« Mon entourage me juge à longueur de temps. Ça va du ‘Tu vas finir seul et aigri’ à des surnoms médisants comme « l’insociable ». C’est très dur de vivre cette situation », raconte Jérôme, 23 ans et toujours vierge. Touché par un cancer des os pendant son adolescence, le jeune homme « pas franchement dans la norme » se sent perpétuellement « jugé et critiqué » sur son absence de vie sexuelle, à la fois par sa famille et ses amis.
« Pour certains hommes, le fait de perdre sa virginité est une forme de rite de passage, de validation de leur virilité« , explique Jérémie Bachet, sexologue. Dans une société où la masculinité toxique est encore trop présente, « la construction de l’identité masculine passe ainsi par la négation de la féminité initiale dans laquelle les hommes sont nés. Ça commence petit garçon avec une sur-valorisation de leurs prouesses, puis cela se poursuit à l’adolescence, avec des comportements et propos « dévirilisants » envers les autres hommes, et enfin avec le besoin d’affirmer leur puissance érectile, par la pénétration », analyse le sexologue.
Parfois encore, j’ai l’impression que ma virginité s’oppose à ma féminité. Comme si je ne pouvais pas apparaître séduisante et désirable.
La perte de virginité viendrait ainsi valider le passage à l’âge adulte, mais aussi déterminer le degré d’attractivité de chacun·e. « Le fait d’être vierge fait que je n’ai pas confiance, ni en moi ni en mon pouvoir de séduction. Du coup, je suis plutôt renfermé sur moi-même, c’est un cercle vicieux », explique Jérôme.
Chez les jeunes femmes aussi, la première fois serait une étape inéluctable pour accéder à la féminité, comme si le fait de n’avoir aucune relation sexuelle était un manquement au « devenir femme ».
« Ado et jeune adulte, j’avais toujours l’impression d’être prise de haut par mes amies qui couchaient avec des partenaires. Comme si je valais moins qu’elles parce que je n’avais pas cette expérience. Parfois encore, j’ai l’impression que ma virginité s’oppose à ma féminité. Comme si je ne pouvais pas apparaître séduisante et désirable, parce que les gens se disent que personne n’a voulu de moi jusque là », raconte Lucie, 35 ans et vierge « par le hasard de la vie ».
Virginité tardive : vivre dans la honte et le mensonge
En abordant le sujet de la virginité tardive, on réalise rapidement que de nombreux·ses hommes et femmes pensent être concerné·es par ce sujet, alors même que leur premier rapport sexuel est survenu à l’âge de 19 ou 20 ans.
Une perception biaisée, qui explique que les personnes encore vierges à 30 ans se sentent totalement à la marge. Pour Sébastien, un homme de 45 ans dont le premier rapport sexuel a eu lieu lorsqu’il en avait 30, « il faut être vraiment armé psychologiquement pour affronter le regard et les remarques des autres ».
Comme Jérôme, il a donc toujours préféré garder le silence sur ce sujet, voire s’inventer des « amours de vacances pour faire croire [qu’il était] comme tout le monde ». « Ce qui, à l’adolescence, peut passer pour une bizarrerie devient quelque chose d’anormal à l’âge adulte. On vous imagine ayant des déviances… », regrette-t-il.
« Il y a un côté vieille fille que je n’assume pas car je ne m’y retrouve pas. Parler de cette absence de vie sexuelle dans ma vie me fait vraiment honte, j’ai l’impression qu’on va me juger ou pire, me prendre en pitié. J’aimerais dire aux gens : “Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais bien ! Oui, on peut être heureuse sans sexe ! Mais c’est un discours qui est encore dur à entendre pour beaucoup », estime Lucie.
Les vierges, moqués par le porno et la pop culture ?
Du très culte et très gras American Pie à la série Euphoria, en passant par le film d’Olivia Wilde Booksmart : la pop culture sexualise depuis longtemps les adolescents et les étudiants, et véhicule cette idée selon laquelle il faudrait cocher la case ‘dépucelage’ au moins avant la fin du lycée.
« Quand je regarde « Euphoria », je me demande vraiment si je suis normale. Ils ont tous·tes 17 ans et ont une vie sexuelle plus riche et trépidante qu’une libertine de 40 ans ! Je me dis que si j’avais vu ça ado, j’aurai vécu ma virginité encore plus mal », déplore Lucie.
Pour Jérémie Bachet, cette culture du sexe à tout prix et cette injonction à perdre sa virginité seraient en partie héritées de la pornographie. « La société toute entière concourt à pousser les femmes à réussir l’exploit d’être des oies blanches, proies du désir des hommes » ; mais également qu’elles soient « capables de rivaliser avec les stars du X que les hommes voient parfois plusieurs fois par jours ! ».
« Un glissement s’est produit au cours des dernières décennies, avec la banalisation de pratiques autrefois confidentielles et de ce que l’on s’autorise ou non à montrer dans la pop culture. Quelle valeur la virginité peut-elle alors garder ? », interroge en conclusion le sexologue.
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