« Le diagnostic pour mon fils Arthur a été posé le jour de la rentrée : l’institutrice a vu qu’il n’était pas comme les autres enfants, elle a demandé à la psychologue scolaire de l’observer. Nous, on était super contents, on se disait ‘C’est génial, les enseignants prennent soin de notre fils, ils sont super bienveillants’. Quelle illusion ! On a vite déchanté », se souvient Jeanne*, maman d’un petit garçon autiste non verbal – qui ne parle pas.

À 6 ans, Arthur* est en grande section de maternelle, après avoir redoublé l’année dernière. En cette rentrée 2020, ce sont 385.000 enfants en situation de handicap qui ont fait leur rentrée dans une classe ordinaire, comme Arthur. 84.000 de plus depuis 2017, selon le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées.

Des chiffres qui semblent encourageants, alors que le gouvernement a mis en place des réformes, depuis 2019, pour améliorer l’inclusion des élèves handicapés, sous l’égide de l’École inclusive. Mais dans les faits, de nombreux parents demeurent insatisfaits, voire, découragés, par la place accordée à leur enfant au sein du système scolaire.

Des élèves « d’office condamnés »

Lors de sa première année d’école, Arthur n’y restait qu’une heure et demi par jour. « Je devais aller le chercher le matin, avant la récré. Il n’avait pas le droit de passer la récré avec les autres enfants », explique tristement sa mère.

Cette année, en entrant dans la salle de classe d’Arthur, Jeanne « a eu les larmes aux yeux » : « Il avait son poste de travail au fond de la classe, tout seul. Le pire, c’est que son instit’ pensait bien faire. Elle lui avait mis une table en plus, avec ses jouets. Elle m’a dit qu’il avait le même travail que tout le monde, ‘s’il voulait’. Mais Arthur reste un enfant, si on lui laisse le choix, évidemment il va se ruer sur les jouets ! Pour eux, l’étiquette d’enfant handicapé le condamne à l’échec. Quand tu pars du principe qu’il est condamné, tu ne vas rien mettre en place pour l’aider. »

Il avait son poste de travail au fond de la classe, tout seul.

La maman se souvient amèrement de ce directeur qui lui avait rétorqué « Faut pas rêver » quand elle lui avait annoncé vouloir qu’Arthur poursuive ensuite sa scolarité à l’école primaire. Elle se bat aussi pour qu’il puisse suivre les cours de natation, « obligatoires dans l’instruction », dont il est pourtant privé. « C’est illégal. » 

« L’école n’a d’inclusive que le nom »

Pour Jeanne, le constat est clair : « L’école n’a d’inclusive que le nom », dit-elle en référence à la réforme gouvernementale École inclusive, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, initiée en 2019.

L’école inclusive, selon la définition du Ministère de l’éducation nationale, « vise à assurer une scolarisation de qualité pour tous les élèves de la maternelle au lycée par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers ».

« Ils ne savent même pas ce que signifie ce mot », reproche Jeanne. « L’inclusion, ça veut dire qu’Arthur doit être inclus dans la classe, traité comme n’importe quel enfant. Là, OK il est dans la classe, mais mis de côté. C’est de la ségrégation. »

L’inclusion, ça veut dire qu’Arthur doit être inclus dans la classe, traité comme n’importe quel enfant. Là, OK il est dans la classe, mais mis de côté. C’est de la ségrégation.

Pourtant, l’année dernière, le petit Arthur suivait les activités comme ses camarades. « Il faisait comme il pouvait, mais il vivait la même journée que les autres. » Sa professeure avait même lu en classe l’histoire d’un petit garçon autiste, pour sensibiliser les élèves. « Ensuite, ils lui tenaient la main, prenaient soin de lui ». Sa nouvelle institutrice n’aura hélas pas pris cette peine et Arthur se retrouve isolé.

La prise en charge des enfants en situation de handicap à l’école se révèle effectivement très « inégale », reconnaît Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation familles chez APF France handicap, la plus importante association française de défense et de représentation des personnes en situation de handicap et de leurs proches. « Ce n’est pas évident pour les enfants et leurs familles. »

Le parcours du combattant d’Eozenn, élève de Terminale sourde

Eozenn, lycéenne de terminale générale ne dit pas le contraire. Sourde, la jeune fille s’est retrouvée à la rentrée sans interprète en langue des signes françaises (LSF). « Je ne peux pas suivre à 100% les cours comme les autres élèves », nous écrit-elle. Ses années lycée racontent ce parcours chaotique : en seconde, elle bénéficiait de l’aide d’interprètes « mais pas à temps complet », en première dans un autre lycée, elle passe un mois et demi sans interprète.

« On a fini par trouver une AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap, ndlr) signante. À cette époque, quelques élèves ont tenté de m’aider à comprendre un peu les cours, pourtant ça a été bien compliqué. J’étais beaucoup absente parce que je n’avais aucune motivation pour aller en cours et j’avais tellement de frustration », se souvient Eozenn.

