« Moi, je comprends rien à TikTok, j’ai l’impression d’avoir 120 ans » : celle qui s’exprime ainsi n’est pas une maman quadra dépassée par les vidéos de sa fille mais la chanteuse belge Angèle, 26 ans. Sa phrase, en exergue de son compte TikTok suivi par 1,5 million d’abonné·es, résume la claque que l’on se prend – quel que soit son âge donc – lorsque l’on débarque sur ce réseau social.

« Je n’y arrive pas. À chaque fois que j’y vais, l’algorithme me propose des trucs nuls – blague grasse, fille à moitié à poil… –, impossible d’y déceler des comptes de qualité », résume Sarah, 31 ans. TikTok fiche un coup de vieux aux nouveaux et nouvelles arrivant·es, mais de quoi s’agit-il exactement ?

TikTok n’est plus une application pour adolescents

La naissance de la plateforme remonte à il y a six ans. En 2016, l’entreprise chinoise de technologie numérique ByteDance crée Douyin, une application mobile de partage de vidéos courtes pour le marché du pays. En 2017, la société lance TikTok, une nouvelle version de Douyin destinée au marché international. Les deux applis ont des fonctionnements similaires, mais les contenus divergent afin que Douyin respecte les restrictions de la censure chinoise.

Fin 2017, ByteDance achète Musical.ly, un concurrent qui lui permet d’accéder à plusieurs marchés occidentaux, dont celui de la France. Depuis, l’application se développe à un rythme effréné, jusqu’à dépasser, depuis 2021, le milliard d’utilisateur·rices mensuel·les. Un chiffre qui place TikTok derrière Facebook, YouTube et Instagram, mais peut-être plus pour très longtemps.

Bien que critiquée pour son opacité dans la gestion des données personnelles de ses abonné·es, la plateforme est – depuis 2020 et les confinements successifs – l’application mobile la plus téléchargée dans le monde.

Prisée au départ par les 12-19 ans pour les vidéos de playbacks et de chorégraphies qu’elle permet, elle est devenue, pour Iolanda Thiou, responsable marketing mode et beauté chez Carlin, « un mélange de YouTube et de Google qui a fait exploser le nombre de contenus disponibles. On recherche une technique, une tendance ou une astuce, et TikTok nous donne accès à un très grand nombre de vidéos plus courtes et plus pointues que celles de YouTube ».

Créer une vidéo dynamique en quelques minutes

Amélie Ebongué, experte en stratégie de contenus sur les réseaux sociaux et auteure du livre Génération TikTok : un nouvel eldorado pour les marques (Éd. Dunod), confirme : « La plateforme souhaite devenir notre télé de demain. Elle dispose pour cela d’une avance technologique et d’une puissance planétaire qui font qu’aujourd’hui, c’est elle qui tire les ficelles. » Non seulement elle veut écraser YouTube, mais elle est déjà, depuis 2021, le site le plus visité, devant Google.

« On est de plus en plus nombreux à aller y chercher des informations, poursuit la jeune femme. Je viens par exemple de m’acheter une plante. Pour savoir comment l’arroser, j’ai tapé son nom dans TikTok. Aussitôt une vidéo a répondu à ma question. » Conséquence de ce caractère incontournable : 67 % des utilisateur·rices ont déjà plus de 24 ans, selon une étude Kantar de 2020. Ce sont toutefois en majorité les plus jeunes qui continuent d’en produire les contenus, les plus âgé·es se contentant de les consommer.

Souvent, les vidéos proposées me font éclater de rire car elles sont reliées à mon expérience de vie.

L’engouement pour l’application tient autant à sa facilité d’utilisation qu’à sa liberté de ton. Grâce à l’intelligence artificielle, y créer une vidéo devient un jeu d’enfant. On dispose de tous les outils pour filmer et monter des clips à l’aide de filtres, d’effets et d’extraits musicaux. On a même la possibilité de faire sous-titrer automatiquement sa vidéo en français. À l’arrivée, les contenus n’excèdent pas trois minutes, ce qui incite au zapping. « C’est du snacking, indique Iolanda Thiou. On sait, dès les premières secondes, si l’on va accrocher. »

Un réseau social plus humain ?

Mais surtout, TikTok, c’est drôle. Savant mélange de parodies, de gags et de contenus plus informatifs, le réseau social se présente comme une plateforme de divertissement au service du plus grand nombre. On ne s’y prend pas au sérieux tout en osant parler de tout, ce qui la rend plus authentique que d’autres réseaux sociaux. « TikTok m’a reconnectée à mon humanité, raconte Marie, 43 ans. Après un gros chagrin d’amour, Instagram m’est apparu comme de plus en plus mortifère et désincarné. Sur TikTok, les codes esthétiques sont moins léchés. Je like des contenus en relation avec ce que je vis : la santé mentale, la dépression, les ruptures. Souvent, les vidéos proposées me font éclater de rire car elles sont reliées à mon expérience de vie, mais avec beaucoup de distance et de dérision. Je vois que d’autres personnes vivent les mêmes choses que moi et sont capables de les sublimer, par l’humour ou par la tendresse. »

Les marques ont dû s’adapter à cette quête de sincérité. « TikTok requiert un rapport plus vrai et sans filtre avec les usagers de la plateforme, estime Julie Leguay, directrice digital et e-commerce de la marque Sephora. Sur Instagram, on poste les contenus les plus beaux pour un effet vitrine. Sur TikTok, on est dans le crash test, ce qui peut être un réel déclencheur d’achat car on apporte la preuve de l’efficacité de nos produits. Un cercle vertueux principalement alimenté par les créateurs de contenus. »

Car sur ce nouveau terrain de jeux, on ne parle plus d’influenceur·ses. TikTok valorise la créativité et encourage la diversité sous toutes ses formes. « C’est l’une des rares plateformes à s’adresser spécifiquement à différentes communautés – noire, latino, LGBTQIA+… – souligne Amélie Ebongué. En interne, elle a des responsables éditoriaux pour chacune, afin de les encourager à s’exprimer. »

Les talents de demain sont sur TikTok

De quoi favoriser un vivier de jeunes talents à découvrir. « TikTok permet l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes lesbiennes – @ashgavscomedy, @mtaren, @towabird, @mariahcounts », observe par exemple Anaïs, 41 ans, qui se réjouit de voir comment les homosexuelles, jusque-là souvent invisibilisées dans l’espace public, ont pu s’approprier la plateforme.

La clé de voûte de cet écosystème ultra-dynamique est une viralité aussi puissante qu’imprévisible. « Sur TikTok, le succès d’une vidéo n’est pas lié au nombre d’abonnés », énonce Fabien Laxague, directeur de la communication France et Espagne du réseau. Même le détenteur d’un compte confidentiel peut soudain voir son contenu partagé des centaines de milliers de fois s’il se rattache aux tendances ou aux challenges du moment.

Comme sur Facebook, des algorithmes établissent un modèle de nos préférences pour proposer des contenus censés nous plaire, mais TikTok évite l’effet bulle en nous exposant aussi en permanence à d’autres communautés. Quand vous ouvrez l’application, vous n’arrivez pas sur le flux des comptes auxquels vous êtes abonné·e, mais sur un second flux intitulé « Pour toi » rempli de recommandations faites par l’algorithme en fonction de vos interactions. Approximatif au départ, celui-ci s’ajuste rapidement à vos goûts. « Il faut utiliser régulièrement la plateforme et affiner en likant, en commentant et en s’abonnant afin qu’elle nous comprenne », conseille Julie Leguay. Et surtout accepter de se laisser surprendre…

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