C’est Agnès Varda qui a confié à Julie Gayet son premier grand rôle au cinéma dans Les cents et une nuit de Simon, en 1995. Une confiance qui lui a porté chance et l’a portée tout court. Elle est très engagée dans le collectif 50/50 qui vise la parité au cinéma, pour les droits des femmes et la lutte contre les violences dont elles sont victimes. Engagée aussi au côté de la Fondation des femmes depuis le lancement du mouvement #MeToo en 2017. Dans cette lignée, elle organise chaque année d’ailleurs le gala de la Fondation des femmes ainsi que le prix Gisèle Halimi.

Elle est à l’affiche du fil Comme une actrice de Sébastien Bailly depuis le 8 mars 2023 avec Benjamin Biolay et a publié à cette même date Ensemble on est plus fortes aux éditions Stock. Elle prépare aussi son Festival Sœurs Jumelles qui aura lieu à Rochefort (Charente-Maritime) du 27 juin au 1ᵉʳ juillet 2023.

franceinfo : Ce livre raconte votre engagement sur les chemins du féminisme à travers des portraits de femmes. Finalement, vous racontez ce déroulé et à quel point les femmes vous ont donné envie d’avancer et la force d’être la femme que vous êtes devenue.

Julie Gayet : Oui, et sans les mots, avec des actes. Et moi qui suis assez pudique, qui suis assez discrète, j’aime bien être derrière les rôles, m’exprimer au travers de mes films, de ce que je fais. Et là, je me suis demandé pourquoi on ne montre pas les actions concrètes faites par d’autres femmes dans les associations. Ce qui se fait, elles le font avec tellement de générosité. Bref, j’ai eu envie de les mettre en lumière.

J’ai commencé ces portraits comme je faisais mes documentaires et puis à un moment, je me suis dit : mais je ne peux pas les faire parler sans parler de moi.

à franceinfo

J’ai dû parler de moi et je m’y suis collée. Parce que je suis persuadée qu’en réalité, on est toutes féministes, tous féministes. Ça a été presque comme une psychanalyse. C’était très émouvant. J’ai mis beaucoup de temps, beaucoup plus que je ne le pensais et j’avais beaucoup de pudeur. On se met à nu quand on écrit, en fait.

C’est exactement ce qu’on découvre dans cet ouvrage. Il y a un point de départ, c’est la « sensibilité à vivre l’injustice ». C’est cela qui vous relie d’ailleurs à tous les destins de femmes que vous racontez, mais aussi finalement, à votre propre parcours. Avez-vous souvent vécu cette injustice ?

Oui, mais je ne le percevais pas comme une injustice. Il y a cette prise de conscience inconsciente, très étrange, alors qu’en fait, évidemment, la société infuse, qu’on devient un objet du désir, qu’il y a des mains baladeuses. Je me souviens à l’époque du lycée dans le métro, puis au travers des films comme Le Grand embouteillage de Luigi Comencini (1979).

Ce film a été une révélation pour vous, tant la violence du viol à la fin, sous les yeux des automobilistes qui n’interviennent pas, vous a vraiment heurté. Ça a changé votre vie d’ailleurs ?

C’était un impact… Là, je comprends ce dont j’ai peur en fait. Et je perçois, je comprends aussi pourquoi mes frères ont peur pour moi. En fait, moi, je sens tout ça et mes frères me disent : « Mais tu ne veux pas sortir comme ça en jupe !« , pas parce qu’ils ne veulent pas que je sorte pour allumer les garçons, mais parce qu’ils ont la trouille pour moi. Et il me faudra toute une vie pour comprendre pourquoi. Et je crois que c’est en ça que je dis que, même les garçons, on est tous imprégnés par ces violences. Ils ont porté l’héritage de ma mère, comme moi, je l’ai portée et il m’a fallu quelques années pour comprendre. Je devais avoir 33 ans, quand ma mère, un jour dans la rue, m’a dit : « Il est mort » et je savais qu’elle avait été victime de violences, elle ne m’en avait jamais parlé, mes frères le savaient et c’est pour ça, qu’ils avaient un peu peur.

Vous rendez aussi hommage à votre mère. Elle est vraiment le point de départ.

Ma mère, c’est ma meilleure amie, c’est ma confidente. On partage vraiment beaucoup de choses donc il y a ce rapport fort.

à franceinfo

Je ne comprenais pas pourquoi j’avais toujours besoin de la protéger, même si c’est pourtant elle qui me protège et qui me donne tellement de force, mais avec les années, j’ai compris aussi que finalement, ce n’était pas à moi que c’était arrivé, d’où la question de la légitimité, de savoir pourquoi je prends la parole, pourquoi est-ce que j’ai écrit ce livre sur les femmes, les associations de femmes. Eh bien, c’est pour elle.

Ce livre permet aussi de faire tomber les tabous sur, par exemple, les violences faites aux femmes. Il y a beaucoup de femmes qui subissent les coups soit de leur compagnon, soit d’autres hommes autour d’elles et qui n’osent pas encore en parler. Il y a toujours ce sentiment de culpabilité.

Oui, puis d’aller voir d’autres femmes. Moi, je sais que j’ai toujours eu du mal à parler. Quand je faisais mon documentaire sur la place des femmes dans le cinéma, que je demandais : alors c’est quoi un film de femme ? On me répondait tout le temps : La Leçon de piano de Jane Campion. Eh bien, Jane Campion dit : « Mais si toutes les femmes se sont reconnues dans ce personnage, c’est parce qu’elle est muette« . Et alors là, ça m’a saisi de me rendre compte de ça. À quel point les femmes, on n’ose pas parler. C’est ça le problème. Mais vous n’êtes pas seule, on est toutes là, il y a des associations et on est en train, je vous le promets, avec la Fondation des femmes, d’essayer de lever des fonds, faire des campagnes, de bouger les choses. Je suis fière en tout cas de les mettre en lumière. J’espère que même moi, par rapport à tout, par rapport à ma famille… Je ne sais pas, c’est comme si une boucle était bouclée, quelque chose qui est important pour moi de dire.

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