- Dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube ce dimanche, Lena Situations témoigne du harcèlement dont elle est victime.
- « Il y a plein de choses que je ne peux plus partager parce que j’ai peur que je me fasse tuer dans la rue ou pire, qu’il vous arrive quelque chose », l’entend-on dire, en larmes, dans une conversation téléphonique avec l’un de ses proches.
- Malgré une médiatisation de plus en plus importante, le phénomène du cyberharcèlement ne s’estompe pas.
Avant de démarrer la sixième saison de ses fameux vlogs d’août, il fallait que Lena Situations fasse une mise au point. Dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube ce dimanche, l’influenceuse a témoigné du passage à vide qu’elle a vécu durant près d’un an, la faute à des messages de haine reçus en masse sur ses réseaux sociaux.
Avec un compteur d’abonnés qui augmente, « on vient te mettre des bâtons dans les roues et couper ton élan », explique-t-elle face caméra. Il y a un an, « la haine que je connaissais, qui n’était habituellement que sur Internet, a été très réelle et a pris 100 % de mon énergie. On a [dépassé] le monde virtuel pour aller devant chez ma mère, appeler sur l’interphone pour la harceler encore et encore, l’appeler au téléphone jusqu’au moment où elle coupe sa ligne », témoigne-t-elle.
« Plus je suis suivie, plus je me sens seule »
Face à la peur qu’elle ressent pour sa propre sécurité et celle de ses proches, elle décide de faire une coupure en grimpant le Kilimandjaro. La « sauce », comme elle l’appelle, retombe sur ses épaules dès son retour lorsqu’elle raconte sur ses réseaux qu’elle était invitée à la cérémonie du Ballon d’or mais qu’elle a préféré partir en vacances à Los Angeles avec son chéri. Certains internautes la traitent alors de « salope », de « pétasse » ou de « sorcière », tout en lui souhaitant que son copain la trompe à la suite d’une telle trahison.
Dans une conversation téléphonique avec son meilleur ami Marcus, qu’elle a filmée et dévoilée, Lena est en pleurs. « Il y a plein de choses que je ne peux plus partager parce que j’ai peur que je me fasse tuer dans la rue ou pire, qu’il vous arrive quelque chose. Je me sens seule de ouf. Plus je suis suivie, plus je me sens seule. » De retour face à sa caméra et à ses abonnés, elle se confie : « Je suis devenue un trou noir à émotions, je n’en voyais plus le bout. Heureusement que j’étais bien entourée, autrement je ne sais pas ce qu’il se serait passé ».
« C’est la réponse à l’empouvoirement des groupes minorisés »
Une enquête d’Ipsos, réalisée en novembre 2021, rapporte que 41 % des Français déclarent avoir vécu ne serait-ce qu’une fois, au moins une situation de cyberviolence, que ce soit sur un réseau social, sur une messagerie instantanée ou par SMS. De l’autre côté de l’Atlantique, selon un sondage du centre de recherche Pew Research Center datant de l’an dernier, 41 % des Américains ont aussi déjà subi une forme quelconque de harcèlement en ligne. Le rapport indique que les femmes sont 2,6 fois plus attaquées sur leur genre que les hommes : 47 % des femmes harcelées ont subi ce type d’attaques, contre 18 % des hommes.
Une « case » que coche Lena Situations, parmi plusieurs autres. « Ça peut arriver à tout le monde mais il y a des facteurs aggravants : quand on est une femme, quand on est racisée et quand on est jeune, rapporte Stéphanie de Vanssay, autrice du livre Manuel d’autodéfense contre le harcèlement en ligne : #Dompterlestrolls. Quand on a une vie publique, on devient la chose du public et ce n’est pas quelque chose de nouveau. C’est juste qu’on a un accès direct aux personnes publiques via les réseaux sociaux et que certains en abusent. »
Voir des femmes réussir déclenche un processus d’oppression auprès de certaines personnes. « C’est la réponse à l’empouvoirement pris en ligne par les groupes minorisés, les femmes notamment. Ces mécanismes de violence visent à assigner à ces personnes la place qui leur est réservée par le patriarcat, la blanchité, la cis hétéronormativité », estime Johanna Soraya, cofondatrice du collectif Féministes contre le cyberharcèlement. Dans le cas de Lena Situations, les femmes qui brisent les codes devraient, selon leurs agresseurs, passer par leurs institutions pour être validées dans l’industrie du divertissement.
Tous responsables
Si parler ouvertement de la cyberviolence qu’elle subit est un « acte politique », Lena Situations indique dans la fin de sa vidéo qu’elle ne se laissera plus envahir par ces messages de haine. Mais le collectif Féministes contre le cyberharcèlement ne veut pas faire reposer toutes les avancées sur la parole des victimes. « On veut désincarner ce problème des cyberviolences et montrer que c’est un mécanisme bien plus structurel et politique qu’un fait divers. Malheureusement, dans les médias, c’est beaucoup traité comme des faits divers sensationnalistes », déplore Johanna Soraya.
Pour réduire le phénomène de cyberharcèlement, il faudrait « reconnaître qu’on fait toutes et tous partie de ces systèmes d’oppression, qu’on a tous une responsabilité en ligne à signaler des contenus, à ne pas participer à publier des contenus humiliants et dépréciatifs sur d’autres personnes, à ne pas cliquer et ne pas encourager », rapporte la cofondatrice. D’après l’étude d’Ipsos mentionnée plus haut, 31 % des Français ont déjà été à l’origine d’une situation relevant de cyberviolence.
L’impunité des plateformes
Pour faire reculer le phénomène, rien de tel qu’une prise de conscience collective… qui tarde un peu à arriver. « Mais je me demande si les jeunes n’ont pas plus de maturité et de recul que la plupart des personnes qui ont découvert les réseaux sur le tard. J’ai le sentiment que la jeune génération va aider à ce que les choses soient un peu plus maîtrisées », espère Stéphanie de Vanssay. Un avis que partage Johanna Soraya : « La nouvelle génération continue à créer des contenus, à articuler des pensées politiques autour de l’écologie, du féminisme, de l’antiracisme… On voit une émancipation et une libération qui se font par des collectifs. Ces mouvements résonnent les uns avec les autres et on les encourage parce qu’on ne va pas disparaître de ces espaces », déclare-t-elle.
Les regards se tournent également du côté des plateformes, qui hébergent ces contenus et qui voient les mécanismes d’oppression s’adapter aux nouvelles pratiques, à l’image des raids en direct sur un live Twitch. « Les plateformes se font de l’argent quand il y a des cyberviolences, souligne Johanna Soraya. Elles-mêmes ne modèrent pas et laissent les communautés se galvaniser entre elles. L’engagement prend et le design des plateformes s’articule autour des cyberviolences ». Une mécanique qui ne participe donc pas à responsabiliser les internautes.
Un nouveau règlement européen sur les services numériques changera peut-être les choses. Le « Digital Services Act », voté par le Parlement européen le 5 juillet dernier, vise à prendre les mesures nécessaires pour atténuer les risques liés à la violence en ligne, comme la suppression des faux profils. Prévu pour un lancement effectif en 2024, ce texte entrera en application plus tôt que ça pour les plateformes détenues par les Gafam.
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