- Transmettre des valeurs familiales par la politique
- Quand les idéaux politiques divergent et divisent
- Gare à la manipulation politique
- Se détacher des valeurs politiques de la famille
- Éviter de parler politique, la clé d’une famille apaisée ?
“Moi, j’aime bien le Président parce que je le vois beaucoup à la télé, mais je sais que papa ne l’aime pas trop”, partage innocemment Martin*, 7 ans. Ses parents, des trentenaires qui se définissent “de la gauche écologiste”, ont eux aussi beaucoup à dire sur Emmanuel Macron, mais pas aussi chaleureusement que leur fils.
Si Martin est encore loin de mettre son bulletin dans l’urne et d’éventuellement opposer ses idées politiques à celles de ses parents, il est déjà spectateur de discussions entre convictions politiques différentes. Dans sa famille – étendue -, on vote de l’extrême droite à l’extrême gauche : “des réveillons assez explosifs”, confirment ses parents.
Pourtant, quand on pense cercle rapproché et liens du sang, on pourrait croire qu’il est plus simple de s’accorder sur ces questions-là, ou du moins, d’arriver à accepter l’avis de chacun sans faire d’esclandre.
Que nenni : plus on est proche de la personne, plus il est difficile d’accepter que son frère, sa mère ou encore son oncle pensent différemment de nous.
Transmettre des valeurs familiales par la politique
“Dans la politique, il y a clairement un devoir de repère et de transmission”, indique Hélène Romano, psychologue et docteure en psychopathologie. Véritable socle à l’éducation des enfants, la conscience politique des parents doit être utilisée à bon escient.
“Mon père est élu à la mairie depuis plus de dix ans et même si on a toujours parlé politique, mes parents m’ont plus inculqué les valeurs de la République, qu’une opinion”, raconte Clémentine, 22 ans.
Les droits et les devoirs, le fonctionnement de la démocratie, la pluralité des façons de voir le monde : tant de choses qui peuvent être illustrées au travers de la politique.
Mais là où le bât blesse, c’est que la politique fait partie de ces sujets teintés d’opinions bien tranchées. Et c’est souvent ces biais qui vont transmettre une vision particulière de la société à l’enfant.
“Le vocabulaire employé, les manières d’être et de se comporter, l’apprentissage de ‘ce qui se fait’ et ‘ce qui ne se fait pas’, la réalité des fins de mois plus ou moins difficiles, les sujets qui mettent en colère ou qui enthousiasment sont autant de marqueurs profonds de notre rapport à la politique”, expliquait le sociologue Bruno Cautrès dans un entretien à Atlantico.
Quand les idéaux politiques divergent et divisent
Et rares sont les familles où les échos politiques se répondent.
“On en a toujours parlé aux repas de famille, même si parfois le ton montait”, se remémore Héloïse, 25 ans. Pourtant, du côté maternel, ses aîné.es semblent regarder dans la même direction. “Ma mère est quelqu’un de très politisée, parce que son père l’était aussi. Il était de droite et ma mère l’a toujours été aussi”, continue la jeune femme.
Combien de fois est-ce qu’on m’a lancé, ‘tu ne l’as pas vécu, donc tu as tort’, alors que j’avais des arguments légitimes.
Différent son de cloche du côté de Clémentine, pour qui il est “très naturel” d’exposer ses positions politiques à ses parents, mais qui se heurte à “un dialogue de sourds”, avec certains membres de sa famille élargie.
“Parfois, certains sont tellement obstinés que ça coince. Et puis, pendant longtemps, j’ai eu l’étiquette d’enfant et on ne m’a pas laissée parler. Combien de fois est-ce qu’on m’a lancé, ‘tu ne l’as pas vécu, donc tu as tort’, alors que j’avais des arguments légitimes”, soupire l’étudiante.
Mais souvent, dans les débats politiques familiaux, il n’y a pas que les visions du monde qui se heurtent. “Il y a un latent manifeste dans ces situations. Le manifeste c’est le haut de l’iceberg, les enjeux politiques et le latent c’est ce que l’on trouve en dessous, des exécutoires qui servent à reprocher des choses aux membres de la famille avec qui l’on n’est pas d’accord. En disant des choses comme, ‘t’es réac’, c’est la personne qui est réinterrogée, pas ses convictions”, explique Hélène Romano.
Gare à la manipulation politique
Ces tablées, que des animosités sous-jacentes s’y ajoutent ou non, peuvent parfois influencer les plus petits. Après tout, on apprend de nos parents et de nos grands-parents, que l’on érige souvent en déesses et dieux de la connaissance.
