- A l’occasion de la diffusion de Prince de Bel-Air, les retrouvailles ce mercredi sur Warner TV, retour sur la série culte des années 1990 portée par Will Smith.
- Pourquoi cette sitcom était « révolutionnaire » selon Will Smith dans les années 1990 ?
- Pourquoi Le Prince de Bel-Air est-elle toujours pertinente à l’ère de Black Lives Matters ?
Pour les plus jeunes, c’est une chanson de Soprano ou une référence de PNL dans son titre Deux Frères, pour les plus vieux, une sitcom américaine qui a marqué les esprits. Le Prince de Bel-Air, série produite par Quincy Jones et créée par Andy et Susan Borowitz, a fait les belles heures en France de l’émission Giga, un programme destiné aux adolescents diffusé sur une chaîne publique qui s’appelait encore Antenne 2 à partir du printemps 1992. Souvenez-vous, cette sitcom familiale a lancé la carrière d’acteur du rappeur
Will Smith dans le rôle de Will, un adolescent afro-américain qui s’installe chez sa tante et son oncle, de riches notables vivant dans le quartier huppé de Bel-Air à Los Angeles.
Quelque trente années, six saisons et 148 épisodes plus tard, la série culte Le Prince de Bel Air, disponible en intégralité sur
Amazon Prime Video, semble plus que jamais d’actualité. Outre-Atlantique, la plateforme Peacock a d’ores et déjà commandé deux saisons de Bel-Air, un drame qui revisite la sitcom des années 1990, produit par Will Smith et créé par Morgan Cooper, dont le lancement est attendu courant 2021.
Warner TV propose ce mercredi à 22h50 Prince de Bel-Air, les retrouvailles, une réunion du casting original de la famille Banks animée par Will Smith enregistrée aux Etats-Unis en 2020 pour HBO Max à l’occasion des 30 ans du show. Au programme, des anecdotes, tous les secrets de la fameuse danse de Carlton, une réconciliation, un émouvant hommage à James Avery, et surtout une réflexion sur l’impact du Prince de Bel-Air dans l’histoire de la télévision américaine. Pourquoi Le Prince de Bel-Air a été, et reste, une série importante à l’ère de
Black Lives Matters ?
Une sitcom inspirée par une histoire vraie
A la fin des années 1980, Quincy Jones souhaite adapter pour le petit écran l’histoire de Benny Medina, jeune producteur prodige de la Motown devenu millionnaire avant ses 30 ans, élevé dans les ghettos de Los Angeles avant de s’exiler dans une famille blanche et fortunée d’un des ses amis dans le quartier de Beverly Hills.
En 1989, Benny Medina tombe sur son futur alter ego, au Late Show d’Arsenio Hall, Will Smith, un rappeur de 22 ans, auréolé d’un Grammy Award grâce au duo qu’il forme avec son ami Jeff Townes, DJ Jazzy Jeff and The Fresh Prince. A l’occasion d’une fête d’anniversaire, Quincy Jones fait passer au jeune rappeur une audition devant tous ses invités, dont le boss de NBC, Brandon Tartikoff.
Encouragé par le succès de sa sitcom Cosby Show, mettant en scène une famille afro-américaine vivant à Brooklyn, NBC lance Le Prince de Bel-Air en 1990. « Le Cosby Show a renforcé l’idée que beaucoup de Noirs pouvaient vivre comme des Blancs. Si vous y pensez un peu, il s’agit d’un foyer avec deux parents issus de la classe moyenne supérieure. Cela a trouvé un écho avec beaucoup de familles blanches », explique
Dr. Frederick W. Gooding, maître de conférences en études afro-américaines à Texas Christian University.
Une idée « révolutionnaire », selon Will Smith
Si Benny Medina a été accueilli par des Blancs, les Banks seront une famille de Noirs richissimes, leurs voisins ne sont autres que Ronald et Nancy Reagan. « Bel-Air est une communauté californienne très aisée, majoritairement blanche, et il est difficile pour quelqu’un comme moi d’acquérir le capital nécessaire pour s’installer dans un tel quartier », commente le chercheur. Une idée « révolutionnaire » selon Will Smith dans Prince de Bel-Air, les retrouvailles dans le paysage audiovisuel américain. « Le Prince de Bel-Air a montré, à la télévision, la possibilité pour les Noirs de naviguer dans des espaces qui leur étaient traditionnellement fermés », salue Frederick W. Gooding.
La série suit l’intégration de Will, jeune afro-américain qui a grandi dans les quartiers populaires de Philadelphie, à Bel-Air. Affublée de casquettes fluo portées sur le côté et de tee-shirts bariolés, Will évolue à Bel-Air avec sa culture hip-hop et en guise de générique, un rap énergique interprété par Will Smith, composé avec son ami Jeffrey Townes. « Will est jeune, un peu effronté. Il ne suit pas toutes les règles », commente Frederick W. Gooding.
Un jeune Noir capable de s’adapter
Comme le Cosby Show, la sitcom dissocie la question sociale de la question raciale. « Là où Le Prince de Bel-Air était absolument innovant, c’est en montrant qu’un jeune homme noir avec l’attitude hip-hop pouvait naviguer dans ces deux mondes, et leur donner du sens, même si c’était parfois très difficile », félicite le maître de conférences.
