Inondations, incendies, dôme de chaleur… Les catastrophes naturelles se multiplient – conséquences d’une menace climatique de plus en plus indéniable. Mais, entre sentiment d’impuissance et habitudes bien ancrées, nos comportements au quotidien ont toujours du mal à évoluer.

Nous sommes en juillet, la vaccination nous offre du répit face à la pandémie de Covid-19, l’air est à la fête… Si seulement le soleil était au rendez-vous. Depuis quelques semaines, les réjouissances estivales tombent littéralement à l’eau, face aux pluies torrentielles qui s’abattent sur une bonne partie du pays. Chez nos voisins belges et allemands, la situation est dramatique : après plusieurs jours de crues et de graves inondations, le bilan humain s’élève à 118 morts (dont 103 pour l’Allemagne). 

Une « amnésie environnementale généralisée »  

À force de catastrophes naturelles de plus en plus récurrentes et médiatisées, que ce soit des périodes de sécheresse, des feux irascibles en Californie ou en Australie, des « dômes de chaleur » au Canada et en Espagne, ou les inondations actuelles, la question du climat se fait de plus en plus présente dans notre quotidien. Face à ce constat, il  y a bien sûr les climatosceptiques, qui représenteraient 23% de la population française, selon une enquête Opinionway menée en 2019 (la dernière sur le sujet). Mais même sans nier les bouleversements environnementaux, nous pouvons avoir du mal à voir comment y remédier à notre échelle – et à changer nos habitudes en conséquence. 

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« Il y a une certaine inertie de nos habitudes, explique Isabelle Richard, docteure en psychologie sociale et environnementale. Toutes nos vies sont construites autour de la ville, de la voiture, de la consommation de produits animaux. Sans compter les freins idéologiques, qui sont particulièrement prégnants dans l’extrême droite et aux Etats-Unis. » 

Le résultat, selon la chercheuse, d’une « amnésie environnementale » généralisée : alors que nous construisons toujours plus et vivons majoritairement en zone urbaine, nous sommes en rupture avec la nature. Si nous ne constatons pas dans l’immédiat le changement climatique, il nous paraît impensable – ou du moins, inévitable. 

Un concept parfois abstrait et lointain 

On peut par exemple peiner à comprendre pourquoi le soleil n’est pas au rendez-vous cet été, alors qu’on nous parle de réchauffement climatique. « Au niveau cognitif, certains liens peinent à se faire, étaye Isabelle Richard. La différence entre la météo, un phénomène de court terme, et le climat, qui change sur le long terme, peut être difficile à appréhender. » 

« Le changement climatique est un concept large, parfois difficile à saisir et à relier à ses conséquences, poursuit la psychologue. Quand ce ne sont pas des choses très concrètes et qui nous touchent personnellement, on ne rentre pas dans le champ émotionnel direct, et on peine à saisir la puissance du danger. » C’est ce que l’on appelle, en journalisme, la loi du « mort-kilomètre » : quand un événement tragique se produit à des milliers de kilomètres de nous, ses conséquences nous paraîtront toujours moins graves qu’un événement de moindre ampleur qui se passe à proximité.

Faut-il alors que chacun soit soumis aux catastrophes naturelles pour saisir l’ampleur du problème ? « On réagit beaucoup plus à une menace sanitaire immédiate, comme on a pu le voir par exemple avec le Covid, argumente Aurore Grandin, doctorante en sciences cognitives à l’École Normale Supérieure. Avec l’environnement, ce que l’on observe, c’est qu’il y a des freins structurels et psychologiques à nos changements d’habitudes. » 

Un sentiment d’impuissance face à l’inévitable 

Nier l’évidence est également une façon de se protéger du stress. Face à « l’éco-anxiété » de celles et ceux qui ont eu une prise de conscience radicale de leur influence sur le réchauffement climatique, le déni est une façon de « continuer à vivre » – une expression d’ailleurs courante lorsqu’on évoque le problème. « Face à la catastrophe, comme après un deuil ou une rupture, certains individus ont tendance à être dans le déni, dans l’évitement, pour ne pas sombrer », estime Mary Guillard, psychologue et docteure en psychologie sociale et environnementale. 

Le réchauffement climatique, pour toutes les raisons évoquées précédemment, paraît insaisissable et irrémédiable – « de toute façon, qu’est-ce que nous, on peut y faire ? ». « En psychologie, on parle de contrôlabilité perçue, note Mary Guillard. Lors d’une catastrophe naturelle, on a tendance à penser que c’est inévitable, et qu’on ne peut rien faire pour l’empêcher. »

Un système de protection mentale, en quelque sorte, qui met à mal les efforts de sensibilisation des scientifiques et activistes. Pour que nous changions nos comportements, il faut rendre le phénomène concret, s’accordent à dire les expertes que nous avons interrogées. Évidemment, il n’est pas question d’attendre que chacun soit confronté à un drame écologique – même si, la pandémie que nous traversons, peut agir pour certaines personnes comme un déclencheur. 

« Il y a aussi un vrai travail d’empouvoirement à faire si l’on veut changer les choses et déclencher des prises de conscience, estime Aurore Grandin. Montrer que l’on a des façons d’influer sur tout ça, chacun à notre échelle, pour éviter un rejet total et les discours fatalistes qui découragent plus qu’autre chose. »

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