Un livre choc revient sur l’itinéraire de cette femme à poigne qui a régné sur la prostitution de luxe, tutoyant les grands de ce monde.
Sauf à penser à la chanson de Georges Brassens, le prénom de Fernande n’est guère émoustillant. Surtout lorsque la dame se nomme Grudet. Pourtant derrière ce patronyme un peu ingrat se dissimule une certaine Madame Claude. Sa vie, c’est toute une histoire, même abondamment fardée par ses soins. À l’en croire, elle serait issue d’un milieu bourgeois ayant fait fortune dans l’industrie, puis élevée par les sœurs Visitandines. Mieux, son père aurait été résistant durant l’Occupation. Et elle aussi au passage. Ces brillants états de services patriotiques l’auraient paraît-il conduite en déportation, à Ravensbrück, camp dans lequel elle prétendait avoir sauvé, grâce à un médecin nazi tombé sous son charme, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, nièce du Général. Rien de moins.
De manière plus plausible, il est établi que le père de Fernande Grudet était bistrotier, rue Diderot à Angers, et arrondissait les fins de mois en vendant des sandwiches à la gare. En 1941, le père meurt. La laissant quasiment sur le trottoir. Pour une fois, le hasard fait bien les choses, car c’est là qu’elle fait ses premières armes et en comprend la dure loi : pourquoi s’abaisser à vendre ses charmes, alors que d’autres filles perdues peuvent le faire à sa place ? Ce d’autant plus que Fernande Grudet ne s’aveugle pas plus que ça sur son physique. Certes, elle n’est pas vilaine, mais n’est pas vraiment belle. Les rondeurs sont chez elle aux abonnées absentes et elle n’a guère d’appétence pour les choses de l’amour, aussi bien tarifées qu’elles soient.
Manifestement en panne du côté des sens, elle a néanmoins celui du commerce. De fait, rognant sur le fruit de ses passes nocturnes, elle préfère économiser ses sous pour acquérir des appartements que de les dilapider en dessous, aussi affriolants soient-ils. Ces choses-là, ce sera pour plus tard. Et surtout pour d’autres qu’elle.
Carnet d’adresses
Le début des années 1950 sonne celui de l’ascension de Madame Claude. Et là, le client ne toque pas à la porte du bobinard du coin, façon madame Mado dans Les Tontons flingueurs (1963) de Georges Lautner, mais dans le haut de gamme. La preuve en est que les filles sont rhabillées chez les plus grands couturiers et que la chirurgie esthétique devient pour elles la norme. De plus, elles doivent savoir se tenir dans la haute société et passer l’épreuve des dîners en ville en compagnie huppée, sans faire honte à leurs commensaux d’un soir. Le bouche-à-oreille opère et Madame Claude se constitue un carnet d’adresses digne d’un ambassadeur.
Pour plus de sûreté, toutes les filles sont testées avant usage par un étalon au pedigree exceptionnel : Jacques Quoirez, le frère de Françoise Sagan ; excusez du peu.
Voici venu l’âge d’or de Madame Claude. Lequel ira des années gaulliennes jusqu’à la fin de règne pompidolien. Ses clients d’alors ? Les grands de ce monde, de l’acteur Marlon Brando au magnat de l’industrie italienne, Giovanni Agnelli, ou le Saoudien Adnan Kashoggi, alors incontournable intermédiaire du moindre contrat avec Ryad. Sans oublier des chefs d’État que l’on peut qualifier de “sensibles”, tels le “guide” libyen Mouammar Kadhafi, le roi Hussein de Jordanie, ou le shah d’Iran, Reza Pahlavi.
Un tel négoce a de quoi susciter l’intérêt du gouvernement et des services secrets français. Car ces clients énamourés, lorsque chevauchés par les amazones de Madame Claude, lesquelles ont le tact de leur faire croire qu’ils sont des amants infatigables, se montrent bavards, une fois l’étreinte conclue. Bref, ces confidences sur l’oreiller ont le don de faire le miel des grandes oreilles de l’Élysée.
En cette époque “bénie”, Fernande Grudet a le bon goût de savoir jusqu’où elle peut aller : avec la raison d’État, elle doit savoir raison garder. Seulement voilà, tout change en 1974, avec l’accession au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. Déjà, celui-ci pense avoir été “piégé” par une des filles diligentées par la maquerelle du Tout-Paris politique. Pis, cet énarque ne comprend pas grand-chose aux rapports entretenus par flics et indics, brigade mondaine et demi-mondaines. En d’autres termes, il raisonne tel le perdreau de l’année. Et, usant de ses méthodes éprouvées d’ancien inspecteur des finances, il décide de persécuter Madame Claude à grand renfort de contrôles fiscaux.
Prison
Longtemps, elle résistera, n’hésitant pas à conclure des mariages de complaisance, en Suisse et aux États-Unis, afin d’échapper aux griffes du fisc. Revenue en France en 1985, elle tente de relancer son petit commerce charnel en 1991, pour le voir “tomber” en 1993. Elle écope alors d’une peine de prison de trois ans (elle n’en purgera finalement que six mois), avant de prendre sa retraite sur la Côte d’Azur et d’y décéder le 19 décembre 2015, à 92 ans, oubliée de tous. Et surtout de ceux auxquels elle avait rendu tant de services. À croire que la République n’est pas toujours reconnaissante. Ce que Madame Claude a manifestement fini par apprendre. Fût-ce à ses dépens.
Et aussi…
Elle fait son cinéma
©Bridgeman Images – Dayle Haddon et Françoise Fabian.
Dans ce registre, les filles de Madame Claude ont toujours tenu leur rang. En effet, Le Téléphone rose (1975), d’Édouard Molinaro, y fait déjà plus qu’illusion avec Mireille Darc en escort-girl de luxe. Deux ans plus tard, c’est Madame Claude, de Just Jaeckin (photo). Françoise Fabian y est impériale en mère maquerelle des alcôves du pouvoir. Le film est plus que médiocre, mais il est encore murmuré que Valéry Giscard d’Estaing ne l’aurait guère apprécié, y décelant une forme d’attaque personnelle. Un an plus tard, c’est au tour de Madame Claude 2, de François Mimet, d’enfoncer le clou. Là, VGE ne réagit plus. Comme s’il pressentait que son avenir appartenait déjà au passé, comme celui de Madame Claude. À propos de clou, le dernier planté dans son cercueil sera, la même année, Le Professionnel, de Georges Lautner, qui fait clairement référence aux services de Fernande Grudet. Il se double aussi d’une féroce mise en cause du président sortant quant à ses responsabilités dans la mort tragique du commandant Pierre Galopin, envoyé en mission au Tchad, puis cyniquement sacrifié par la France. L’interprétation inspirée de Jean-Paul Belmondo, montre bien qu’il savait quel film il était en train de tourner.
À lire…
Madame Claude, le parfum du secret, d’Erwan L’Éléouet. Fayard.
Nicolas GAUTHIER
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