- Lors d’une visioconférence organisée par le New York Times Magazine le 10 avril dernier, le docteur Ezekiel J. Emanuel a estimé qu’une reprise des grands rassemblements, tels que les festivals, ne pouvait se faire avant l’automne 2021.
- Se présentant comme « conseiller spécial du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé », celui-ci a semé le doute dans les esprits des internautes français.
- Si certains spécialistes européens de la santé partagent son point de vue, l’OMS en revanche n’a donné aucune recommandation officielle concernant le retour des festivals et des concerts.
Alors que les annonces d’annulation ou de report de festivals ne
cessent de tomber depuis qu’
Emmanuel Macron a annoncé qu’aucun grand rassemblement de population ne pourrait avoir lieu avant la mi-juillet, les accros du combo « tente 2 secondes-canettes de bière-musique » s’inquiètent des propos tenus par un médecin américain à l’occasion d’une visioconférence organisée par
le New York Times Magazine le 10 avril dernier.
Invité à livrer sa pensée sur la chronologie du déconfinement aux Etats-Unis, le docteur Ezekiel J. Emanuel, directeur du Healthcare Transformation Institute de l’Université de Pennsylvanie et conseiller spécial du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), explique que le redémarrage de l’économie doit se faire par étapes et que les grands rassemblements de populations (festivals, concert, événements sportifs, manifestations, etc.) ne sont que l’ultime étape de ce long processus.
« Vous ne pouvez pas simplement actionner un interrupteur et ouvrir l’ensemble de la société. Ça ne marchera tout simplement pas. Le virus reviendra certainement à un niveau encore pire. Pour les grands rassemblements, lorsque les gens disent qu’ils vont reporter pour octobre 2020, je ne sais même pas comment ils peuvent penser que c’est une possibilité plausible. Je pense que ces choses seront les dernières à revenir. En réalité, nous parlons de l’automne 2021 au plus tôt. » De nombreux internautes, alarmés, ont appelé à se préparer à subir la même sentence dans l’Hexagone. Mais ont-ils raison ?
FAKE OFF
Ces propos ont parfois pu être compris comme une annonce quasi officielle de la part de l’OMS, puisque le bioéthicien américain se présente sur son site internet comme un « conseiller spécial du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé ». Contactée par 20 Minutes, l’OMS n’a pas confirmé, à l’heure où nous publions cet article, le rôle d’Ezekiel J. Emanuel auprès de l’instance internationale. Son nom n’apparaît pas sur le site officiel de l’organisation, who.int.
Sur le fond, il convient plutôt de lire ses déclarations comme des préconisations données à titre personnelles et non comme les prémices d’une règle internationale instaurée par ladite organisation. De son côté, l’ OMS explique simplement qu’« étant donné que chaque rassemblement international de masse est différent, les facteurs à considérer pour déterminer si l’événement doit être annulé peuvent également différer ». Aucune date officielle n’est en revanche communiquée à ce jour.
Ce qui n’enlève rien à la crédibilité des recommandations du médecins. En Europe, Gerald Haug, président de l’Académie des Sciences de Leopoldina (Allemagne) a tendance à aller dans le sens de son confrère outre-Atlantique. Dans une interview accordée à la chaîne publique ARD le 13 avril dernier, s’il affirme qu’« il y a des évaluations plus optimistes que d’autres », le spécialiste explique cependant qu’il serait « certainement très avisé » d’interdire l’accès aux salles de concerts et aux festivals pendant de nombreux mois, voire « jusqu’à un an et demi ».
Des praticiens français partagés
Qu’en pensent leurs confrères français ? Interrogé par 20 Minutes, le professeur Djilali Annane, chef de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, partage totalement l’avis de ses confères. « Dans ce genre d’événements, il est impossible de faire respecter les gestes barrière et de maintenir la distanciation sociale, dit-il. Il y a de la convivialité, de la proximité, et un nombre très important de personnes en contact les uns avec les autres. Il est donc illusoire d’imaginer un événement de ce type-là où les gens seraient tous espacés de 1,50 m et porteraient tous des masques dans de bonnes conditions sanitaires. »
Pour lui, plus que de risquer une deuxième vague d’épidémie dans un futur proche, à l’heure où « la grande majorité de la population est fragile car elle n’a pas été en contact avec le virus », autoriser ce type de grands rassemblements dans les mois à venir serait « organiser de façon expérimentale une reprise massive de l’épidémie ! ». « Ça n’a aucun sens », souffle-t-il.
Sa consœur Odile Launay, infectiologue et responsable du centre de vaccinologie de l’hôpital Cochin à Paris, se montre quant à elle plus mesurée. « Personne ne sait comment tout ça va se passer, tempère-t-elle. Ce qu’on espère, c’est que la levée du confinement va se faire de façon progressive et organisée pour éviter qu’on ait à nouveau une circulation importante du virus : augmentation des mesures barrière, port du masque généralisé et possibilité de tester et d’isoler les personnes qui ont des symptômes et celles qui les entourent. Ensuite, ça va dépendre des résultats de tout cela. Si on arrive à contenir l’épidémie, probablement qu’on pourra autoriser les rassemblements de plusieurs centaines de personnes, mais difficile aujourd’hui de donner une date précise. »
« Il faut se préparer à une vie différente »
A ce titre, le ministre de la Culture Franck Riester a annoncé ce jeudi
sur les ondes France Inter que les « petits festivals » pourraient éventuellement être autorisés dès la mi-mai. Une prévision qui semble très optimiste puisqu’à titre de comparaison, le président de la République a annoncé que les bars et les restaurants garderaient leurs rideaux baissés
au moins jusqu’à la mi-juillet.
« Je ne crois pas qu’on soit en mesure de contrôler suffisamment bien la levée de confinement à une telle échéance sans risquer une résurgence de l’épidémie. On ne pourra être complètement libéré que quand on aura un vaccin, poursuit Djilali Annane. Or, le vaccin, on ne l’aura probablement pas avant le second trimestre 2021. D’ici là, honnêtement, organiser des matchs de foot ou des festivals avec des dizaines de milliers de spectateurs me paraît complètement déraisonnable. »
Mais alors pourquoi Emmanuel Macron a-t-il donné cet horizon de la mi-juillet – si et seulement si le confinement était parfaitement respecté d’ici au 11 mai – pour le retour des grands rassemblements ? « Je crois que l’idée c’était de faire un peu de thérapie de groupe, de ne pas arriver une nouvelle fois devant les Français en disant « on va confiner pendant un mois et puis on verra ensuite ce qu’il en est » », répond le chef de réanimation de l’hôpital Raymond-Poincaré.
« Ce qui est sûr, conclut Odile Launay, c’est qu’il faut se préparer à une vie différente de celle d’avant après la levée du confinement, avec des manifestations festives ou sportives organisées de manière totalement nouvelles. »
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