« Nous savons bien que la réponse à [nos] ques­tions ne fera pas revivre Samuel, mais nous aime­rions bien connaître la vérité. » Pour la première fois, les membres de la famille de Samuel Paty se sont exprimés ensemble dans la presse. Les parents et les deux sœurs de l’enseignant sauvagement assassiné à la sortie du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), le 16 octobre 2020, se sont confiés dans Libération, ce jeudi 7 avril 2022.

Samuel Paty avait été décapité quelques jours après avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves, par Abdoullakh Anzorov, Russe d’origine tchétchène âgé de 18 ans. Mikaëlle, 44 ans, benjamine de la fratrie, exprime les remords de la famille : « Nous pen­sons qu’il ­aurait dû être mieux pro­tégé et que des fautes impar­don­nables ont été ­com­mises. »

Elle pointe du doigt « les décla­ra­tions des ministres et des dif­fé­rentes auto­ri­tés » dans lesquelles, les termes utilisés soutenaient que « l’État n’a pas failli, jamais. Fina­le­ment, si Samuel est mort, c’est presque une ­fata­lité. Comme si rien ne pou­vait l’empê­cher. »

Plus largement, Mikaëlle évoque « la rage » qui a saisi la famille de l’enseignant décédé, au fil des récupérations politiques de sa mort. « Ce qui est insup­por­table, c’est qu’à les entendre, on dirait que mon frère n’est pas une vic­time du ter­ro­risme isla­miste », dénonce-t-elle. Elle dénonce « l’anti-racisme dévoyé » et la volonté de l’État à ne pas faire de vague à la suite de l’assassinat terroriste.

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Une plainte déposée pour l’ingérence des services de l’État

C’est pourquoi la famille de Samuel Paty a décidé de porter plainte contre les pou­voirs publics, les accusant de man­que­ments graves. Mercredi 6 avril, dévoile Libération, ses proches ont attaqué les minis­tères de l’Inté­rieur et de l’Édu­ca­tion natio­nale pour « non-assis­tance à per­sonne en péril et non-em­pê­che­ment de crime ».

L’Édu­ca­tion natio­nale ne l’a pas sou­tenu. Au fond, c’est comme si Samuel était res­pon­sable de sa mort.

Ber­na­dette et Jean, les parents du pro­fes­seur d’his­toire-géo disparu, ont fait parvenir un texte à Libération. Ils détaillent les questions auxquelles ils n’ont toujours pas eu de réponse : « Pour­quoi Anzo­rov [qui a tué leur fils, ndlr] n’a-t-il pas été ­repéré mal­gré un signa­le­ment [de son compte Twit­ter très radi­cal] à la pla­te­forme Pha­ros ? Pour­quoi l’Édu­ca­tion natio­nale et les ser­vices de sécu­rité n’ont-ils pas décelé le dan­ger qui menaçait Samuel ? ».

Ils soulignent que le nom de leur fils circulait sur les réseaux sociaux, ainsi que le nom de son établissement. Et s’interrogent : « Pour­quoi Samuel n’a-t-il pas béné­fi­cié d’une pro­tec­tion ? ». Des questions restées sans réponses, puisque la famille n’a pas eu de retours à ses lettres envoyées le 25 mars aux ministres Gérald Dar­ma­nin (Intérieur) et Jean-Michel Blan­quer (Éducation).

Une dizaine de jours avant le drame, Samuel Paty avait présenté des caricatures du prophète Mahomet, « au programme », souligne sa sœur Mikaëlle. Il aurait incité les élèves musulmans à sortir au moment de la diffusion pour qu’ils ne soient pas offensés. Une polémique avait éclaté avec quelques parents d’élèves. « Le pre­mier réflexe n’a pas été de cher­cher à le pro­té­ger. On lui a d’abord demandé d’éteindre l’incen­die, de s’excu­ser. (…) l’Édu­ca­tion natio­nale ne l’a pas sou­tenu. Au fond, c’est comme si Samuel était res­pon­sable de sa mort », poursuit la plus jeune des sœurs.

Un drame évitable ?

La famille estime que les ser­vices de ren­sei­gne­ment n’ont pas pris la piste d’un attentat au sérieux, mal­gré les nombreuses infor­ma­tions dont ils dis­po­saient, comme les menaces proférées à l’encontre de Samuel Paty dans une vidéo postée par Abdel­ha­kim Sefrioui, un mili­tant isla­miste connu des services, et les tensions avec des parents d’élèves.

Aujourd’hui, des élé­ments concrets confortent cette convic­tion : des fautes ont été com­mises, sans les­quelles il aurait pu être sauvé.

Tandis que l’Édu­ca­tion nationale aurait tardé, selon la famille, à mettre en place une protection du professeur, préférant régler l’affaire sous le tapis, malgré les alertes de la directrice de l’établissement. « J’ai tou­jours été inti­me­ment convain­cue que cet atten­tat aurait pu être évité. Aujourd’hui, des élé­ments concrets confortent cette convic­tion : des fautes ont été com­mises (…), sans les­quelles il aurait pu être sauvé, assure l’avocate de la famille Paty Vir­gi­nie Le Roy. Elle a demandé à ce qu’une enquête parlementaire soit diligentée.

Gaëlle, 46 ans, l’autre de ses sœurs, avait été la seule à témoigner dans la presse, dix-huit mois après la mort de Samuel Paty. « Samuel était quelqu’un qui essayait de bien faire les choses. Ça lui tenait à cœur de faire réfléchir les élèves », racontait-elle dans La Croix le 10 octobre 2021. « J’en avais besoin. Je vou­lais par­ler du vrai Samuel, le nôtre, celui qui n’en avait rien à faire de la lumière, de la poli­tique. En quelque sorte, je vou­lais nous le rame­ner et retrou­ver la quié­tude de la dis­cré­tion », explique-t-elle à Libération au sujet de cette entrevue.

Brigitte Macron, ancienne professeure de français, n’a pas pu assister à l’hommage national à Samuel Paty, organisé mercredi 21 octobre 2020, dans la cour d’honneur de La Sorbonne, car elle était cas contact d’une personne positive à la Covid-19. La Première dame avait partagé son hommage personnel à Samuel Paty dans une lettre intitulée « Être Prof ».

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