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- Aujourd’hui, nous passons la soirée au mythique club Madame Arthur à Paris.
C’est une grande devanture rouge au pied de la rue des Martyrs, dans le 18e arrondissement de Paris. À quelques pas de Pigalle et ses néons, Madame Arthur est resté dans son jus. Ouvert en 1946, le « premier cabaret travesti ouvert à Paris » a gardé d’époque ses murs vieillis et son ambiance rococo. Cette semaine, tout le monde s’est mis sur son 31, et pour cause : l’établissement souffle ses 75 bougies, et a convié à la fête toutes les créatures qui ont gravité entre ses murs.
Dans la salle de spectacle, alors que le public se presse sous la grande boule à facettes et que le silence se fait, le piano résonne sous les doigts de Charly Voodoo, grand Pierrot recouvert de sequins en talons de quinze centimètres. Sur scène, on retrouve les créatures chantantes habituelles du Madame Arthur, de Bili L’arme à l’Œil à Odile de Mainville, en passant par Martin Poppins ou La Briochée. Pour l’occasion, Lola Dragoness, Monsieur K et Morian, qui poursuivent d’autres projets en parallèle, avaient rejoint le show et revêtu leurs plus beaux talons hauts et robes à paillettes. Au programme, que de la chanson française, de Balavoine à une version francisée de Bohemian Rhapsody de Queen. C’est à se demander si cet anniversaire n’est pas simplement un prétexte à se retrouver, et à chanter tous ensemble.
Un lieu historique
Quand il ouvre après la guerre, Madame Arthur est un cabaret dit de travestis, où les hommes s’habillent en femmes pour interpréter des chansons. Le nom de l’établissement est tiré d’une chanson d’Yvette Guilbert dans les années 1920, où elle vante une femme dont « par-derrière la tournure/promettait un je-ne-sais-quoi ! », clin d’œil pas si subtil pour l’époque. Dans les années 1950, le travestissement était interdit, et de nombreux artistes qui sortaient en robe du cabaret pouvaient finir embarqués par la police. Très tôt, le lieu accueille des meneuses de revues comme Bambi et Coccinelle, des femmes trans qui aident à faire bouger les lignes. Pendant des décennies, le cabaret sera un refuge pour diverses personnes de la communauté LGBT, offrant une bulle d’oxygène face au monde extérieur.
Mais en 2010, l’établissement met la clef sous la porte. Le cabaret est à bout de souffle, les parisiens ni les touristes ne viennent, préférant parfois aller à quelques centaines de mètres, au Moulin Rouge ou chez Michou, cabaret transformiste. Jusqu’en 2015, le silence est assourdissant et la poussière alourdit les rideaux rouges. Quelques années plus tôt, en 2008, Fabrice Laffon, musicien, prend en charge la salle de concerts Le Divan du monde, voisine du Madame Arthur. Alors que l’établissement est fermé, la famille Laffon décide de racheter le cabaret, en 2012, et de relier physiquement les deux établissements, pour créer une deuxième salle de danse du Divan du Monde.
En 2015, Madame Arthur réouvre, sous l’impulsion de l’équipe du Divan du Monde. Plusieurs artistes comme Monsieur K, Charly Voodoo et Morian décident de créer une toute nouvelle formule de spectacle, en embrassant le patrimoine de la chanson française, de Michel Berger à Diam’s. L’objectif ? Séduire un public jeune, branché, qui n’a pas forcément l’habitude du cabaret. Au début, c’est la douche froide. « On a ouvert vides et c’est resté vide un an et demi » nous glisse-t-on à l’oreille dans les coulisses. Il faudra l’arrivée de Fanta Touré, programmatrice, pour que tout s’accélère : les spectacles deviennent thématiques, le lieu se met à proposer plusieurs spectacles à différents endroits et à différentes heures de la soirée, un blind test 100 % musique française a lieu tous les week-ends, et Madame Arthur se transforme en boîte de nuit passée minuit. Une nouvelle formule qui séduit.