“Les spécialistes d’analyse politique, ont montré de longue date que l’électeur est influencé et tente lui-même d’influencer les membres de son proche entourage. Si l’on vote seul dans l’isoloir, l’environnement familial n’est jamais loin”, expliquait Bruno Cautrès, toujours à Atlantico.
Mais il y a un monde, entre exposer ses convictions, et les pousser sur les gens. Notre psychologue prévient, “tout commence dans l’enfance donc il ne faut pas que les parents disent ‘c’est tel parti ou rien d’autre’”. Dans ce cas, le développement de l’esprit critique s’en trouve menacé.
“On peut très bien dire, ‘moi mes valeurs c’est plutôt ça, donc je me reconnais plus dans telle personne’, mais ce n’est pas forcément ce dont l’enfant a besoin. L’idée c’est de lui transmettre des repères”, ajoute Hélène Romano.
L’important, c’est surtout qu’aucun champ ne soit laissé à la manipulation. Comme le rappelle notre experte, si les parents donnent les clés, leur enfant pourra y voir plus clair dans les tentatives – parfois inconscientes – de bourrage de crâne du reste de l’entourage (large famille, ami.es, professeur.es, parents de camarades…).
“Bien-sûr, on a le droit de ne pas être d’accord, mais il faut pouvoir s’expliquer dans le respect, pour éviter qu’on en arrive au ‘tu votes untel, donc tu n’es plus mon fils’”.
Se détacher des valeurs politiques de la famille
Mais parfois, la transmission de la mémoire politique de la famille pèse lourd sur les jeunes générations. “Des phrases comme ‘nous on est une famille de gauche’, ‘dans la famille on a toujours voté à droite’ (…) jouent un rôle de balisage et de repérage des orientations politiques pour un jeune”, confirme Bruno Cautrès.
“Jusqu’à mon arrivée à la fac, mes avis politiques étaient le reflet de ceux de mes parents, se souvient Héloïse, je pense que ça découlait du fait que je voulais leur plaire, et c’était aussi des idées avec lesquelles j’avais grandi. J’ai pleuré quand Nicolas Sarkozy a perdu contre François Hollande en 2012. Quand j’y repense, j’hallucine un peu, tant je suis loin de cette manière de penser désormais ».
C’est même important de faire venir ses enfants au bureau de vote, pour bien montrer que le vote n’appartient qu’à soi.
Alors, comment se défaire de cette hérédité politique pour être sûr.e qu’on vote pour nous, et pas pour ses aîné.es ?
“Déjà, il faut rassurer dès l’enfance. On explique que le vote, c’est intime, que ça se passe dans un isoloir. C’est même important de faire venir ses enfants au bureau de vote, pour bien montrer que le vote n’appartient qu’à soi”, conseille Hélène Romano.
Ainsi, on évite les deux réactions les plus classiques : penser comme papa ou maman pour faire comme eux, ou, au contraire, adopter une vision clivante, pour rejeter cette manière de penser. “Dans tous les cas, l’esprit critique est embué”, prévient la psychologue.
Éviter de parler politique, la clé d’une famille apaisée ?
Et si, après avoir reçu toutes les clés pour construire ses propres idées politiques, on arrêtait d’en parler pour éviter les conflits et autres tentatives de bourrage de crâne ?
“À mes 18 ans, j’ai compris que j’étais intéressée par certaines idées, parce que mes parents l’étaient, pas pour moi-même. Mes opinions politiques se sont renforcées pour mieux me correspondre. Désormais, on est pratiquement opposées avec ma mère. Elle essaye toujours d’imposer ses opinions politiques en disant qu’elle a raison parce qu’elle est l’adulte qui a plus d’expérience. On évite d’en parler du coup”, partage Héloïse.
Pour Clémentine, l’émancipation s’est faite autrement. La jeune femme s’est engagée pour rendre la politique plus accessible et prévoit, après ses études, de continuer dans la communication politique. Aujourd’hui, elle a une crédibilité autour de la table familiale.
“Pour les présidentielles de cette année, j’ai aidé à monter un site qui répertorie les programmes des candidats, avec un glossaire pour rendre les choses plus accessibles”, rapporte celle qui est « détachée de toutes opinions politiques familiales ».
“En soi, le débat en famille n’est pas forcément à rayer, mais il faut qu’il soit constructif et dans le respect”, conclut de son coté, Hélène Romano.
Le petit Martin, lui, ne s’embarrasse pas de dire devant ses parents, “qu’il aime bien le Président”, des “repas de famille qui s’annoncent intéressants pour les années à venir”, réagit en souriant son père. Finalement, le jeune garçon a peut-être trouvé l’argument qui mettra toute sa famille d’accord : il a écrit “Président” tout en haut de sa liste de métiers rêvés.
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* Le prénom de l’enfant a été changé, à la demande de ses parents
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