La semaine dernière, les députés d’une mission parlementaire ont publié un rapport recommandant une légalisation encadrée du cannabis. Une position soutenue par l’addictologue Jean-Pierre Couteron. Pour ELLE, il explique pourquoi il s’agit, à ses yeux, de la meilleure façon de protéger les Français.

Emmanuel Macron en a fait « la mère des batailles » et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ne manque pas de féliciter chaque démantèlement de « point de deal ». Malgré ce tour de vis répressif, la France reste championne d’Europe de la consommation de cannabis, avec 5 millions d’usagers annuels et 900 000 fumeurs quotidiens. À rebours de la lutte anti-drogue menée par le gouvernement, les députés d’une commission parlementaire ont publié, mercredi 5 mai, un rapport recommandant une légalisation encadrée du cannabis. Jean-Pierre Couteron, addictologue et auteur de plusieurs ouvrages dont « Adolescents et cannabis – Que faire ? » (ed. Dunod), nous explique pourquoi cette mesure permettrait de mieux protéger les Français des dangers du produit et des trafics.  

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ELLE. Quel est le problème principal de la politique menée par l’Etat dans la lutte contre le cannabis ?  

Jean-Pierre Couteron. Lorsque j’ai débuté dans les années quatre-vingt, la loi de 1970 confirmant l’interdiction de l’usage de tout stupéfiant avait été votée dix ans plus tôt. À cette époque, la consommation de cannabis, notamment chez les jeunes, n’était pas considérée comme un problème de santé. La mobilisation portait sur l’usage de l’héroïne et dans la foulée, sur le sida. Les jeunes qui fumaient du cannabis, il y en avait peu, et le système de soin les connaissait très mal. À la fin des années quatre-vingt-dix, on a constaté que malgré la prohibition, la consommation de cannabis auprès des jeunes était en nette augmentation. L’État a alors décidé de mettre plus de moyens sur la répression, au détriment de la prévention. C’est une politique qui coûte chère et aujourd’hui, on constate qu’elle n’a pas permis d’enrayer l’extension de l’usage du cannabis chez les jeunes. Elle n’a pas permis, non plus, d’empêcher le développement d’un marché parallèle, le phénomène de l’autoproduction et la diversification des produits.  

« La légalisation, ce n’est pas une libéralisation de la distribution de cannabis n’importe où, n’importe comment. »

ELLE. Le rapport de la mission parlementaire transpartisane rendu la semaine dernière prône une légalisation encadrée du cannabis. Qu’en pensez-vous ?  

J-P. C. Je suis d’accord avec cette position. Le rapport démontre chiffres à l’appui, que la politique de répression est un échec. Je préfère que l’on sorte de cette prohibition pour aller vers un système de commercialisation contrôlée. La légalisation, ce n’est pas une libéralisation de la distribution de cannabis n’importe où, n’importe comment. Elle permettrait de fixer un cadre de commercialisation dans lequel l’Etat jouerait un rôle de régulateur en surveillant que les commerçants respectent les règles du jeu. En outre, ce processus de régulation permettrait de mettre en œuvre une vraie politique de prévention, totalement délaissée ces dernières années au profit de la répression. Ça peut être intéressant de punir, mais il faut d’abord éduquer et proposer des alternatives. Notamment en mettant plus de moyens sur les programmes de développement des compétences psycho-sociales qui apprennent aux jeunes à gérer leur stress et leurs émotions. De fait, ça enlève à l’expérience de l’usage du cannabis une partie de son intérêt puisque souvent, le produit est consommé pour surmonter une difficulté ou se calmer.  

ELLE. Certaines personnes opposées à la légalisation avancent qu’une telle mesure entrainerait une augmentation du prix du cannabis, ce qui risquerait de dissuader les consommateurs de recourir au marché officiel. Est-ce que c’est un risque ?  

J-P. C. C’est un risque, mais c’est une hérésie d’en faire une raison pour ne rien changer. Les taxes et la hausse de prix, ce sont des phénomènes qui s’ajustent et se surveillent. Les personnes qui avancent ces craintes, reconnaissent que les acheteurs pourraient avoir envie de rentrer sur un marché officiel. C’est normal puisqu’il y a des personnes qui n’ont pas envie d’entretenir des réseaux mafieux, etc. Pour que cette politique fonctionne, il faut trouver le meilleur point d’équilibre. Il faut que le marché officiel offre un produit de bonne qualité, avec ce qu’il faut de principes actifs et en éliminant les substances de coupage de mauvaise qualité, le tout, pour un prix qui reste attractif.  

« Les études montrent que la légalisation du cannabis n’induit pas une hausse de la consommation chez les jeunes. »

ELLE. Que nous montrent les expériences des pays qui ont opté pour une légalisation du cannabis ?  

J-P. C. Le rapport parlementaire démontre très bien que dans les pays où l’on a légalisé l’usage du cannabis, comme le Canada ou certains états des Etats-Unis par exemple, certains arbitrages marchent mieux que d’autres. Il n’y a pas de honte à reconnaître que toutes les expériences n’ont pas eu le même succès. Cela montre qu’il faut continuer à ajuster les politiques. Cependant, il n’y a pas un seul pays ayant légalisé l’usage du cannabis qui envisage de revenir à la prohibition ! Les études montrent également que la légalisation n’induit pas une hausse de la consommation chez les jeunes. Dans certains cas, on commence même à observer une diminution de l’usage du cannabis chez ce public.  

ELLE. Le président Emmanuel Macron a exclu il y a dix jours toute légalisation du cannabis et a réclamé « un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères ». Que pensez-vous de cette initiative ?  

J-P. C. Sur le principe, je n’ai rien contre. Mais ça m’agace car les grands débats, généralement, nous font tourner en rond. Il faut avoir conscience que cette annonce arrive dans un contexte pré-électoral. Avec cette initiative, on est dans le jeu politique. En France, le débat sur les addictions est gâché neuf fois sur dix parce qu’on s’en sert pour des batailles électorales. C’est devenu un sujet de clivages et les politiciens s’en emparent uniquement pour des effets de tribune, rarement avec la volonté de trouver des solutions aux problèmes rencontrés sur le terrain. 

ELLE. Organiser un débat national après l’affaire Halimi, est-ce que ça ne risque pas de faire pencher la balance en faveur d’une tolérance zéro vis-à-vis du cannabis ? 

J-P. C. Est-ce qu’on ne pourrait pas commencer par rappeler que l’affaire Halimi a eu lieu dans les années de la prohibition du cannabis ? Et non dans celle de la libéralisation du cannabis ! Comme pour le triste accident à Avignon, cette affaire est le résultat de l’inefficacité de la politique actuelle : en misant tout sur le système répressif, on a tourné le dos à la prévention et on a fait naître des tensions.  

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