« On est Africains », répétait à l’envi Jacob Desvarieux, cofondateur du zouk et du groupe Kassav’ qui a popularisé cette musique dans le monde et en particulier en Afrique. Sa disparition, le 30 juillet 2021, à l’âge de 65 ans des suites du Covid-19, a attristé plus d’un mélomane sur le continent africain où le genre musical débarque avec le groupe antillais au milieu des années 80. 

L’épopée africaine de Kassav commence en 1985 en Côte d’Ivoireescale culturelle incontournable en Afrique de l’Ouest qui accueille Kassav’ pour la première fois sur le sol africain. La formation antillaise, qui voit le jour en 1979 grâce au bassiste guadeloupéen Pierre-Edouard Décimus, fait bouger le public ivoirien au rythme de leur premier tube, devenu un cri de ralliement pour tous les aficionados du zouk, Zouk-la sé sèl médikaman nou ni. Ce leitmotiv sera repris dans plusieurs grandes villes africaines, de Dakar (Sénégal) à Alger (Algérie) en passant par Kinshasa (République démocratique du Congo), où Kassav’ tournera le clip de Syé Bwa, Yaoundé (Cameroun) et Libreville (Gabon). Sur le continent, leur terrain de jeu est souvent un stade et Kassav’ fait régulièrement « stade » comble, bien avant le Stade de France où ils fêteront leurs trente printempsEn 1988, ils réuniront 90 000 personnes à Luanda, la capitale de l’Angola où les hommages déferlent depuis l’annonce du décès de Jacob Desvarieux. C’est ce pays qui abrite le seul musée du zouk au monde, et c’est au Mozambique voisin que s’organise également un festival du zouk. Sur le continent, les lusophones se sont « réappropriés » le zouk, confiait Jacob Desvarieux durant un entretien en 2016. Le guitariste se disait d’ailleurs fasciné par le fait qu’une musique née dans une si petite île ait pu conquérir un continent où le moindre quartier populaire d’une grande ville pouvait contenir deux ou trois fois la Guadeloupe. En dépit du piratage et des concerts, qui se révèlent trop chers à organiser, Kassav’ restera fidèle à ce public. 

« Une musique transversale » 

Comment le zouk a conquis les Africains ? Dans les années 80 en Afrique, « chaque pays a sa musique et il n’y a pas beaucoup de musique transversale. Voilà une musique antillaise dont la rythmique de base est afro, donc africaine (…). Et un groupe qui réussit à faire le lien entre des musiques caribéennes, des rythmiques et des sensibilités africaines et une technique afro-américaine. C’est ça en réalité le zouk », explique à franceinfo Afrique Claudy Siar, journaliste et producteur de l’émission musicale Couleurs tropicales sur RFI, radio très écoutée sur le continent. Un média qui y a lancé Kassav’ grâce à l’un des premiers grands fans du groupe antillais, l’animateur Gilles Obringer disparu en 1995 et à qui Claudy Siar succèdera. 

Cette « histoire d’amour » avec le public africain, comme le disait Jacob Desvarieux, le groupe la doit à Gilles Obringer. Ce dernier anime une « émission superstar », Canal Tropical qu’il a lancée sur RFI dans des pays où, en face, il n’y a que des chaînes nationales, note Claudy Siar. « Tout le monde l’écoute et il diffuse Kassav’ ainsi que les albums solos des artistes à son auditoire qui adhère immédiatement à la musique du groupe. Gilles Obringer était un vrai fan de Kassav’ et ce fut légitime qu’il puisse présenter leur premier concert en terre africaine, à Abidjan. Le public ne fait pas qu’aimer, il devient fanatique ».

Peut-être parce cette musique rime encore avec liberté pour les Africains qui sont maîtres de leur destin depuis un petit quart de siècle, analyse Claudy Siar, également présentateur de l’émission The Voice Afrique francophone. Les textes ne sont pas en reste dans le succès du zouk de Kassav’. « C’est la force de Jacob et de tous les membres de Kassav, il est question de raconter l’identité. Dans les chansons, ‘An ba chen’n la’, ‘Zombi’ ou encore ‘Gorée’ (qui a trait à la déportation), il y a le lien avec l’Afrique. » De même, poursuit-il, dans leurs titres « Mama Africa » rejoint « Potomitan » (la femme antillaise) pour célébrer les femmes, pilier des familles d’Afrique et de leur diaspora. « C’est pour tout cela que le zouk a pris l’esprit et le cœur des gens, pour tout ce qu’il véhicule ». Les compositions de Kassav’ seront, au fil des ans, influencées par leurs contacts répétés avec l’Afrique comme le confiait Patrick Saint-Eloi avant sa disparition en 2010.

Jacob Desvarieux, une enfance dakaroise

Les liens avec les Africains tiennent certainement aussi à ceux de Jacob Desvarieux avec le Sénégal où il passera deux ans de sa vie, finalement décisives dans sa vie d’artiste. C’est à Dakar que sa mère lui offre une guitare pour ses dix ans. Ce n’est pas le cadeau souhaité et il apprend donc à en jouer par dépit, d’autant qu’il a pour voisin le musicien sénégalais Adama Faye dont l’un des frères deviendra le bassiste de la star sénégalaise Youssou N’Dour. L’instrument ne quittera plus jamais Jacob Desvarieux alors qu’il opte à 16 ans pour une carrière musicale. Il sera arrangeur, l’une de ses nombreuses casquettes artistiques. « Lorsqu’il fait de la musique plus tard, Jacob est déjà imprégné d’africanité, sans chercher à en faire plus. Il est ce qu’il est », estime Claudy Siar, ancien délégué interministériel pour l’Egalité des chances des Français d’Outre-mer. 

« Jacob grâce à ton art, tu as rapproché les Antilles à l’Afrique. Dakar où tu as vécu te pleure. Adieu l’ami », a écrit la star sénégalaise Youssou N’Dour dans un tweet. En saluant également la mémoire du « plus Ivoirien de tous les Antillais et (du) plus Antillais des Ivoiriens », le célèbre reggaeman ivoirien Alpha Blondy a aussi évoqué « ce pont culturel » qu’il a construit avec Kassav’ entre l’Afrique et les Antilles. 

« Je lui disais, et ça l’amusait toujours, que pour moi de son vivant, c’était un mythe, comme les autres membres de Kassav’ « , confie Claudy Siar qui a réalisé le premier best of du groupe en 1991 pour marquer leurs dix années d’existence. Et les réactions en Afrique et partout dans le monde, remarque-t-il, sont à la mesure de ce que représentait l’artiste disparu. « Je parcourais la Toile et tout le monde publiait une photo de Jacob Desvarieux. C’est dire si cet homme a marqué l’histoire de l’humanité. On est au-delà de la musique, nous sommes dans l’affirmation d’une identité qui a été lacérée et qui est réparée par le biais de la musique (…) Nous sommes en présence de gens qui ont inventé une musique, qui l’ont codifiée et cette musique est devenue internationale. Je n’ai jamais côtoyé (avant eux), des gens qui avaient inventé une musique », insiste Claudy Siar.

Selon le journaliste de RFI, un intime du groupe Kassav’, Jacob Desvarieux sera inhumé le 7 août 2021 à Saint-François, en Guadeloupe. Ses obsèques se dérouleront dans « la plus stricte intimité », peut-on lire sur les réseaux sociaux de la formation. Cependant, les fans africains pourront suivre la cérémonie religieuse sur les chaînes Youtube et Facebook du groupe. 

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