Le sapin est décoré, le calendrier de l’Avent bien entamé. Mais pour celles et ceux qui souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA), l’appréhension a remplacé l’excitation des fêtes de fin d’année. Être obligé de manger devant les autres -et comme les autres-, voilà l’angoisse que représente pour nombre d’entre eux, cette période de festivités.

Morgane Soulier, ancienne anorexique et créatrice de FeelEat, une application qui accompagne utilisateurs boulimiques, orthorexiques, hyperphagiques, ou anorexiques, jusqu’à leur guérison, se souvient avoir longtemps perçu Noël comme une épreuve. Elle se remémore ses pertes de poids, 1 à 3 kilos par semaine, chaque fois pendant cette période. Elle se souvient aussi de ses rencontres, des jeunes femmes hospitalisées avec elle, qui allaient à leur repas de réveillon avec un plat déjà prêt. Parce que l’idée de manger comme les autres les tétanisaient d’angoisse.

Marie Claire : À quelques jours des fêtes de fin d’année, quel genre de questions tourmentent les personnes souffrant de trouble du comportement alimentaire ?

Morgane Soulier : « Vais-je réussir à contrôler ma crise de boulimie ? », pour une personne boulimique. Des personnes en voie de guérison vont, elles, s’angoisser : « La nourriture au menu va-t-elle m’empêcher de respecter le programme de ma diététicienne ? ».

L’horaire décalée du repas, lorsque l’on suit un programme strict pour guérir, est aussi une immense source d’angoisse qui apparaît pour certains plus d’un mois avant le rendez-vous familial. Et puis, dans certaines familles, on ne se réunit tous qu’une seule fois par an, le soir de Noël. On revoit ce soir-là des cousins qui ne nous ont pas fréquenté de l’année et qui n’ont donc pas vu la perte ou la prise de poids mois après mois. On peut s’angoisser de leur réaction… Vont-ils faire des remarques ?

Quelles remarques ou quels comportements sont les plus malheureux ?

J’ai le souvenir précis d’un cousin qui m’avait servi une très petite assiette et m’avait lancé : « Laisse, si c’est trop pour toi. » À l’inverse, une personne en obésité morbide m’a confiée souffrir du fait que ses proches lui servent à chaque Noël des portions énormes. Ce sont, dans ces deux cas, des mots et des actes qui invitent la maladie à la table festive.

Quelle est la « bonne attitude » à recommander aux proches ? 

Ma famille disposait sur la table, de façon presque anodine et sans faire de commentaires, des aliments que je pouvais manger. Ça m’a beaucoup aidée à profiter du moment, avec les autres et presque comme eux. Je dirais aussi qu’il faut impliquer la personne concernée par les TCA dans le choix du menu. Lui demander en amont ce qu’elle pense pouvoir manger, et surtout pas devant tout le groupe. Une fois mise au courant, voire engagée dans l’élaboration de ce menu, elle pourra se projeter et l’appréhender plus sereinement.

Mais pour que la famille s’adapte, il faut bien sûr que celui ou celle qui souffre de troubles du comportement alimentaire ait verbalisé ses angoisses et ses volontés. Si il ou elle les cache, c’est plus compliqué. La situation peut alors devenir extrêmement angoissante aussi pour les proches, qui s’inquiètent de mal agir.

Quant aux « petites » remarques, je ne peux que recommander de les proscrire. Et ce, même quand la personne est en voie de guérison et que l’on pense bien faire. Si elle est anorexique mais sur le chemin du rétablissement par exemple, qu’elle a pris une vingtaine de kilos, mieux vaut tout de même éviter de lui dire : « Tu as grossi, bravo ! ».

Une fois les fêtes passées, les angoisses retombent-elles ?

Les jours d’après, d’autres questions arrivent, elles mêlent anxiété et culpabilité. Au lendemain du réveillon du 24 décembre par exemple, le questionnement devient : « Comment faire le 25 ? Quand tous mes proches ne prendront pas de petit-déjeuner parce qu’ils auront trop mangé la veille au soir, mais que je devrais m’attabler au matin, pour respecter mon programme? »

En janvier, ne cédez surtout pas aux régimes et autres cures détox d’après fêtes. Restez mobilisés pour atteindre votre objectif : votre guérison.

Interview réalisée en 2018.

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