Il arrive que les témoignages d’agressions et de violences sexuelles n’arrivent que plusieurs années après les faits, et il y a plusieurs raisons à cela.

L’ère du #MeToo continue tant bien que mal – malgré quelques retours en arrière comme notamment les nominations du films de Roman Polanski aux César – mais plusieurs questions reviennent souvent mettre la parole des victimes en cause. L’une d’entre elles concerne la prise de parole tardive de victimes de violences et d’agressions sexuelles qui attendent parfois plusieurs années avant de témoigner. Même si les années passées n’enlèvent en rien la légitimité de leurs témoignages, ce critère devient, comme trop d’autres, une nouvelle façon de juger et d’accuser les victimes. Pourtant il y a énormément de raisons qui pourraient pousser les victimes à prendre la parole bien après les faits.

L’actrice Sophia Bush, dont la carrière a été lancée par son rôle dans Les Frères Scott, a récemment parlé dans un podcast de la pression qu’elle a subie sur le tournage pour porter des tenues qui la sexualisaient. Alors âgée d’une vingtaine d’années et jouant un personnage de 16 ans, Sophia Bush s’est entendue dire qu’elle avait « un putain de gros décolleté que tout le monde veut voir » pour justifier les nombreuses scènes dans lesquelles son personnage Brooke était en sous-vêtements. Ce que Sophia Bush a souligné en revenant sur ces mauvais souvenirs, c’est qu’elle avait osé, à l’époque, s’opposer à ses supérieurs pour ne pas être objectifiée. Elle explique ce comportement courageux par le fait qu’elle ne connaissait rien à l’industrie télévisuelle ni des dynamiques de pouvoir qui existent entre les scénaristes/showrunners/producteurs et le casting.

Malheureusement, Sophia Bush et d’autres actrices des Frères Scott ont vite découvert l’envers du décor mais ce n’est qu’en 2017 qu’elles ont toutes décidé d’accuser le showrunner de la série, Mark Schwahn, de harcèlement sexuel. Mais pourquoi avoir attendu si longtemps et l’initiative de leur collègue Audrey Wauchope pour le faire ? Car chaque prise de parole peut être synonyme de suicide professionnel pour les femmes qui osent s’en prendre à une industrie malsaine qui carbure à l’abus de pouvoirs. Là où les hommes accusés bénéficient d’une impunité indécente et d’un succès toujours au rendez-vous – on l’a encore vu avec Roman Polanski – les femmes se voient vite traitées de menteuses, écartées de l’industrie, de peur que leur courage ne « contamine » d’autres victimes et ne provoque de nouvelles polémiques.

Lorsqu’elle a accusé Christophe Ruggia, Adèle Haenel a bien souligné qu’elle a conscience de son statut privilégié qui lui permet de dire la vérité tout en étant soutenue et sans craindre de se retrouver au chômage. Mais les carrières artistiques sont difficiles et il suffit d’un mot des plus hauts placés pour tout ruiner. Beaucoup d’actrices, d’artistes et d’anonymes ont donc attendu que le mouvement #MeToo arrive et que le contexte global soit plus favorable aux victimes avant de prendre la parole. Par ailleurs on ne peut négliger le fait que les agressions et violences sexuelles sont avant tout un traumatisme personnel et que seule la victime peut décider du moment où elle veut – ou pas – en parler.

Reste que c’est grâce à des mouvements populaires comme le Time’s Up et MeToo que la parole s’est libérée, les victimes sachant enfin que des oreilles attentives seraient là pour les soutenir. Mais ces avancées ne font pas tout, et les violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales, restent un vrai fléau et une raison de plus pour les victimes de ne pas prendre la parole. En 2019 en France, entre 122 et 149 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, et en 2020 selon un décompte de l’AFP, 8 féminicides ont déjà eu lieu. Dans beaucoup de cas, la femme avait déjà porté plainte, parfois de façon répétée, sans être suffisamment prise au sérieux.

Comment dès lors prendre la parole en sachant que même les forces de l’ordre ne seront pas de notre côté ? D’autant plus que porter plainte représente un risque supplémentaire pour une victime dont le courage pourrait être violemment réprimandé. Battues, tuées, traitées de menteuses, exclues, punies, obligées de revivre un traumatisme, d’en parler à des étrangers, de se justifier… Il n’y a qu’en écoutant les victimes, en se mettant à leur place, en faisant preuve d’empathie et en arrêtant de trouver des excuses aux agresseurs que l’on arrivera à réellement faire avancer les choses. Les victimes d’agressions et de violences sexuelles ne sont jamais à blâmer et ont au moins le droit d’avoir le choix, qu’elles décident de prendre la parole immédiatement après les faits ou des années plus tard, voire jamais.

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