• Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur son actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes avec ».
  • Le film « La syndicaliste », sorti au cinéma le mercredi 1er mars, revient sur les épreuves qu’elle a subies.
  • Elle ne mâche pas ses mots pour évoquer son histoire, qui prend aujourd’hui un nouveau tournant avec la révélation d’un témoignage d’une autre femme

La Syndicaliste qu’incarne Isabelle Huppert dans le film de Jean-Paul Salomé, c’est elle ! Maureen Kearney a payé cher le fait de s’en être prise à Areva. En 2012, elle a été agressée et violée chez elle avant d’être condamnée en 2017 pour « dénonciation de crime imaginaire » avant d’être relaxée en 2018. De ces années de calvaires et de soupçons, cette Irlandaise a fini par en tirer une force. Enseignante et militante contre les violences faites aux femmes, elle est revenue pour 20 minutes sur son passé douloureux et évoque la paix qu’elle a réussi à trouver aujourd’hui, au mépris de la recherche de la vérité puisqu’elle a décidé de retirer sa plainte en 2019. Pourtant, l’affaire pourrait être relancée par le témoignage d’une autre femme, Marie-Lorraine Boquet-Petit. Cette épouse d’ un ancien cadre de Veolia raconte dans L’Obs avoir été attaquée à son domicile dans les Yvelines le 22 juin 2006 dans des circonstances similaires.

Qu’avez-vous ressenti à l’idée de devenir une héroïne de cinéma incarnée par Isabelle Huppert ?

J’ai commencé par ne pas y croire et je ne suis pas toujours certaine de réaliser. Le premier film que j’ai vu en France était Violette Nozière de Claude Chabrol avec Isabelle dans le rôle-titre. Il était inimaginable qu’elle pourrait jouer mon rôle. Ce décalage ne m’a pas empêché de devoir sortir de la salle la première fois que j’ai vu le film. J’avais beau avoir lu le scénario et être allée sur le tournage, c’était insupportable pour moi de revivre tout cela et, surtout, de regarder certaines scènes comme spectatrice alors que je les avais vécues sans les voir, de penser que mes proches, mon mari, ma fille pouvaient y être confrontés.

Vous n’avez pas eu de droit de regard sur le scénario ?

Je n’ai pas souhaité m’en mêler car ce n’est pas mon métier. J’ai entendu parler de ce projet juste après avoir été acquittée et j’ai accordé toute ma confiance au réalisateur Jean-Paul Salomé. Je ne croyais vraiment pas que le film verrait le jour. Honnêtement, maintenant que je me suis faite à l’idée, je trouve que ce qui est montré à l’écran est plutôt « light » par rapport à ce que j’ai vécu. La scène de la garde à vue était bien pire dans la réalité ! Et on a rajouté un personnage de « fliquette » parfait pour la fiction mais qui n’a jamais existé. J’étais entourée d’hommes, rien que des hommes et ma voix résonnait dans le vide.

Le film vous a-t-il fait du bien ?

Je ne suis pas de nature colérique mais j’ai longtemps été dans une colère folle. Je me demandais en permanence : « Comment est-ce possible ? ». Comment la France, ce pays que j’aime, celui des Droits de l’Homme (et moins de la Femme, c’est vrai puisque Olympe de Gouges a été guillotinée après avoir essayé de les faire valoir), comment la France pouvait-elle laisser passer cette injustice ? Pendant six ans, je n’ai dormi que par tranches de deux heures, sans cesse réveillée par des cauchemars… Tout cela pour dire que, oui, le film m’a fait du bien. Même si je me suis fait à l’idée que mes agresseurs ne seront jamais punis, j’ai trouvé une forme de paix dans la solidarité qui m’entoure tant de la part de mes proches que du public. Le livre de Caroline Michel-Aguirre (la journaliste qui a enquêté sur l’affaire et dont le livre a inspiré le film, ndlr) m’a aussi aidé. Aujourd’hui, je n’ai plus peur. Le film apparaît comme le point final à ce qui m’est arrivé.

Qu’est-ce qui vous a sauvé de la dépression ?