La série s’amuse des différences sociales qui existent entre Will et sa famille. Will aime le rap et le basket alors que son cousin Carlton préfère le golf et les pulls noués autour du cou. La série donne ainsi à voir une certaine variété de l’expérience afro-américaine.
Entre deux rires enregistrés et deux vannes bien balancées par le majordome anglais Jeffrey ou par Will, la série aborde la question des racines. « J’ai grandi dans la rue comme toi, j’ai été en but à des préjugés inimaginables. Bon, tu as un grand poster de Malcolm X sur ton mur, je l’ai entendu parler très souvent, j’ai lu chaque mot qu’il a écrit. Eh bien, crois-moi, je sais d’où je peux venir », balance ainsi l’oncle Phil à Will dans le pilote.
Les questions raciales évoquées
« Il n’y a eu que quelques épisodes où l’on a indirectement parlé de questions raciales, une fois quand Carlton portait une arme, une autre fois quand Will et Carlton sont arrêtés par la police », rappelle Frederick W. Gooding, qui estime cependant que « de nombreuses voix noires manquaient ».
Le hic ? La majorité des scénaristes de la série sont blancs. « On tombait parfois sur des scènes qu’on trouvait improbables. “Les Noirs ne feraient jamais ça” », se souvient Alfonso Ribeiro, l’interprète de Carlton, dans Prince de Bel-Air, les retrouvailles.
« L’un de nos scénaristes blancs a écrit un épisode de Thanksgiving avec de la tarte au potiron, et les scénaristes noirs ont ri et nous ont dit qu’un Thanksgiving noir comportait de la tarte aux patates douces », se souvient Susan Borowitz, la cocréatrice du show. « Si vous avez plus de scénaristes issus de la diversité, alors vous aurez plus de voix qui collent, nuancent et ou témoignent de la réalité de l’expérience noire », souligne Frederick W. Gooding.
Pendant les répétitions sur le plateau de tournage, les acteurs noirs corrigent ainsi les erreurs ou approximations des scénaristes blancs lors des répétitions. « Sur cette série, on était libres d’expliquer aux scénaristes les aspects culturels de ce qu’ils avaient écrit », raconte Daphne Reid, qui a repris le rôle de tante Vivian après le départ de Janet Hubert-Whitten.
Une série toujours pertinente
En 2019, Morgan Cooper, un réalisateur afro-américain, tourne une bande-annonce de trois minutes et demie qui réimagine la sitcom sous la forme d’un drame appelé Bel-Air, avec le personnage principal, Will, envoyé vivre chez son oncle et sa tante riches après avoir été surpris avec une arme à feu. La vidéo, publiée sur YouTube, visionnée près de 6,7 millions de fois, attire l’attention de Will Smith. Les deux artistes s’associent pour produire le reboot.
« Morgan Cooper va mettre sur la table une version plus grinçante, plus réaliste », se réjouit Frederick W. Gooding. « Il a une chance de raconter l’histoire d’une façon un peu plus pertinente », poursuit le chercheur.
« C’est aussi pertinent aujourd’hui, que ça l’était il y a trente ans, malheureusement », estime Will Smith. « Quand Le Prince de Bel-Air a été créé, nous étions tous choqués d’avoir vu les images du passage à tabac de
Rodney King [par la police de Los Angeles], trente ans plus tard, nous avons toujours les mêmes conversations. L’affaire
George Floyd est encore pire parce qu’il a été assassiné », déplore Frederick W. Gooding.
La télé, une « affaire dominée par les Blancs »
Récemment, des séries comme Atlanta, Blackish et Insecure ont centré leurs intrigues sur la vie de famille et de jeunes professionnels noirs confrontés à l’embourgeoisement, à la discrimination, au racisme et aux brutalités policières. « Je suis heureux que Black-Ish et son spin-off existent », souligne-t-il. « Mais rétrospectivement, le Cosby Show n’a pas ouvert les vannes. Ce que nous regardons à la télévision est toujours une affaire dominée par les Blancs », observe le chercheur.
Si Shonda Rhimes est une voix qui compte à la télévision américaine, il y a encore trop peu d’auteurs et autrices noirs. « En théorie, nous aimons l’idée de la diversité, mais dans la réalité, elle est encore très difficile à mettre en œuvre », constate Frederick W. Gooding.
« Quand on a un casting entièrement blanc, on ne dit pas que c’est bien, on dit juste : “c’est une série télé”. Friends était juste une série télé, Seinfeld, aussi. Elles s’adressent à tous. Je peux les regarder, tout comme mes frères et soeurs asiatiques, amérindiens ou latinos. Pourquoi est-ce à sens unique ? », s’interroge le chercheur.
La représentation des Noirs à la télévision est encore insuffisante. « Si nous avions plus de contenus comme celui produit par Morgan Cooper, certains de mes frères et sœurs blancs pourraient apprendre afin que nous puissions un jour éviter des tragédies comme la mort de George Floyd dans le futur », conclut Frederick W. Gooding.
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