute. Même si c’est à soi. »

« Vivre vite, c’est un voyage au cœur de ce que signifie ce mot capital : le sens, ajoute Marceline Bodier, notre lectrice contributrice de la plateforme 20 Minutes Livres, qui en a apprécié la lecture. Un homme qui se tue à moto sur une route sans difficulté, ça n’a pas de sens ! A moins de décrypter cet accident, en faisant s’enchaîner, selon une logique implacable, tout ce qui semblait n’avoir aucun rapport sur le moment : et « si je n’avais pas téléphoné à ma mère », et « si Stephen King était mort le samedi 19 juin 1999 », et « si les accords de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne n’avaient pas été signés »… on peut aller aussi loin qu’on veut, et c’est vertigineux. »

Ignorant face à son propre destin

Vivre vite est effectivement un roman vertigineux, même si tout est dans l’après-coup…  « Ce n’est qu’après coup qu’on peut interpréter les choix les plus anodins comme des maillons de la chaîne qui a mené à l’accident, souligne Marceline Bodier. Après coup, donc une fois que tout est terminé et qu’on ne pourra plus rien y changer. On pense à Raymond Aron, qui disait que « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font » : de la même manière, à la simple échelle de notre quotidien, nous fabriquons notre destin, sans savoir lequel nous fabriquons. Cet enchaînement de hasards que nous ne pouvons pas maîtriser, Brigitte Giraud prouve que nous pouvons nous l’approprier après coup, faire corps avec lui, en faire notre histoire et notre identité. Parce que finalement, si tout converge vers la question du sens de ce qui nous arrive, alors c’est aussi vers cette possibilité : enfin, clore un cycle et accéder à l’acceptation. »

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