Noémie et Raphaël, un jeune couple de Vitré, est dans la tourmente depuis que la femme a accouché à son domicile, par choix, le 3 juin 2022. Très vite, cet heureux événement s’est transformé en cauchemar. L’affaire a viré au scandale médiatisé entre la famille et les institutions de leur département, provoquant le placement de leurs deux enfants par la Protection maternelle infantile (PMI) locale, jugée abusive par les parents et des militants.

Quatre jours après la naissance, le père du nouveau-né s’est rendu à la mairie de la ville pour le déclarer à l’état civil. Le délai légal étant de cinq jours, le couple était toujours dans les temps. Sauf que le père n’avait pas de papier officiel attestant que le bébé est viable, puisque l’accouchement s’était déroulé sans assistance médicale.

La mairie explique avoir respecté la procédure

Comme le précise la mairie de Vitré, qui s’est défendue dans un communiqué partagé sur Facebook, « les officiers de l’état civil ont le choix entre divers procédés pour constater que le nouveau-né est vivant au moment où est dressé l’acte de naissance : attestation de la sage-femme ou du médecin ayant assisté à l’accouchement, visite de l’officier de l’état civil ou du médecin délégué par lui au chevet de l’accouchée. »

La municipalité poursuit : « l’objectif du certificat médical est double : tout d’abord s’assurer que l’enfant est en bonne santé (…) mais aussi vérifier que la mère indiquée dans la déclaration a bien accouché et qu’il ne s’agit pas d’un ‘vol’ d’enfant ou d’une gestation pour autrui. »

Le lendemain, c’est donc toute la famille, dont la petite dernière Lou âgée de quelques jours seulement, qui se présente. Dans ces conditions, l’officier de l’état civil constate, le mercredi 8 juin à 10h38, que l’enfant est bien né.

Mais, d’après le témoignage bouleversé des parents, publié sur les réseaux sociaux, l’agente de mairie aurait « paniqué en voyant [qu’ils n’avaient] eu aucune assistance médicale chez [eux] », selon eux. Ce jour-là, celle-ci leur annonce qu’elle a fait un signalement à la PMI les concernant. Ils ne comprennent pas et se seraient sentis acculés.

Crispation autour de la visite médicale obligatoire

La juriste Marie-Hélène Lahaye, militante contre les violences gynécologiques, s’est emparée de l’affaire dans un thread Twitter. Selon ses informations, il semblerait que le ton soit monté à cause d’une incompréhension. « Le père aurait décrit l’accouchement à domicile et la dame au guichet, un peu perturbée par la situation, se serait mise à douter. Elle lui aurait dit à quel point il était dangereux de ne pas assurer un suivi médical, que cela était obligatoire. Un discours assez paternaliste et alarmé, que le papa aurait pris avec légèreté, rappelant qu’il était dans son bon droit. »

L’agente de mairie n’avait pas à porter de jugement moral.

La mairie, elle, assure que les agents de l’état civil n’ont fait qu’appliquer la procédure légale. « L’agent a de nouveau rappelé l’importance de faire visiter l’enfant par un médecin afin de s’assurer de son état de santé, sans que ce conseil semble trouver d’écho favorable près du père ». Ainsi l’officier a contacté la PMI, comme cela est prévu par la réglementation, mais en informant toutefois de « circonstances particulières » et de « l’absence de visite médicale ».

Légalement, celle-ci doit être effectuée sous huit jours. Ainsi, à ce stade, les parents étaient encore dans les clous. « Il y a clairement une confusion des rôles, l’agente de mairie n’avait pas à porter de jugement moral », estime Marie-Hélène Lahaye, autrice du blog Marie accouche là et du livre Accouchement : les femmes méritent mieux. « La PMI nous a tanné par téléphone pour diverses choses : faire venir quelqu’un chez nous, nous demander pourquoi il n’y avait personne à l’accouchement », raconte la mère, Noémie, sur Instagram.

Finalement, cette visite médicale a bien eu lieu, quelques jours plus tard, le vendredi 10 juin. D’après les parents, le médecin aurait alors constaté que l’enfant était en bonne santé, mais n’aurait remis aucun document au couple. Dans le même temps, le soignant les aurait informés qu’une membre de la PMI de Vitré allait passer à leur domicile, en marge du signalement effectué par la mairie, dans l’après-midi.

