- C’est un terme assez méconnu du grand public : le « masculinisme » s’impose peu à peu dans les médias
- Longtemps cantonné aux sphères féministes militantes, le terme de démocratise, notamment dans le dernier rapport du Haut Conseil à l’Egalité
- Son apparition dans la presse est aussi le signe d’une plus grande prise en considération des cyberviolences comme étant de « vraies » violences, y compris hors-ligne
C’était un terme plutôt réservé à la sphère féministe, connu parmi les militantes et celles qui en ont été victimes : le mot « masculiniste » est partout depuis plusieurs mois, particulièrement dans la sphère médiatique. D’autant que dans le dernier rapport annuel du Haut Conseil à l’Egalité (HCE) publié il y a quelques jours, sur l’état des lieux du sexisme en France, pointait directement cet antiféminisme et ses conséquences en ligne et hors-ligne. « Les « raids » masculinistes se multiplient en ligne pour réduire les femmes au silence ou les discréditer. Au cœur des violences sexistes et sexuelles, la haine misogyne en ligne, le cyberharcèlement et le cybersexisme (injures, menaces de violences et de mort, propositions indécentes, insultes, persécution) auraient déjà été expérimentées par 73 % des femmes dans le monde selon l’ONU » explique ainsi le rapport.
💥 Le Haut Conseil à l’Égalité vient de publier son rapport annuel sur l’état du sexisme en France. Aggravation des violences sexistes, permanence des stéréotypes masculinistes chez les hommes (et notamment les – de 35 ans) et phénomène de backlash, c’est glaçant… @HCEfh pic.twitter.com/DJbTC17OnS
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Si le terme de « masculinisme » entre dans le discours médiatique, il faut d’abord réussir à l’expliquer. La pensée masculiniste est une idéologie regroupant une myriade de mouvements et communautés, principalement présentes en ligne, qui ont pour but de lutter contre les attaques que pourraient subir les hommes. Dans ce qu’on appelle la « manosphère », cette galaxie de sous-communautés masculines, on retrouve à la fois des célibataires involontaires (les incels), des hommes ne souhaitant plus côtoyer des femmes (MGTOW), des coachs en séduction ou des militants pour les droits des pères… Un écosystème qui multiplie les théories du complot et les appels à la violence envers les femmes. Dans son dernier rapport, la Miviludes appelait à la vigilance sur ces mouvements et leurs stages guerriers. Pourtant, comment se fait-il que ce terme soit resté en dehors des sphères médiatiques pendant si longtemps ?
Un terme qui fait son chemin dans les rédactions, à la faveur d’une nouvelle génération
Pour Chloé Thibaud, autrice et journaliste à Simone Media, « depuis que j’ai commencé mon éducation féministe il y a cinq ou six ans, c’est un terme que j’ai croisé d’abord à travers les réseaux sociaux, mais comme un paquet de termes, sur des comptes engagés. Mais qui ne vient pas des journalistes généralistes » explique-t-elle. Il y a quelques temps, dans la newsletter Pause Simone, elle retranscrivait sa rencontre avec un masculiniste. Chloé Thibaud fait partie de cette génération de journalistes qui ont grandi avec les réseaux sociaux et les mouvements féministes 2.0, qui ont vécu le #MeToo à l’âge adulte et ont bien vu venir le backlash. Il y a quelques semaines, la journaliste Alicia Mihami a signé un article pour TV5 Monde sur Andrew Tate, retraçant le parcours de l’influenceur masculiniste. « Il y a quelques années, ça n’aurait pas été possible de faire ce genre de sujets. C’est aussi parce qu’on entre dans les rédactions, qu’on se bat pour faire avancer ces choses-là » développe-t-elle.
Dans son rapport, le HCE énumère les nombreuses campagnes de dénigrement et les cyberviolences vécues par les femmes en ligne, comme dans l’affaire Johnny Depp/Amber Heard ou à travers les propos violents de l’influenceur masculiniste Andrew Tate. Ces exemples, appuyés par les travaux de la journaliste Lucie Ronfaut et de l’autrice et militante Rose Lamy, montrent que les instances officielles, comme le HCE ou bien les médias généralistes, prennent (enfin) en compte ce qui se passe en ligne. Car les cyberviolences (cyberharcèlement, violences sexistes et sexuelles, intimidation…) sont dans le continuum des violences de la « vraie vie ». Pour Alicia Mihami, l’utilisation du terme « masculiniste » par les médias est aussi un signe d’une meilleure connaissance des réseaux sociaux de la part des journalistes. « C’est un terme qui vient plutôt des réseaux, des comptes féministes sur Instagram. Et qu’on voit déjà dans les médias anglosaxons depuis un moment » ajoute-t-elle.
Expliquer pour ne pas banaliser
La multiplication du terme « masculiniste » a de quoi rappeler le parcours du terme « fémincide » : d’abord issu des sphères militantes, il est devenu un mot du langage courant. « Je pense que ça s’inscrit dans le même mouvement que de nommer les choses : un masculiniste, c’est pas juste un misogyne. C’est rentrer encore plus profondément dans un système de radicalisation » explique Alicia Mihami. Car oui, le terme masculiniste désigne une idéologie bien spécifique, et n’est pas l’équivalent du mot « misogynie » ou d’un supposé équivalent masculin du féminisme. « Ce qui me fait un peu peur, c’est justement la banalisation du terme, et que dans l’esprit des gens cela soit l’équivalent masculin du féminisme » souligne Chloé Thibaud. « On est toujours dans un travail de dédiabolisation du féminisme : c’est encore considéré comme un mot militant et qui n’est pas neutre » ajoute-t-elle.
Un vrai travail journalistique attend les médias, désormais, selon Alicia Mihami. « Je pense que maintenant qu’on a identifié ce phénomène, on va continuer à utiliser ce terme, et cela passe par des jeunes journalistes qui s’y connaissent. C’est un terme qui a besoin de rester » détaille-t-elle. D’autant plus si les instances officielles s’emparent du terme et du sujet, comme le HCE. « Il faut reconnaître le travail des associations, des féministes plus largement, mais il manque toujours un effort politique. Car une des sources des violences, c’est justement cette pensée masculiniste » défend Chloé Thibaud. Cette dernière se dit « pas très optimiste » sur l’avenir et sur le traitement des rhétoriques masculinistes : « chaque fois que des mots apparaissent, ils sont tournés en ridicule, et on ne fait pas état de leur dangerosité » soupire la journaliste. Mais cette fois-ci, ce sera différent ? Parler de masculinisme, c’est aussi expliquer sa portée, ses sous-communautés, ses stratégies politiques et idéologiques. Un nouveau défi pour les médias.
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