- Un duo de journalistes acharnées
- L’invisibilisation des féminicides
- L’importance des femmes dans la presse
- Un ou plusieurs étrangleurs de Boston ?
- Loretta McLaughlin et Jean Cole, pionnières du journalisme d’investigation
« Combien de femmes doivent mourir avant que ça devienne un sujet ? ». Cette question lancée par le personnage de Keira Knightley à son rédacteur en chef décrit au mieux les enjeux du film L’étrangleur de Boston.
Diffusé sur Disney + depuis le 17 mars 2023, le thriller inspiré de faits réels retrace l’enquête édifiante de deux femmes journalistes qui ont tenté, malgré les obstacles misogynes de leur profession, de retrouver l’auteur de 13 meurtres de femmes jusque-là non élucidés.
Un duo de journalistes acharnées
C’est d’abord une enquête impossible à résoudre et qui n’intéresse personne. Ni les médias, ni la police. Nous sommes entre 1962 et 1964, à Boston (États-Unis) et une série de féminicides frappe la capitale du Massachusetts.
Anna Slesers, 56 ans, Mary Mullen, 85 ans, Nina Nichols, 68 ans, Helen Blake, 65 ans, Ida Irga, 75 ans, Jane Sullivan, 67, Sophie Clark, 20 ans, Patricia Bissette, 23 ans, Beverly Samans, 26 ans, Mary Brown, 69 ans, Evelyn Corbin, 58 ans, Joann Graff, 23 ans et Mary Anne Sullivan, 19 ans. Les 13 victimes, âgées de 19 à 85 ans, ont pour point commun de vivre seules et d’avoir été presque toutes étranglées avec un bas nylon sans qu’aucune trace d’effraction n’ait été constatée. Certaines d’entre elles ont par ailleurs été victimes de violences sexuelles.
Face au désintérêt des hommes (policiers comme journalistes) Loretta McLaughlin (Keira Knightley) et Jean Cole (Carrie Coon) s’emparent de l’affaire et mènent leur propre enquête. Les deux journalistes partent ainsi à la recherche de celui qui sera surnommé par la presse « l’étrangleur de Boston » ou « l’étrangleur fantôme ».
Le duo féminin réussit à publier une série d’articles en quatre parties dans le journal Baston Record American, aujourd’hui appelé le Boston Herald, cite le média Women’s Health dans un article publié le 17 mars 2023.
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L’invisibilisation des féminicides
Si plusieurs films comme L’Étrangleur de Boston (1968) de Tony Curtis racontent ces féminicides sordides, aucun d’entre eux ne le fait du point de vue de ces enquêtrices, pourtant à l’origine de leur médiatisation. Et c’est en cela que le film réalisé par Matt Ruskin est particulièrement captivant.
Il raconte à la fois le sexisme subi par les journalistes, mais aussi l’indifférence de la société pour les meurtres de femmes. À cette époque, l’aspect systémique de ces violences n’est pas encore reconnu et le terme féminicide n’a pas fait son apparition.
Dans une interview pour le magazine américain Harper’s Bazaars en mars 2023, dont elle a fait la couverture, l’héroïne de la saga Pirates des Caraïbes, qui interprète ici Loretta McLaughlin, souligne que la présence de la gente féminine dans les espaces publics est, à ce jour, toujours problématique : « Cela va de la situation quotidienne au bureau, où votre voix n’est pas entendue, à l’aspect le plus extrême, le féminicide. Le film raconte une histoire intéressante qui couvre tout ce spectre. »
L’importance des femmes dans la presse
Au début du film, le chef de Loretta McLaughlin, journaliste malheureuse cantonnée à la rubrique Art et déco, n’accepte pas qu’elle s’occupe de l’affaire : « Il est hors de question que tu couvres un homicide. » À ce stade, trois femmes ont été tuées par étranglement en l’espace de deux semaines.
Keira Knightley explique dans une interview accordée au journal belge DH que le « magnifique scénario » met en avant « l’importance d’avoir des femmes en position de pouvoir, à même de rendre des faits publics ». Elle précise qu’il était évident pour elle « de participer à un projet qui met en lumière l’importance d’avoir des femmes journalistes, pour le bien et la sécurité de la société ».
Pour sa co-partenaire, Carrie Coon (The Nest, Gone Girl), il est « choquant » que ces deux femmes ne soient jamais mentionnées dans cette célèbre affaire alors qu’elles ont « participé activement à sa résolution, en forçant la police de Boston à partager ses informations ». Comme beaucoup d’autres femmes, elles ont été effacées de l’Histoire.
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Un ou plusieurs étrangleurs de Boston ?
Le prétendu tueur en série des 13 femmes a été retrouvé en octobre 1964 après qu’il ait été identifié grâce à un portrait robot d’une de ces victimes. Il s’appelle Albert DeSalvo et confesse quelques semaines après son arrestation avoir été l’auteur d’une centaine de viols ainsi que des féminicides de Boston. Il est considéré par beaucoup comme le fameux « étrangleur » de la ville, mais il n’existe alors pas de preuves qui attestent de cela.
Condamné à la prison à perpétuité uniquement pour les viols, il meurt poignardé en prison, au mois de novembre 1973. Encore aujourd’hui, l’auteur de ce crime n’a pas été identifié.
En 2013, une analyse ADN confirme son implication dans le 13e meurtre mais pas dans les autres affaires. Il est donc possible qu’il y ait eu plusieurs tueurs. Le long-métrage explore l’hypothèse d’un second meurtrier : l’un aurait commis les six premiers assassinats sur des femmes âgées (et non violées) et l’autre aurait tué les sept autres victimes, plus jeunes qu’il aurait violées pour certaines.
Dans un second article d’Harper’s Bazaar publié le 21 mars, George W. Harrison, un ancien voisin de cellule d’Albert DeSalvo, aurait entendu « un autre détenu donner des conseils à DeSalvo sur les détails des meurtres par étranglement. »
The Guardian souligne que le film de Disney + envisage « que les coupables sont multiples » et qu’il ne s’agit donc pas du fait d’un seul homme, mais bien le résultat d’un « phénomène misogyne », autrement dit le féminicide.
Loretta McLaughlin et Jean Cole, pionnières du journalisme d’investigation
Après l’arrestation d’Albert DeSalvo, les journalistes ont évolué dans leur carrière personnelle tout en restant amies. Loretta McLaughlin, décédée en 2018, est devenue une célèbre journaliste santé au Boston Globe en 1976. Elle a été l’une des premières à s’emparer du sujet difficile et tabou qu’est le Sida (Syndrome d’immunodéficience acquise).
Le 1er janvier 1982, la journaliste avant-gardiste publie un livre sur la pilule contraceptive The Pill, John Rock, and the Church : The Biography of a Revolution, La pilule, John Rock et l’Église : la biographie d’une révolution, en français (Éd.Little, Brown and Company). Dix ans plus tard, elle devient rédactrice en cheffe de la page éditoriale du Boston Globe et la deuxième femme à décrocher ce poste dans le journal.
Jean Cole, de son vrai nom Jean Harris, de son côté, s’est fait une place dans le journalisme d’investigation pendant plus de 30 ans à Boston. Elle a notamment enquêté sur les maisons de retraite aux États-Unis, en s’infiltrant en tant qu’infirmière. De 1972 à 1981, la redoutable journaliste a continué ses investigations au sein de la rédaction du Boston Herald American. Elle est morte en août 2015.
Le film « L’étrangleur de Boston » est disponible sur Disney + et la plateforme Hulu.
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