À l’occasion de son podcast « Une musique, un film », à retrouver sur notre site, Caroline Pastorelli a rencontré le célèbre compositeur de musique de films (il en compte près de 1000 à son compteur) dont les inoubliables « le Grand blond avec une chaussure noire », « Les aventures de Rabbi Jacob », « Le dîner de cons », « La Boum », « L’As des As » ou encore « Les Compères ». Ses trois concerts événements au Grand Rex initialement prévus en septembre ont été reportés du 26 au 28 mars 2021.
Vos trois concerts événement au Grand Rex ont été reportés en raison de l’épidémie de COVID19 après avoir déjà subi une déprogrammation en avril pour les mêmes raisons…
Je souhaite donner ces concerts dans de bonnes conditions c’est-à-dire avec un très grand orchestre, des chœurs, des solistes, avec une salle pleine si possible, pas une personne sur deux. Les gens qui avaient déjà acheté leur place n’ont pas demandé leur remboursement ce qui est très flatteur, sympathique et émouvant pour moi.
ECOUTEZ L’ENTRETIEN EN PODCAST :
Wikiradio Saooti
OU VIA LE SITE LE MUR DES PODCASTS
OU DEPUIS LES PLATEFORMES Apple, Google, Deezer, Spotify
J’aime beaucoup rencontrer le public. C’est pour moi une sorte de revanche car toute ma vie j’ai été seul sur une table à écrire la musique à ne voir que le metteur en scène. C’était un peu abstrait quand on regarde que les chiffres des entrées. Pouvoir désormais parler aux gens, les écouter me livrer leur réflexion, me partager leurs impressions, l’émotion que ma musique a suscitée chez eux est très intéressant pour moi. Certains me disent des choses très surprenantes comme des malades que ma musique a guéris.
Ennio Morricone, Michel Legrand, Francis Lai… De très grands compositeurs de musiques de film de votre génération ont disparu récemment. Quels souvenirs gardez-vous d’eux ?
Avec la disparition de Michel Legrand c’était d’un coup toute une partie de ma jeunesse et de ma vie qui s’en allaient. C’était un musicien que j’appréciais énormément et avec lequel j’ai travaillé pendant presque 10 ans. J’étais très proche de lui et j’ai beaucoup appris de lui. À mes débuts je n’étais pas du tout voué à faire de la musique de film. C’est à ses côtés que j’ai tout appris, la technique, les rouages, Il a une place toute particulière dans ma vie.
Quant à Ennio Morricone, je l’estimais beaucoup. Très tôt je trouvais qu’il avait énormément de talent. Je me souviens à mon arrivée à Paris avoir lu son nom au générique d’un film italien dont il avait fait la musique – très réussie !- et m’être dit « avec un nom pareil il ne deviendra jamais connu ! ». (Rires). Je lui ai raconté cette anecdote lorsque nous nous sommes vus pour la dernière fois en 2018 lors de son concert à l’AccorHotels Arena.
D’ailleurs Morricone et moi avons été en concurrence pour un film très connu, « l’As des As » en 1982. René Château et Jean-Paul Belmondo pour lequel Morricone avait fait « Le Professionnel » (Chi Mai) souhaitaient que Morricone compose la musique. Gérard Oury pour lequel je venais de composer la musique de Rabbi Jacob militait pour moi. C’est finalement moi qui ai remporté le contrat !
Chaque compositeur de musique a son univers. Comme décririez-vous le vôtre ?
Chaque compositeur a en effet son univers et sa personnalité et c’est ce qui fait la différence et l’intérêt d’un compositeur. Que ce soit Morricone, Legrand, Lai, ils ont tous des personnalités très spécifiques, à part. Je suis quelqu’un qui vient d’Europe centrale, de la Roumanie, j’ai toute une jeunesse qui s’est déroulée pendant la période communiste, j’ai tout une vie derrière moi qui a laissé des traces sur le plan artistique et sur la façon dont je pense.
Quand vous écoutez la musique du « Grand blond avec une chaussure noire », vous entendez qu’il y a de l’Europe de l’Est qui est passé par là. Pareil pour « La Gloire de mon père » pour lequel j’ai composé une musique méditerranéenne puisque le film se passe à Marseille. On sent néanmoins que pour moi la Méditerranée c’est plutôt la mer noire !
« Le pire reproche serait de dire que ma musique est démodée »
Pourquoi avoir choisi la musique de film ?
J’ai fait ma carrière à 80 % dans la musique de film par la force des choses et du hasard. De tous les temps la musique était écrite par des compositeurs sur commande. Les compositeurs n’écrivaient pas de la musique pour leur plaisir : Chopin faisait des valses parce qu’à Vienne on lui commandait des valses et des mazurkas. Bachs travaillait pour l’église qui lui commandait des cantates et des oratorios. Quand il a été rejeté par l’église il a commencé à écrire des sarabandes pour la cour du roi.
Aujourd’hui depuis 100 ans, ceux qui nous commandent des musiques sont l’État (l’IRCAM par exemple) la radio, la télévision et le cinéma principalement. Moi j’ai vécu toute ma jeunesse en Roumanie communiste sous Staline et je faisais de la musique commandée par les communistes. Quand je suis arrivé à Paris à l’âge de 22 ans j’ai dû très vite travailler et je n’avais pas les relations pour choisir la voie des commandes étatiques.
