Malgré la révolution #MeToo, nombre de femmes violées choisissent encore de se taire. Hélène Vecchiali*, psychanalyste, nous explique pourquoi.
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Quelles sont les séquelles d’un viol ?
Hélène Vecchiali : Pendant l’agression, et après, les victimes sont frappées de paralysie. Cet effet de sidération traumatique entraîne des troubles physiques et psychiques durables – des séquelles sur le cerveau qui sont d’ailleurs visibles par IRM. Comme l’étoile de mer sacrifie à son prédateur l’un de ses bras pour lui échapper, la victime d’un viol, contrainte par la force physique de son agresseur, lui abandonne une partie d’elle-même. Cet état entraîne souvent un très long mutisme.
Et les victimes subissent une autre violence…
En effet, et l’on parle ici de la violence institutionnelle. Demander à la plaignante de rendre compte de sa tenue vestimentaire, de son comportement, du contexte ou de son lien avec l’agresseur, ou encore pourquoi elle ne s’est pas débattue, par exemple, montre à quel point la réalité du viol est niée. Ce qui en fait le seul crime où la victime est présumée coupable et se retrouve dans l’obligation de se justifier. Une étape supplémentaire dans l’humiliation, qui incite certaines femmes à se murer dans le silence. Pour préserver leur dignité et rester « debout ».
En chiffres, quelle est la nature des viols perpétrés ?
Selon les enquêtes, 86 % des viols sont perpétrés par des proches. Viennent ensuite les viols commis par des inconnus, et enfin, les viols collectifs. Tous, sans exception, sont de véritables viols, même si la violence extrême des deux dernières catégories nourrit la représentation commune de ce crime. Car une agression sexuelle sans coups et blessures visibles est injustement considérée comme suspecte, la victime étant censée réagir, elle aussi, avec violence. C’est oublier la terreur, l’effet de sidération et de dissociation traumatique, la domination physique, ainsi que l’intériorisation de stéréotypes sexistes qui composent la « culture du viol » et qui ressurgissent invariablement lorsque la victime connaît son violeur.
Comment se traduit cette « culture du viol » ?
Cette notion s’est forgée aux Etats-Unis pour qualifier les relations sexuelles non consenties, mais admises socialement. Cette culture justifierait le forcing sexuel masculin, autrement dit le viol, sans le nommer. Elle exige que la sexualité de l’homme soit assouvie pour supporter les pressions et que la femme lui « doit » du sexe. Cela se traduit, depuis la nuit des temps, par le devoir conjugal, considéré comme étant « le repos du guerrier », mais également le droit de cuissage, la notion de femme-objet, les viols en temps de guerre, la prostitution, l’excision et la traite des femmes, entre autres. Conséquence : certaines femmes ignorent qu’elles sont victimes de viol, puisque c’est « dans l’ordre des choses ».
Quelles sont les croyances à déconstruire ?
La question du consentement est toujours autant d’actualité. Car il n’existe pas de « zone grise », cet espace où les hommes prétendent ne pas savoir ce que veulent les femmes qui diraient « non » en pensant « oui », par exemple. Si l’homme doute, qu’il se pose la question suivante : est-ce que sa partenaire est active ou pas ? Si elle se rétracte, qu’elle est inerte ou absente, c’est qu’elle n’est pas consentante. C’est on ne peut plus clair, sans aucune équivoque. Autre croyance tenace : le prétendu désir irrépressible des hommes. Beaucoup de femmes continuent de penser qu’un homme en érection ne peut ni se contrôler ni s’arrêter. C’est une légende.
Que se passe-t-il lorsque l’homme « sexualise » la demande d’une femme ?
Il se passe ce que le psychanalyste Sándor Ferenczi a nommé « la confusion des langues », pour dénoncer l’inceste et la pédophilie. A savoir, l’adulte pervers répond à la demande de tendresse d’un enfant par une relation sexuelle imposée. Confusion qui opère à l’identique dans les relations hommes/femmes : une femme demande de l’affection a un mari, de la bienveillance à un ami, de l’encouragement à un patron, et la réponse qui lui est donnée est sexuelle. Certains hommes vont abuser de la situation en accusant la femme : « Ta demande n’était pas claire ». Pour ces proies qui ont capitulé devant l’ennemi, la culpabilité, l’humiliation et la honte sont décuplées. Alors, elles se taisent. Autant de phénomènes que les femmes, les hommes et les institutions doivent impérativement connaître : les unes pour oser parler, les autres pour savoir les entendre et se battre auprès d’elles.
* Psychanalyste et coach, elle est aussi l’auteure de plusieurs livres, dont « Mettre les pervers échec et mat » (éd. Marabout) et « Le Silence des femmes » (éd. Albin Michel).
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