Des combats en héritage
Depuis plusieurs années, le lieu s’est transformé. Le Divan du Monde d’un côté, l’ancienne salle du Madame Arthur de l’autre, sur plusieurs étages et salles qui tiennent parfois du labyrinthe. Et au niveau du passage entre les deux espaces, un mur recouvert de portraits des anciennes meneuses de revue, une initiative de la troupe. « Une manière de garder avec nous cet héritage » nous avait confié Bili l’arme à l’Œil, une des artistes. D’ailleurs, pour ce 75e anniversaire, Bambi est au premier rang, souriante. Dans la salle, on retrouve un public hétéroclite, aficionados de chanson française ou couples venus s’encanailler. Dans la chaleur du mois de juin, c’est le dernier spectacle avant qu’une partie de la troupe s’en aille en tournée au Festival Off d’Avignon, ou que chacun reprenne ses projets parallèles, comme au cabaret La Bouche, dans le 18e arrondissement de la capitale.
Sur scène, La Biche, créature au maquillage orangé, explique que « depuis Bambi, on essaye de rêver à un monde idéal, à une société où tout ne serait qu’amour ». Au son de la chanson « Travesti » de Starmania, la salle applaudit, pousse des cris, danse. Un moment de fête permis après deux ans de pandémie, où l’équipe du Madame Arthur proposait des spectacles en streaming, pour remédier au manque de culture. Une inventivité qui a fait ses preuves : on est là dans un cabaret 2.0, bien loin des règles de bienséance. « Je veux que Jack Lang et Anne Hidalgo se fassent dessus », lance La Briochée en riant, alors que les blagues se multiplient sur l’aspect bien éloigné du théâtre subventionné.
Un spectacle engagé et innovant
Avec ses 75 ans, le Madame Arthur fête aussi une victoire : celle d’avoir pu attirer un nouveau public, plus jeune, avide de spectacles engagés et d’émotions brutes. Tandis que le miroir moucheté reflète les rires et les verres remplis d’alcool, du côté de la scène, les numéros s’enchaînent dans une facilité désarmante. Si on reprend des classiques de la chanson française, on ne laisse pas de côté Diam’s, ou même Jul et son Bande Organisée. Par écran interposé, Maud’Amour, une des créatures de la troupe, souhaite un bon anniversaire au cabaret, accompagnée de Jean-Paul Gaultier, pour lequel elle performe à Londres. Mais surtout, le spectacle, comme toujours chez Madame Arthur, se veut politique. Sur l’air des Rois du Monde, de la comédie musicale Roméo et Juliette, on se moque des hétéros, on parle de s’accepter comme on veut. La Biche se faufile dans le public, et sur une réécriture du tube YMCA, entonne « Moi j’aime Didier ! » en chœur avec toute la salle. « Il n’y a pas beaucoup d’endroits où on pourrait m’accepter comme je suis, femme trans et grosse » avait expliqué La Briochée. Un drapeau arc-en-ciel est déployé sous une pluie de confettis, sous les hourras du public.
Une formation collégiale, une dizaine de créatures pailletées sur scène et deux heures de spectacle plus tard, Charly Voodoo rend un dernier hommage avant que le rideau se ferme. « Bambi m’a donné la partition originale du final qu’elle faisait autrefois, mais j’ai besoin qu’elle la chante avec nous » demande-t-il, complice, à la mythique meneuse de revue. Cette dernière s’exécute, et se met à chanter, avec toute la troupe. Un moment suspendu, où les générations se mélangent dans un même moment de fête. Madame Arthur souffle ses bougies, mais sa proposition artistique n’a jamais été aussi actuelle. Alors que le rideau se ferme dans une standing ovation, les créatures quittent la scène pour rejoindre le commun des mortels, siroter une coupe de champagne. Dans les haut-parleurs, Dalida puis France Gall. Alors dans les lumières bleues, on continue à danser… Jusqu’à demain.
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