C’était un spectacle inédit : parmi les centaines de milliers de manifestants le 5 décembre se trouvaient des danseurs de
l’Opéra de Paris, inquiets de la prochaine disparition de leur régime spécial de
retraite.

L’Opéra et la Comédie-Française sont les seules institutions culturelles concernées par la réforme du gouvernement. Autrement plus confidentiel que celui de la RATP ou de la SNCF, le régime spécial de l’Opéra est l’un des plus anciens de France, puisqu’il date de 1698, sous Louis XIV.

Une dizaine de spectacles déjà annulés

La grève a déjà entraîné la semaine dernière l’annulation d’une dizaine de spectacles de ballet, d’opéra et de théâtre. Ce n’est pas la première fois que le ballet de l’Opéra, l’un des plus prestigieux au monde, est en grève, mais il est rare de le voir battre le pavé.

« En 20 ans dans cette maison, c’est la première fois que je vois des danseurs dans la rue », affirme Alexandre Carniato, danseur et élu à la Caisse des retraites de l’Opéra. Sur les 154 danseurs du ballet, « on était 120 à manifester, du corps de ballet aux étoiles », explique ce « quadrille » (dernier échelon dans la hiérarchie de la compagnie).

Retraite à 42 ans

A 41 ans, il lui reste un an avant de tirer sa révérence, en raison d’une disposition singulière : la retraite à 42 ans. Elle tient compte de la « pénibilité » du métier, avec le risque de blessures et l’interruption prématurée de carrière et du fait que la majorité peut difficilement continuer à danser les grands ballets au-delà de cet âge avec le même niveau d’excellence.

« Le ballet de l’Opéra de Paris est le seul employeur de France à former ses futurs salariés dès l’âge de 8 ans (…) les accidents de travail sont parmi les plus élevés de France », a tweeté Adrien Couvez, danseur de la compagnie.

« A 40 ans, certains ont des hanches en titane »

A partir du moment où « on est embauché à 16 ans à l’Opéra, on fait une journée de 9 h à 23 h 30… Plus on avance dans l’âge, plus on craint de ne pas aller au bout. A 40 ans, certains ont des hanches en titane », observe Alexandre Carniato.

Une fois leur caisse spéciale supprimée, les danseurs craignent de voir leur pension disparaître. « La plus grande contrainte est de retrouver un emploi » à 42 ans, selon Alexandre Carniato. « Ma pension de 1.067 euros me permettra de rebondir si je la cumule par exemple à un poste dans une école municipale où le salaire standard est de 1.200 euros », souligne celui qui a rencontré le ministre de la Culture Franck Riester et le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye.

Le ministre de la Culture avait confirmé à BFMTV que le régime de l’Opéra allait disparaître. « Est-ce que pour autant, on ne prendra pas en compte les réalités d’un certain nombre de métiers ? Bien sûr que non », avait-il dit, sans en dire plus. Jusqu’à présent, « on n’a pas de réponse. On ne sait pas à quoi s’attendre », assure Alexandre Carniato.

« Les meilleurs danseurs partiront à l’étranger »

Les danseurs défendent un régime avantageux qui fait des envieux dans les ballets régionaux comme Bordeaux ou Toulouse. « Les danseurs de l’Opéra de Paris sont les seuls et uniques en France avec cette retraite privilégiée de 42 ans ! Tous les autres danseurs sont la plupart du temps en CDD avec rien au bout ! », a tweeté Marc Ribaud, directeur de la danse du ballet de l’Opéra de Nice.

« J’estime qu’ils doivent être comme nous et pas le contraire », estime Carniato. « Si on veut que la troupe garde cette aura dans le monde, il faut que cette pension reste. Sinon les meilleurs danseurs partiront à l’étranger où ils seront trois fois mieux rémunérés ». « Ce n’est pas parce qu’on travaille dans un palais (Garnier) qu’on vit une vie de château », avait témoigné le danseur étoile Germain Louvet auprès du journal communiste Regards.

Les machinistes et les musiciens aussi en grève

L’Opéra est une vitrine culturelle de la France et l’Etat contribue à la moitié du financement de sa caisse de retraite (14 millions d’euros par an). En plus des danseurs, plusieurs autres métiers de l’Opéra comme les machinistes et les musiciens sont en grève.

Premier théâtre national de France, la Comédie-Française a aussi sa propre caisse de retraite (347 cotisants contre 1.900 de l’Opéra). Dans la « maison de Molière », les grévistes sont surtout les techniciens du plateau dont le métier est également jugé pénible.

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