Mais il m’est arrivé de réemployer ces mêmes musiques que j’ai faites en Roumanie dans d’autres choses ici. Si les musiques sont bonnes elles vivent leur vie. Mais il est vrai que le cinéma est devenu un vecteur primordial indispensable pour les compositeurs.
Vos musiques de film sont très reconnaissables. Elles se caractérisent souvent par un instrument qui va s’échapper en solo.
C’était un principe que j’ai adopté à mes débuts lorsque j’étais assistant de Michel Legrand. Les grands orchestres avec une espèce d’ampleur lui étaient spécifiques. Quand j’ai commencé à faire des musiques en mon nom, je me suis dit qu’il ne fallait que je fasse du Michel Legrand, qu’au lieu de jouer sur des grands ensembles, il fallait que chaque film soit caractérisé par un instrument particulier et une couleur spécifique et unique. Comme dans la musique d’Anton Karas du film le « Troisième Homme » d’où une cithare autrichienne s’échappe pendant tout le thème du film. Je trouvais que ça donnait une espèce de force, ça devient obsessionnel.
J’ai toujours pensé que la musique ne devait pas être descriptive, qu’elle ne devait pas décrire ce qu’on voit à l’écran. Elle doit ajouter quelque chose de complètement différent. C’est pour cela par exemple que pour la musique dans « Nous irons tous au paradis », film d’Yves Robert, j’avais choisi un groupe de 5 saxophones qui personnifiaient l’amitié de ces 4 amis Guy Bedos, Victor Lanoux, Claude Brasseur et Jean Rochefort. Je m’étais inspiré de l’orchestre de Woody Hermann Four Brothers de Woody Hermann, j’ai pris la même couleur pour donner le ton de cette musique de film.
La musique que vous avez composée pour Rabbi Jacob reste 50 ans après sa sortie toujours aussi culte…
Le tournage n’était pas fini quand j’ai été engagé pour faire la musique du film. Gérard Oury recherchait quelqu’un qui puisse composer la musique pour tourner la célèbre scène de danse juive avec Louis de Funès. À ce moment-là j’étais presque à mes débuts. Gérard Oury était venu voir la première du film « Le Grand Blond » pour lequel j’avais composé la musique et m’a contacté pour me demander de faire une maquette tout en précisant qu’il ne souhaitait pas du tout une musique aux couleurs du « Grand Blond », mais plutôt quelque chose de plus universel, qui représente plus la modernité de la vie à New York qui mélange des noirs, des juifs, des blancs etc.
J’ai accepté de faire la maquette, je n’avais rien à perdre. Vous savez à l’époque, faire la musique d’un film d’Oury avec de Funès c’est comme si on vous proposait 20 musiques de films ! Je savais que j’étais en concurrence avec les plus grands compositeurs de l’époque dont Michel Polnareff qui avait composé la musique de « La Folie des Grandeurs » un peu avant.
J’ai finalement été choisi mais il a fallu auparavant, et sur demande d’Oury, que j’aille jouer mon thème au piano à Louis de Funès dans les studios de Billancourt où il tournait. Ce fut un moment très angoissant car il était lui-même pianiste et musicien et il était connu pour être difficile ! Je me souviens que sur le film « La Zizanie » il avait refusé un texte de Pierre Perret… Tout passait par lui. Mais par chance il fut enthousiasmé immédiatement. C’est comme ça que j’ai pu enregistrer la musique du film « Les Aventures de Rabbi Jacob » qui a été extrêmement importante pour moi. Après sa sortie je suis devenu beaucoup plus connu et puis c’était un vrai grand film !
Comment expliquer que vos musiques passent les générations ?
Vous savez en tant qu’artiste vous vous demandez « Qu’est-ce qui va se passer dans 10 ans, dans 20 ans ? C’est l’épreuve du temps pour les artistes : on attend de voir si le temps n’efface pas l’intérêt de la chose. Vous voyez parfois des films que la musique plombe parce que tout d’un coup vous entendez une musique d’il y a 30 ans. Ça serait le pire reproche qu’on puisse me faire qu’on me dise que ma musique soit démodée, qu’elle fasse très années 50/60. J’ai vu l’autre jour « Rabbi Jacob » aux Invalides et je n’avais pas l’impression qu’elle datait. Mais cela veut dire aussi que mes musiques n’étaient pas non plus très à la mode quand je les ai faites et plutôt classiques dans leur conception !
Il y avait une originalité, certes, dans la recherche des timbres etc. mais il n’y avait pas une volonté de faire « mode » avec des rythmiques à la Rolling Stones ou des copies de trucs américains. Parce que ceux qui font des trucs à la mode ce sont toujours des copies de trucs qui marchent, moi, je n’ai jamais essayé de faire ça. Mais, au moment où vous les faites ça représente aussi un handicap parce que vous avez l’air de faire des choses qui ne sont pas vraiment à la mode, dans l’air du temps.
Source: Lire L’Article Complet