La catastrophe nucléaire, c’était il y a 37 ans. La zone est depuis fermée. Mais des animaux y survivent encore, subissant d’étranges mutations qui n’en finissent plus d’intriguer le monde scientifique…

C’est un chien qui erre dans les sous-bois. L’homme est pour lui un parfait inconnu. Alors, quand il en voit un, ou pire, plusieurs, c’est la peur qui l’étreint. Que lui veulent-ils ? La pauvre bête n’en sait rien. Puis le filet qu’on lance, dans lequel il s’empêtre. Sachant le combat perdu, il finit par se laisser faire. Ces humains déploient d’admirables efforts pour ne pas lui faire de mal et éviter de le terroriser plus que de raison.

C’est un chien errant mais pas n’importe quel chien : lui et ses prédécesseurs ont grandi à… Tchernobyl, zone condamnée depuis tant d’années. Mais ça, il ne peut pas le savoir, tout comme il ignore tout du sort qui va lui être réservé. Soit des études approfondies en laboratoire, histoire de comprendre comment lui et les siens ont pu survivre au feu nucléaire.

Retour en arrière. Nous sommes le 26 avril 1986. Il est 1 h 23, quand démarre l’apocalypse dans la centrale nucléaire Lénine, à Tchernobyl, en Ukraine. Tout d’abord, deux explosions, presque simultanées, ont tôt fait d’ébranler le réacteur numéro 4. Contrairement à ses homologues du monde entier, cette centrale n’est pas équipée de cette épaisse enceinte de confinement, permettant de contenir ce type d’accident. Il est vrai qu’alors, la puissance soviétique est déjà finissante. Financièrement épuisé par l’interminable guerre d’Afghanistan, le Kremlin a de plus en plus de mal à entretenir un empire en voie de désagrégation.

Résultat ? Sous l’impact, cinquante tonnes de combustible nucléaire s’évaporent en quelques instants dans l’atmosphère. Ces isotopes positifs culmineront jusqu’à dix kilomètres au-dessus du sol, avant de se répandre, portés par les vents, jusqu’en Europe et même plus loin encore. Puis, une partie de la charpente s’effondre dans la salle des machines, faisant exploser la conduite d’huile d’une turbine. L’incendie devient alors général. Les autorités ne parviendront à l’éteindre que le 10 mai 1986. Trois ans plus tard, le mur de Berlin tombe, entraînant l’URSS dans sa chute, le 25 décembre 1991.

Survivants

Pour démunies qu’elles soient, les autorités font tout leur possible. Une zone d’exclusion de plus de 2 200 km2 dans le nord de l’Ukraine et 2 600 km2 dans le sud du Bélarus est donc aussitôt décrétée autour des lieux du drame.* Toute la population est évacuée manu militari. Là, c’est toute leur vie que ces infortunés Ukrainiens abandonnent, n’emportant avec eux que le strict nécessaire, tandis que survient un autre drame : l’obligation formelle de partir en abandonnant leurs animaux de compagnie… Ces derniers seront consciencieusement abattus lors de massives chasses administratives, afin qu’ils ne contaminent pas leurs congénères jusque-là épargnés par la tragédie.

Et depuis ? Rien. Les scientifiques, sachant mieux que d’autres que la vie est au final toujours la plus forte, observent la persistance d’une flore et, surtout, d’une faune, malgré les radiations. Mais à l’époque, entre crises économiques, démographie en berne et guerres en Crimée, en Arménie, en Géorgie ou au Dombass, le président Boris Eltsine et Vladimir Poutine, son successeur, ont d’autres dossiers plus urgents à traiter. Le conflit opposant actuellement Moscou à Kiev ne fait qu’entériner davantage cet état de fait.

Pourtant, quelques premières études sont effectuées sur des souris ayant survécu au cataclysme ; mais rien ne sera tenté sur de plus gros mammifères. Et il faut attendre le 3 mars 2023 pour que soient enfin rendues publiques, les conclusions de plusieurs travaux effectués, sous la houlette du biophysicien David Brenner, par les universités américaines de Columbia (Caroline du Sud) et de Bethesda (Maryland) pour en savoir un peu plus sur ces chiens ayant traversé l’enfer atomique.

Que les amateurs de sensationnalisme passent leur chemin : les canidés en question n’ont pas de ces yeux phosphorescents brillant dans la nuit, pas plus qu’ils ne marchent sur six pattes ou ne sont affublés d’une double queue recouverte d’écailles. Logiquement, il est constaté que, plus les animaux capturés vivent aux proches abords de la centrale maudite, plus ils sont irradiés.

Pour prendre l’ampleur du mal, ce sont les dépôts de césium 137, un radioélément toxique, que les scientifiques analysent en premier. Ainsi, les chiens vivant au plus près des lieux du drame en présentent un taux deux cents fois supérieur à celui relevé chez ceux vivant à une dizaine de kilomètres plus loin. Et nos chercheurs de noter que malgré des ADN sensiblement différents, relatifs au taux d’exposition aux radiations, ces populations canines continuent de se reproduire. Paradoxalement, ils seraient plutôt en bonne santé. Les chercheurs constatent, mais ne savent guère expliquer.

Intrigante énigme

À propos de cette intrigante énigme, Christophe Hitte, universitaire de l’Institut génétique et développement de Rennes, interrogé par nos confrères de Sciences et Avenir, demeure perplexe : « Maintenant que ces chercheurs américains ont parfaitement décrit la structure génétique de ces différents chiens, cette équipe dispose d’un outil adéquat pour aller plus loin et, par exemple, analyser sur ces populations l’effet des radiations sur une trentaine d’années. Qu’est-ce qui a permis à ces lignées de chiens d’y résister ? Je pense que les gènes impliqués dans la réparation de leur ADN doivent être plus efficaces en situation hostile que chez un chien lambda qui n’aura pas survécu. »

Plus intéressante encore, cette piste lancée par ces savants américains : « La différenciation génétique par rapport aux autres chiens de race pure et en liberté suggère que les populations de Tchernobyl ont une signature génomique unique. » Encore faut-il savoir demeurer modeste et avoir toujours à l’esprit que tant de mystères de la vie sont par nature impénétrables. Mais il n’est pas interdit de chercher à savoir et à mieux comprendre. Comment, par exemple, ces pauvres chiens sont encore là, s’étant perpétués au travers des décennies, alors que tant d’humains auraient peut-être disparu.

Nicolas GAUTHIER

*Pour nos lecteurs qui voudraient en savoir plus sur les événements, on conseillera la mini-série anglo-américaine en cinq épisodes Chernobyl, tournée en 2019 par Craig Mazin.

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