Cette année, ses profs font des efforts pour lui donner les cours par écrit. « Et dans ma classe, il y a quelques élèves sympas, surtout une fille qui m’aide ’24h’. Elle sait un peu signer, on communique plutôt par écrit sur nos portables, le proviseur nous l’a autorisé. »

Pourtant la jeune fille s’inquiète pour son bac. « On se bat pour obtenir les mêmes droits que les entendants, insiste Eozenn. Je me sens frustrée parce que l’Éducation nationale favorise l’inclusion des élèves sourds, sans avoir des moyens. »

Derrière les discours, des moyens nécessaires

En juin dernier, le gouvernement a multiplié les annonces pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés. Notamment, la promesse de créer des « équipes d’appui médico-social aux écoles et aux établissements scolaires » dans chaque département, à la rentrée 2020. Mais aussi, « accélérer le déploiement » de services d’accompagnement spécialisé (Sessad), ou encore, l’ouverture de « 70 nouvelles unités d’enseignement » pour « les élèves présentant un trouble du spectre autistique ».

Par ailleurs, un numéro vert unique a été mis en place en juillet, le 0 805 805 110, pour joindre soit la cellule départementale, soit la cellule nationale Aide handicap École, via un serveur interactif. Le 0800 730 123 est quant à lui accessible aux personnes malentendantes.

On n’est pas encore dans une école qui s’adapte aux besoins de l’enfant.

« On voit une volonté politique en faveur de l’inclusion. Mais cette volonté ne suffit pas à rendre l’école inclusive. On n’est pas encore dans une école qui s’adapte aux besoins de l’enfant », avance Bénédicte Kail, d’APF France handicap.

À l’âge de 10 ans, seuls 45% des enfants handicapés sont encore scolarisés

Elle rappelle cette étude du ministère de l’Éducation nationale parue en octobre 2016 : à l’âge de six ans, 85% des élèves en situation de handicap sont scolarisés dans une classe ordinaire ; à dix ans, ils ne sont plus que 45%.

« Pour un parent, c’est insupportable de s’entendre dire ‘votre enfant ne peut pas aller à l’école' », tranche Sonia Ahéhéhinnou, porte-parole de l’Unapei pour l’école inclusive.

Les statistiques sur le nombre d’enfants handicapés déscolarisés sont rares. Le dernier décompte officiel remonte à 2008, et faisait état de 11.000 enfants handicapés sans accès à l’école. De son côté, le gouvernement s’est félicité en 2017 que le nombre d’enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire ait « doublé » depuis 2006.

#Jaipasécole

Face à cette situation, l’Unapei, qui regroupe plus de 500 associations, animées par des bénévoles, des parents et des amis de personnes handicapées, lançait en septembre 2019 le hashtag #Jaipasécole. Elle a enjoint les parents à le réutiliser cette année.

De même que le site marentree.org, sur lequel ils peuvent signaler des cas de scolarisation partielle, inexistante ou inadaptée, d’enfants en situation de handicap. Au 2 octobre, 565 témoignages y sont publiés pour la rentrée 2020. Une manière de rappeler qu’Emmanuel Macron s’était engagé, en février dernier, à ce qu’aucun d’entre eux ne soit privé d’école à la rentrée prochaine. Un discours, semble-t-il, éloigné de la réalité.

Sur le terrain, les moyens ne sont pas à la hauteur de la demande.

« La situation évolue, heureusement, beaucoup de choses se mettent en place, le gouvernement prend des positions fortes. Mais sur le terrain, les moyens ne sont pas à la hauteur de la demande, souligne Sonia Ahéhéhinnou. Cette année, comme tous les ans, des enfants restent à la porte de l’école ou n’ont pas la scolarisation qui correspond à leurs besoins. ».

Elle évoque par exemple le cas d’un enfant atteint de la maladie de Charcot, ayant besoin de suivre des soins de kiné et de psycho-motricité dans l’enceinte de son école. Sauf que les locaux sont trop petits et que la direction conseille à la famille de « se débrouiller ».

Elle espère des locaux plus adaptés, un nombre suffisant d’AESH et de places en IME (Instituts médico-éducatifs, qui accueillent les enfants et adolescents ayant une déficience intellectuelle). « Il faut cibler les chantiers sur les problèmes, tenir compte des besoins de chaque enfant, individualiser et mettre en place les moyens autour pour l’accompagner », liste la porte-parole de l’Unapei.

« On doit travailler sur la qualité, pour que les enfants soient scolarisés et puissent rester à l’école, continuer ensuite dans le supérieur. Il faut former les enseignants et les accompagner », ajoute Bénédicte Kail. Pour qu’Arthur puisse entrer en CP et qu’Eozenn puisse passer son bac, comme n’importe quel autre de leurs camarades.

* Les prénoms ont été modifiés

  • Handicap International x Caval : des chaussures pour l’inclusion des enfants handi.e.s
  • Louise, 5 ans, refusée d’un club de vacances car trisomique

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