Plus de 70% des gens parlent ou ont parlé dans leur sommeil ; les enfants plus que les adultes, les hommes plus que les femmes. « La somniloquie n’est pas considérée comme une pathologie mais comme une variante du sommeil normal », cadre Isabelle Arnulf, chef du service des pathologies du sommeil à l’hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris. « Si l’on considère les personnes qui parle beaucoup et toutes les nuits, alors on tombe à un pour cent de la population », modère la neurologue. « Les somniloques purs (sans pathologies du sommeil associées) sont en fait assez rares et ne consultent pas leur médecin ». Seul, ce trouble ne détériore pas la qualité du sommeil et n’a pour conséquence que le dérangement du conjoint, ou l’angoisse de révéler des secrets. La consultation est fortement conseillée quand les bavardages nocturnes sont associés à un autre trouble du sommeil. A fortiori quand de forts mouvements incohérents accompagnent la parole.
Le stress, facteur aggravant
Pour le Docteur Agnès Brion, psychiatre et spécialiste des troubles du sommeil, « il s’agit d’un sommeil dissocié : le cerveau dort mais le corps est réveillé ; comme dans le somnambulisme, les terreurs nocturnes, les états confusionnels voire l’énurésie chez l’enfant ». Si la somniloquie peut se manifester seule, elle s’associe le plus souvent à ces troubles du sommeil ou au trouble du comportement en sommeil paradoxal (TCSP), maladie qui se caractérise par une extériorisation des rêves.
« Les anciens somnambules continuent souvent à parler la nuit. La somniloquie peut aussi être liée à certains troubles psychiatriques (stress post traumatique, angoisse,dépression…) ou neurologiques », complète Isabelle Arnulf. Les adultes consultent en cas de somniloquie accompagnée de terreurs nocturnes ou de somnambulisme déclenché par le stress de la journée précédente. « Des jeunes papas nous rapportent des épisodes où ils sont préoccupés de la sécurité de leur bébé. Ils répètent « attention » en tendant les bras, comme s’ils cherchaient à rattraper leur petit qui tombe », illustre-t-elle.
En fonction de son profil et de la fatigue qu’elle éprouve au réveil, la personne peut être orientée vers l’hypnose, ou vers des thérapies déstressantes. La Gabapentine, un médicament qui approfondit le sommeil, peut également s’avérer utile.
Vigilance après soixante ans
Depuis une quinzaine d’années, le service du sommeil de la Pitié-Salpêtrière reçoit des personnes âgées qui commencent à parler la nuit sur le tard. « Ils peuvent gesticuler et crier jusqu’à parfois tomber du lit et se faire mal. Ce TCSP peut alors être annonciateur d’une maladie de Parkinson, voire à une certaine forme de démence, non liée à l’Alzheimer. Il faut consulter dans ce cas », prévient la neurologue. En traitement : une possible prescription de mélatonine ou de Rivotril® associée à des barrières autour du lit pour empêcher que le patient se blesse.
Des gros mots à gogo
Neuropsychologue à la Pitié-Salpêtrière de Paris, Ginevra Ugoccioni a dirigé une étude consacrée à la somniloquie. Une équipe a recueilli et analysé les paroles nocturnes de 232 patients par ailleurs somnambules et/ou atteints de TCSP. « 64% de ces vocalisations sont incompréhensibles. Ce sont des marmonnements, chuchotements, rires, pleurs, cris, ou des mouvements de lèvres sans émission de son. Certains sifflotent, chantent », détaille la spécialiste. Quand les propos sont compréhensibles, les études révèlent un langage désinhibé, riche en insultes et jurons, prononcés plus de 300 fois plus la nuit que le jour. Les propos sont aussi préoccupés (« arrête », « ne fais pas ça », « au secours », « fais gaffe ») et adressés à une personne imaginaire.
« Les dormeurs respectent un silence après avoir posé une question, ce qui laisse supposer que dans leur rêve, un interlocuteur leur répond », observe Isabelle Arnulf. « On a aussi quelques grands parleurs, comme celui qui donnait la recette de la dinde au four par le menu. Les accents sont conservés. Les patients d’origine étrangère parlent parfois dans leur langue maternelle. Le ton des somniloques est plutôt interrogatif et/ou négatif ». Le mot le plus prononcé reste « non ».
Sujet préféré des bavards endormis ? Les sujets liés au travail, par exemple les réunions sans fin.
Un replay lié à l’apprentissage
Préoccupés, négatifs… les propos du dormeur sont raccords avec ce que l’on sait des rêves et des pensées nocturnes, à en croire Agnès Bryon. « Gérer les émotions est l’une des missions du sommeil », abonde Isabelle Arnulf. Egalement monnaie courante, les répétitions. Exemple : Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais ? « Redire et reparler de certaines choses la nuit permet de renforcer certaines connexions cérébrales pour mieux mémoriser le sujet » décrit Agnès Bryon. Les études sur la somniloquie enrichissent d’ailleurs la recherche sur le lien entre apprentissage et langage. Autre axe de recherche pertinent, selon Ginevra Ugoccioni : les gestes dit co-verbaux, souvent semblables à ceux associés à la parole quand le sujet est éveillé.
Un problème pour les couples
Dans les cas de somniloquie bénins, la personne la plus gênée reste celle qui dort à côté, surtout quand les vocalisations sont fortes. « Je reçois souvent des couples pour ces troubles qui empêchent l’autre de dormir. Le somniloque, lui, ne sent rend compte de rien. Les problèmes relationnels cristallisent alors ceux du sommeil. A l’instar des rythmes décalés, du somnambulisme ou du sommeil agité avec coups de pieds ou coups de poings, ces troubles interfèrent avec la vie intime et sexuelle », relève Ginevra Ugoccioni, qui exerce par ailleurs comme psychothérapeute spécialisée dans les couples.
En bref, on ne peut rien faire contre la somniloquie pure, si ce n’est acheter des boules Quies ou faire chambre à part.
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