Malgré une lutte croissante contre les violences conjugales, le ciel sociétal s’assombrit par un recul préoccupant des droits des femmes et de leur représentation dans la sphère publique. Des faits que Marlène Schiappa, nous explique dans un panorama rassemblant belles initiatives et potentielles craintes du lendemain.

Conjuguer son rôle de mère et celui de représentante du gouvernement, c’est un sacré pari. Et que dire après deux mois de confinement. La vie privée se retrouve bien souvent à la frontière de la vie professionnelle. Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, confronte ces deux réalités dans une société en proie à de nombreuses crises. Sous l’effet du coronavirus, les violences conjugales sont devenues une lutte encore plus prenante pour le cabinet de Marlène Schiappa, dans un confinement qui a pu tendre les relations chez les couples.

« Quand on est membre du gouvernement dans cette période, on est à la fois comme tous les Français, mais d’un autre côté, il faut avoir en tête que le pays compte sur nous. Je suis mère de deux filles, donc j’ai dû faire face à la fermeture des établissements scolaires et m’organiser pour faire l’école à la maison. J’ai eu aussi des craintes pour la santé de mes proches qui sont touchés par le coronavirus. J’ai de nombreux soignants dans ma famille qui ont été mobilisés. Avec mon métier, je ne suis pas là pour subir les faits, je suis là pour agir. Avec mon cabinet, nous sommes intervenus dans le dossier des femmes victimes de violences conjugales qui appelaient à l’aide sur les réseaux sociaux. Mon équipe et moi, nous avons, par exemple, livré un par un des téléphones aux écoutantes du 39 19 (Numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences). Nous avons donc été acteurs de nos initiatives tout en vivant nos vies personnelles.« , nous confie-t-elle.

Une offensive à long terme dans le domaine de la protection des femmes que la secrétaire d’État a détaillé dans son rapport pour la Fondation Jean Jaurès intitulé « Covid-19 : menaces sur les femmes dans le monde« . Parmi les sujets abordés : l’augmentation des violences conjugales et intrafamiliales, le surmenage des femmes en première ligne, ou encore le recul des droits reproductifs pendant et après la crise.

Déjà, un premier bilan sur les actions mises en place par le gouvernement pendant le confinement peut être énoncé. « Il y a des choses très concrètes et très efficaces qui ont été faites, mais je ne dis pas cela pour faire de l’autosatisfaction, car tant qu’il reste un féminicide, c’est un féminicide de trop. Pendant les deux mois de confinement, on déplorerait trois à quatre meurtres de femmes. Ce qui est moindre par rapport aux statistiques habituelles. Il y a eu une vraie mobilisation collective et j’en suis fière. Beaucoup d’entreprises ou de grandes enseignes ont mis des locaux à disposition pour devenir des centres d’hébergement pour les victimes comme à l’OM. Elles ont aussi diffusé les informations sur les dispositifs actés : le 39 19 et la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr, sur les tickets de caisse du Groupe Casino, des pizzas Sodebo, ou encore, les enseignes Nicolas. Les pharmaciens, quant à eux, se sont aussi mobilisés pour donner des alertes. C’est un grand terrain de solidarité. »

Le 6 mai dernier, Marlène Schiappa s’est rendue au centre Robert Louis-Dreyfus à Marseille. L’Olympique de Marseille, en association avec la Préfecture des Bouches-du-Rhône et l’association « SOS Femmes 13 » a mis à disposition des installations de son centre de formation pour héberger femmes et enfants victimes de violences pendant cette période de confinement.

« Cela est toujours très émouvant. Ce sont des visites touchantes. J’ai vu une dame venant du Maroc et à peine, je suis rentrée dans sa chambre, qui est celle d’un jeune joueur, elle m’a remercié chaudement, ainsi que la France. De même, j’étais présente lors des premiers pas d’une petite-fille. Pour moi, cela est positif, car elle aurait pu vivre à ce moment-là les pires souvenirs de sa vie en tant qu’enfant d’une mère frappée par son compagnon, insultée et mise à la rue. Il y a aussi un petit garçon qui a pu réaliser son rêve : parler au téléphone avec son joueur préféré, Florian Thauvin, grâce au président de l’O.M. L’enfant nous a ainsi dit que ce jour était le plus beau de sa vie. C’est merveilleux de voir que d’une situation plus que difficile des moments lumineux peuvent arriver.« 


D’un projet gouvernemental à une humanité certaine, il n’y a qu’un pas ou une rencontre, si nous devons résumer les propos de Marlène Schiappa. Une particularité du secrétariat d’État égalité femmes hommes, selon elle : « Nous ne travaillons pas que sur des tableaux Excel et sur des budgets. Nous travaillons sur des problématiques humaines avec ce qu’il y a de pire, mais aussi de meilleur. À chaque fois que nous sommes dans un centre d’accueil et que des femmes nous expliquent qu’elles ont finalisé leur C.V ou un dossier pour retrouver du travail et un logement, nous en sommes heureux.« 

Mme Schiappa souligne qu’aucun gouvernement n’a autant fait pour lutter contre le fléau des violences conjugales. « J’ai été en contact avec quasiment toutes les précédentes politiques depuis que je suis adulte. À l’époque, quand je plaidais pour la cause, on me disait que c’était un sujet trop difficile, avec peu de résultats, donc aucun intérêt politiquement. Le président Emmanuel Macron a eu le courage de dire que la priorité est de protéger les femmes. Nous sommes donc les premiers à avoir fait un Grenelle des violences conjugales, qui a débouché sur plus de 120 mesures : la création des bracelets d’éloignement – la déchéance de l’autorité parentale pour les hommes violents – la saisie des armes dès la plainte – la possibilité des déposer des plaintes en ligne – la création de la plateforme ‘Arrêtons les violences.gouv.fr’- la formation des policiers et des gendarmes – l’allongement de la durée de prescription…« 

« J’ai demandé au ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse de mobiliser les écoles dans la lutte contre les violences conjugales, car c’est un lieu où les femmes peuvent s’exprimer sur leur condition et se faire aider. Il a ainsi envoyé aux personnels un récapitulatif de tous les dispositifs lancés pendant le confinement.« , précise-t-elle.