  • Enfants placés : « Être famille d’accueil c’est dur, beaucoup finissent par jeter l’éponge »
  • À voir : « Paye (pas) ton gynéco », un docu édifiant sur les violences gynécologiques

Intervention surprise des gendarmes au domicile des parents

Mais vendredi, cette visite qu’ils pensaient de routine s’est avérée être une procédure de placement de leurs deux enfants. Là encore, aucun papier ne leur a été délivré sur l’instant. « Le couple n’a reçu l’ordonnance de placement le lundi d’après, le 13 juin. Ils auraient pu refuser qu’on leur retire leurs enfants sur le moment, en vertu de la loi et des droits fondamentaux, mais aussi en l’absence de document officiel. Mais ça, ils ne le savaient pas. Il semblerait qu’ils aient réagi sous la menace, et dans le but de ne pas traumatiser les enfants, les auraient placés eux-mêmes dans les véhicules des services sociaux », décrit Marie-Hélène Lahaye.

Contactée par Marie Claire, la PMI de Vitré renvoie vers le Département d’Ille-et-Vilaine, dont elle dépend. Au téléphone, pas de commentaire supplémentaire, car « une procédure judiciaire est en cours ». Seule communication officielle, un communiqué de presse.

« Le 10 juin 2022, le service Protection maternelle et infantile du Centre départemental d’action sociale (Cdas) du Pays de Vitré a identifié des éléments de risque de danger sur la santé et le suivi médical de deux enfants d’une famille vitréenne. Il a donc adressé un rapport de signalement, au Procureur de la République de Rennes », précise le document.

Selon le Département, c’est à la découverte des « éléments exposés » dans ce rapport que le Parquet a choisi « d’ordonner le placement de ces deux enfants auprès des services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) avant de saisir le juge des enfants pour statuer sur cette situation. »

Les motifs du placement contestés

« Les motifs de l’ordonnance de placement provisoire sont abusifs et sujets à interprétation », estime Daliborka Milovanovic, membre du collectif La révolte des mères, auprès du Journal de Vitré. Le document, que Marie Claire a pu consulter, justifie le placement de Lou et Nausicaa ainsi : Lou serait née dans « des conditions précaires », « elle n’a pas fait l’objet d’un suivi de la PMI », et aurait « pris seulement 10 grammes depuis sa naissance ».

Une source proche du dossier estime elle aussi que ces motifs sont bancals. « Les conditions précaires désignent l’accouchement sans assistance médicale, parfaitement légal. Le suivi de PMI, lui, n’est pas obligatoire. Et pour ce qui est de la prise de poids du bébé, cela relève du miracle que la PMI puisse avoir accès à ces informations puisqu’il n’y a pas eu de pesée officielle à la naissance de l’enfant. D’autant qu’il est classique qu’un nouveau-né perde un peu de poids dans les premiers jours de sa vie », estime-t-elle.

Pour ce qui est du placement provisoire de Nausicaa, l’aînée de deux ans, l’ordonnance avance que celle-ci serait « en état de dénutrition apparent », rendant son état de santé « inquiétant ». Là encore, regrette la source anonyme, « il n’y as pas eu d’examen médical pouvant l’attester ».

Il s’agit de punir des femmes qui appliquent simplement la liberté d’utiliser leur propre corps.

Parmi les autres justifications du parquet, celle-ci : le fait que la mère, Noémie, refuse de se faire examiner. « C’est son droit de ne pas vouloir subir un examen gynécologique, surtout après un accouchement », s’insurge de son côté Marie-Hélène Lahaye.

Une affaire de défiance

Les parents des deux enfants devraient être fixés sur le placement dans les trois semaines à venir. Mais, alors que les gendarmes leur auraient affirmé qu’ils pouvaient voir leurs enfants « au moins une heure par jour », explique la mère dans une vidéo largement partagée, ils ont été éconduits dimanche 12 juin par le personnel de la pouponnière qui les héberge actuellement, à Chantepie, près de Rennes. « On leur aurait dit qu’ils ne verraient plus leurs enfants », assure Daliborka Milovanovic au Journal de Vitré.

Pour Marie-Hélène Lahaye, cette situation est la conséquence d’une crispation et d’une méfiance autour de l’accouchement non médicalisé. « On constate que de plus en plus de femmes l’envisage, pourtant les services de l’état restent méfiants. Mais si ces mères y ont de plus en plus recours, c’est aussi parce que, à l’hôpital, les naissances sont encadrées dans un souci de rendement, que les sage-femmes sont sous pression et limitées dans leur accompagnement, ou bien que les maternités ferment à la chaîne », résume-t-elle.

L’affaire est une façon « de punir des femmes qui appliquent simplement la liberté d’utiliser leur propre corps. Y compris lorsqu’elles accouchent », a assuré l’autrice sur Twitter.

  • Accouchement naturel : les députés favorables à l’ouverture de nouvelles maisons de naissance
  • Le combat de Marie-Hélène Lahaye pour un accouchement respecté

Source: Lire L’Article Complet