Le soutien de ma famille et aussi celui des gens de la CFDT. Quand on est une victime, les présences et les paroles bienveillantes sont capitales. Le fait de revenir sur la déclaration où je prétendais avoir tout inventé, après qu’on m’a fait craindre pour ma famille en garde à vue, a aussi beaucoup pesé dans la balance. Je n’aurais pas pu vivre avec moi-même si je n’avais pas dit la vérité. Cela aurait été contre ma nature. Je me serais sans doute suicidée car j’aurais eu trop honte de moi. C’est aussi pour cela que je suis restée en France. Je me suis cachée mais je n’ai pas voulu fuir.

Si vous pouviez revenir en arrière en sachant ce qui vous attend, vous engageriez-vous encore ?

Non. Certainement pas. C’est trop dur. Pour rien au monde, je ne revivrai ce que j’ai vécu. J’avais une forme d’inconscience – peut-être même d’arrogance, je l’admets – et m’exprimais sans filtre à cette époque. Je croyais en l’honnêteté et pensais que parler franchement pouvait éviter des malentendus. Je ne devais pas être facile à gérer pour eux avec mon intrisangeance en n’hésitant pas à traite un PDG de menteur devant ses employés. Cela dérangeait d’autant plus que les gens estimaient que je ne ressemblais pas au stéréotype du syndicaliste. Blonde, étrangère et femme, je cumulais les travers pour mes adversaires. Je n’aurais pas subi de viol si j’avais été un syndicaliste homme.

Les choses vous semblent-elles avoir changé ?

La France est un pays macho qui refuse de l’assumer, je suis désolée de le dire, mais c’est ce que pense. Si vous vous mettez sur le chemin d’hommes puissants, ils vous écrasent. Vous ne valez pas grand-chose à leurs yeux. On multiplie les effets d’annonce mais aucun moyen humain ou financier n’est débloqué et tant que cela restera ainsi, rien ne bougera. Ça fait des années qu’on vit avec du blabla alors que des femmes et des enfants continuent de se faire agresser par des hommes dans l’indifférence quasi générale. Je ne peux pas dire aux victimes de viol de porter plainte et en leur promettant qu’elles vont être accompagnées car ce n’est pas vrai. J’ai vécu cela et ça n’a pas changé. Je ne souhaite à personne de connaître cet état d’impuissance et de sidération.

Selon vous, quelle est la solution ?

Donner des moyens. Prendre exemple sur l’Espagne qui a mis dix milliards contre les violences faites aux femmes où il y a des juges, des procureurs et des enquêteurs formés pour ces affaires. Qu’attendons-nous pour en faire de même en France ? On a l’impression que tout le monde s’en fiche. Je travaille dans une association contre les violences faites aux femmes et il y a des jours où je me dis qu’on n’y arrivera jamais, mais c’est important pour moi d’y être et de pouvoir leur affirmer qu’elles aussi peuvent s’en sortir et retrouver la joie et des projets.

En voulez-vous particulièrement aux hommes ?

Des gens bien il y a en a partout, chez les hommes comme chez les femmes. A mon premier procès, ce sont trois juges femmes qui m’ont condamnée et j’ai des amis hommes qui m’ont appelée tous les jours pour me soutenir. Si je devais donner un conseil aux femmes, c’est de ne jamais laisser tomber l’amitié. Partager l’affection et la tendresse est essentiel. Cela aide à activer les forces qu’on a à l’intérieur de nous, qui permettent d’accéder à la vérité et de nous regarder fièrement dans la glace.

D’où vous est venue votre force ?

Le syndicalisme est une affaire de famille chez moi ! Du côté de ma mère qui s’est battue bec et ongles pour la libération de Nelson Mandela. Quand j’étais petite, j’avais un badge de Mandela que je mettais sur toutes mes vestes. Je reconnais avoir parfois eu un peu honte de ma mère quand elle manifestait dans la rue. J’aurais préféré qu’elle reste à la maison comme les autres mamans. Je suis pourtant devenue militante féministe dès le lycée. Ma mère a milité pour Mandela jusqu’à ce qu’il sorte de prison en 1990. Elle m’avait alors prévenu : « Il faut apprendre à être patiente et à ne rien lâcher et on finit par y arriver. » Cette leçon m’a été précieuse. Elle m’a portée pendant toutes ces années.

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