Il était le dernier membre vivant des Wailers, le combo qui lui vaudra à tout jamais la postérité en Jamaïque, et bien au-delà. Dans le trio vocal qu’il composait sur le modèle des Impressions, avec Bob Marley et Peter Tosh, Bunny Wailer était celui qui avait la voix de tête, c’est-à-dire celle de Curtis Mayfield, pour prolonger la comparaison avec les soul brothers. Un chant qui se démarque, d’une suave douceur, idéal quand il s’agissait d’interpréter des chansons aux faux airs de comptines. Emblématique de ce style qui n’a cessé d’essaimer depuis le Pass It On enregistré en 1973 sur Burnin’ avec les Wailers où il posa sa voix tout cool.

Cette année-là, il quitte le groupe qui vient tout juste d’entamer sa mue, en signant sur Island avec le succès que l’on sait. Bunny Wailer – Neville Livingstone, pour l’état-civil de celui qui est né à Kingston en 1947 – en fut pourtant un pilier lorsque le groupe gravait single sur single pour le compte de Studio One. A l’époque, Bob Marley, son ami d’enfance (dont la mère partage la vie avec le père de Bunny), n’est pas encore en haut de l’affiche, et il n’est pas rare que Bunny Wailer se fasse remarquer, comme sur Sunday Morning, une terrible ballade datée de 1964 qui rivalise avec les meilleures faces américaines. Trois ans plus tard, il transpose un gospel, This Train, avec la même classe, et dans un tout autre registre, c’est lui qui fait s’envoler la mélodie de Reincarnated Souls, sur un tempo plus enlevé. Ce sera le chant du cygne pour celui qui, tout comme Tosh, quitte la formation à laquelle il a donné ses plus belles années.

Il entame alors une carrière solo, enregistrant des disques sur le label Solomonic qu’il a fondé quelques années plus tôt. Premier d’entre eux, Black Heartman, daté de 1976, va devenir un classique de ce que l’on nomme le reggae roots. La voix a quelque peu changé, et le chanteur sait se montrer engagé comme sur Oppressed Song où il stigmatise l’enfer et la damnation des pauvres. Les disques Protest et Struggle suivent la même voie, celle d’un reggae conscient autant de ses racines afro-spirituelles que des désastres socio-économiques. Cet âge d’or se termine à l’entame des années 80. Bob Marley décède, le reggae digital truste désormais le cœur de la jeunesse, et Bunny Wailer tente vainement de faire revivre les Wailers, d’autant que la veuve Rita a son mot à dire et que Peter Tosh décède brutalement le 11 septembre 1987. Dès lors, de compilations en tournées, il incarnera aux yeux et oreilles des nostalgiques un temps révolu du reggae, parvenant à glaner plusieurs Grammys et même, en novembre 2019, un Pinnacle Award de la Coalition to preserve reggae. Bunny Wailer est mort dans un hôpital de Kingston. Il avait 73 ans.

Source: Lire L’Article Complet