Au vu de toutes ces initiatives, il est bon de rappeler que chaque citoyen a un rôle à jouer, n’importe qui peut sauver une vie. Tout commence, pour Marlène Schiappa, par le simple fait de questionner une victime de violences. « Il faut dire à ces femmes qu’elles ne sont pas responsables de ce qu’elles vivent et qu’elles doivent prendre des mesures pour être protégées. Personne n’a le droit de les frapper. Des endroits existent, où personne ne les jugera.« 

Droits des femmes et visibilité affaiblis

Au gré des mesures, une vraie menace pèse, pourtant, sur les droits des femmes dans le monde. « Soit on progresse, soit on régresse, il n’y a pas de surplace. On le voit sur l’accès à l’IVG ou à la contraception. Il y a des menaces qui se mettent au jour. Cela va demander une mobilisation extraordinaire parce qu’il y a des personnes qui nous disent, encore plus aujourd’hui, que ces sujets ne sont pas la priorité. Un constat qui se prouve dans une étude que j’ai commandée, sur la répartition des tâches ménagères entre les femmes et les hommes pendant le confinement. La conclusion est qu’il y a un épuisement chez les femmes. Quand on a partagé ces résultats sur les réseaux sociaux, nous avons eu une multitude de messages insultants comme si cela était tabou. Les commentaires disaient : mais enfin, ce n’est pas le moment de parler d’égalité, de qui s’occupe des enfants, ce n’est pas le problème. C’est une double peine pour les femmes. La société considère normale qu’il faille s’occuper des repas, du ménage et s’occuper des cours à la maison pour les enfants. Et cela sans énoncer le mot inégalité. Le dire, c’est comme aller trop loin. », affirme Mme Schiappa.

Une certaine perception de la vie quotidienne que la femme politique met en parallèle avec les dires d’une sociologue de l’Université du Kent. Cette dernière pense que nous assistons à un retour vers le stéréotype de la bonne ménagère des années 1950. L’analyse franche et nette résonne avec le fameux terme « coronaviril » (la non-visibilité des femmes pendant la crise sanitaire).

« Nous avons un paradoxe incroyable comme le voit l’historienne Michelle Perrot. Les femmes se sont révélées indispensables lors de cette période : 90% d’aides-soignantes, 70% d’enseignantes du premier degré, sans parler des caissières et des couturières de masques. Mais elles ont moins accès à la parole dans les médias que les hommes.« , ajoute la secrétaire d’État.

Harcèlement de rue et cyberharcèlement

Le harcèlement de rue est la grande question dans ce monde d’après-confinement. Marlène Schiappa rappelle à juste titre que la France est le premier pays au monde à verbaliser cette agression. « Il faut dire à ces femmes qu’elles ne sont pas responsables de ce qu’elles peuvent entendre sur leur tenue ou l’heure à laquelle elle sorte.« 

De la rue, nous passons à une autre agressivité, celle qui se déroule sur Internet : une montée de la haine sur les réseaux sociaux. « Nous réunissons régulièrement les plateformes comme Twitter et Facebook. Mais non attendons beaucoup plus de leur part. Facebook a fait de nombreux efforts sur la modération et Snapchat s’est révélé efficace face au revenge porn (affaire des comptes ‘Fisha’) en supprimant les contenus que nous leur avons signalés et en créant une chaîne pédagogique avec e-enfance, Twitter de son côté laisse passer trop de contenus haineux. Je tiens à rappeler aussi que le cyberharcèlement en meute est condamné par la loi. J’observe qu’il y a une parole décomplexée dans la haine, dans une société de plus en plus violente. Tous les jours, je reçois des insultes sexistes de la part d’opposants ou de la fachosphère, comme beaucoup de femmes politiques. Et cela se concrétise par une cinquantaine d’individus qui se réunissent en bas de chez moi pour me traiter de ‘salope’ ou me dire qu’ils veulent me tuer, le tout devant mes enfants. Un grand nombre de responsables politiques ont ricané, en déclarant que ce n’était pas grave d’aller chercher une femme chez elle. », nous avoue la secrétaire d’État.

Ce monde, serait-il en train de virer vers son côté le plus sombre ? Peut-être, selon Marlène Schiappa, si nous nous penchons sur l’étude d’une ONG indienne qui a relevé qu’à mesure que le confinement avance les recherches sur les sites pornographiques sont de plus en plus violentes, avec des mots recherchés comme « tortures », ou encore « sanglants ».

Sur la question de comment ses filles perçoivent la place des femmes dans notre monde actuel, la défenseuse de la gent féminine explique qu’elles sont très éveillées sur la question de par le métier de leur mère qu’elles ont pu vivre au fil des jours pendant le confinement. Une génération sensibilisée depuis les plus jeunes années de l’enfance, d’après elle.

Et sur le concept du jour d’après, qui titillent de valeureux intellectuels, Marlène Schiappa pense que l’essentiel se base sur un dialogue où chacun écoute le lendemain de l’autre.

OK/PAS OK : le cyberharcèlement

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