- L’action du Spasfon sur la douleur
- Un service médical rendu jugé "faible" par la HAS
- Une prescription à tour de bras qui retarde le diagnostic
- Spasfon : une utilisation qui ne doit pas être diabolisée
“Le Spasfon n’a jamais démontré d’efficacité au-delà de l’effet placebo, en gros c’est largement insuffisant pour des règles franchement douloureuses”, tweete @DocMarmottine, le 26 juillet 2022.
Sur le réseau social à l’oiseau bleu, le médicament se trouve régulièrement la cible de tweets témoignant de son inefficacité dans les cas de dysménorrhées. Et un tel déferlement s’explique : le Spasfon est connu de toutes les femmes qui ont déjà expérimenté les douleurs de règles.
« Quasiment inoffensives », ces petites gélules rosées sont parfois ingurgitées à la moindre crampe. Et les médecins n’ont que peu d’hésitation au moment de le prescrire à une femme souffrant de dysménorrhées. Allant jusqu’à, dans certains cas, négliger complètement l’approche diagnostique.
Pourtant, dans son avis du 26 décembre 2018, la Haute Autorité de Santé est formelle : “le service médical rendu par les spécialités SPASFON reste faible” s’agissant du “traitement symptomatique des manifestations spasmodiques douloureuses en gynécologie”. En clair, la plus haute autorité sanitaire affirme qu’il y a peu de chances pour que le Spasfon solutionne les douleurs de règles.
De son côté, UFC-Que Choisir, en collaboration avec 60 millions de consommateurs et l’Association Française de l’Industrie pharmaceutique (Afipa), le classait en 2015 parmi les médicaments à prendre « faute de mieux », dû à son « efficacité faible ou non prouvée ».
Pourtant, quelques réponses au tweet de la médecin attestaient d’un effet bénéfique de l’antispasmodique face aux douleurs de règles. Alors qu’en est-il vraiment ? Deux médecins nous répondent.
L’action du Spasfon sur la douleur
Sa popularité confère au Spasfon le titre de « médicament bonbon » des règles. En 2013, il était le cinquième médicament soumis à la prescription médicale facultative le plus vendu en France, selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Commercialisé depuis 1993, il est disponible sans ordonnance et même remboursé par la Sécurité sociale.
De la famille des antispasmodiques, comme le sont les Spasmocalm, Débricalm ou Buscopan, le Spasfon “lutte contre les contractions anormales et douloureuses de l’intestin, des voies biliaires, des voies urinaires et de l’utérus”, informe Vidal.fr.
Ses principes actifs sont le phloroglucinol et le triméthylphloroglucinol, deux molécules qui “lèvent le spasme au niveau des fibres musculaires intestinales, et à l’intérieur de l’utérus”, précise Dr Thiers-Bautrant, gynécologue. Autrement dit du sucre, du lactose, et du blé.
Les spasmes étant des contractions brusques et incontrôlées, il semble inéluctable qu’un antispasmodique puisse soulager les douleurs utérines. Mais en réalité, “le Spasfon n’agit que sur un aspect de la douleur”, contrecarre la gynécologue.
Les concernées peuvent en témoigner : les dysménorrhées seraient supportables s’il était si simple de les localiser. Elles peuvent aussi se manifester par une souffrance au niveau des hanches, de la partie inférieure du dos ou des cuisses. Ce à quoi le Spasfon n’est pas habilité à répondre. Alors ajouté presque automatiquement à l’ordonnance en cas de règles douloureuses, le Spasfon peut avoir, au vu des témoignages, un effet très déceptif.
Un service médical rendu jugé « faible » par la HAS
D’autant qu’il n’existe pas foule d’études prouvant les véritables bienfaits du Spasfon. Ce qui, selon le Dr Thiers-Bautrant, peut s’expliquer par l’inoffensivité du médicament. Seuls les allergiques au blé, au phloroglucinol, au triméthylphloroglucinol et les intolérants au galactose doivent s’en tenir éloignés.
“Il existe tout de même quelques méta analyses ayant prouvé que le Spasfon n’était pas très efficace”, observe la gynécologue. Dans son rapport de commission du 6 février 2008, la HAS précise d’ailleurs la classification “Faible” du Spasfon s’agissant du service médical rendu. “Aucune recommandation ne préconise l’utilisation d’antispasmodiques lors d’une douleur pelvienne quelque soit son étiologie (dysménorrhées, endométriose, pose de stérilet …). Ces spécialités doivent être considérées comme un traitement d’appoint”, poursuit l’institution.
“Personnellement, je n’en prescris jamais, confie la gynécologue, qui admet en proposer lors d’une pose de stérilet. Selon elle, s’il ne s’agit pas d’une faute en soi de recommander son utilisation, le Spasfon ne doit pas être utilisé comme un pansement sur une jambe de bois. “Sur une endométriose, par exemple, il n’a aucune chance d’être efficace. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on découvre qu’il n’y a pas d’endométriose que l’on ne doit pas traiter le mal dans son fondement”.
Et c’est d’ailleurs tout l’enjeu de cet engouement récent autour du Spasfon : montrer que sa prescription “au cas où” ne peut pas remplacer une véritable étude de l’étiologie des règles douloureuses. “En aucun cas, la prescription du Spasfon peut se substituer à une démarche diagnostique”, corrobore le Dr Kierkez, médecin urgentiste.
Une prescription à tour de bras qui retarde le diagnostic
“J’avais tout le temps des douleurs au bas ventre. Un jour, on m’a diagnostiqué une polionéphrite, et le médecin aux urgences m’a simplement prescrit du Spasfon. Je lui ai dit que ça ne faisait rien, il m’a dit d’en prendre deux ou deux et demi”, témoigne Helena.
De tous les témoignages liés au Spasfon effeuillés, un sentiment commun ressort : “On ne m’a pas écoutée”. Car avant même de pointer l’efficacité médiocre du comprimé sur leurs douleurs, c’est leur prise en charge négligente que condamnent de nombreuses femmes.
“Le premier jour de mes règles, je pouvais estimer ma douleur à 10, avec pleurs et vomissements. On m’a prescrit du Spasfon, du Doliprane et de l’Ibuprofène en me disant que ça passerait avec le temps”, raconte Ella. Finalement, un nouveau gynécologue lui diagnostiquera plus tard une pathologie génétique proche du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK).
“C’est un refus de prise en charge de la douleur, s’indigne le Dr Thiers-Bautrant. C’est épouvantable et inacceptable qu’une femme puisse avoir des douleurs qui l’empêchent de vivre même 2 à 3 jours dans le mois”. D’après elle, dès lors que les règles s’accompagnent de douleurs violentes, de nausées, de vomissements, et qu’elles entraînent, par exemple, un absentéisme professionnel, il faut nécessairement approfondir les recherches.
Et cet accompagnement médical insuffisant pourrait bien cacher des relents sexistes. “Trop longtemps, on a fait croire aux femmes que la douleur était un symptôme psychologique. En gros, c’est dans leur tête”. Dans un article du New York Times publié en 2018, la journaliste Camille Noe Pagán théorisait l’idée selon laquelle la douleur des femmes était souvent minimisée par le corps médical.
« Médecins et infirmièr(e)s prescrivent moins de médicaments contre la douleur aux femmes que les hommes après la chirurgie, même si les femmes signalent des niveaux de douleur plus fréquents et plus sévères (…) Elles ont aussi plus tendance à se faire dire que leur douleur est ‘psychosomatique’ ou influencée par une détresse émotionnelle”, avait réagi le Dr Tia Powell, une bioéthicienne et professeure d’épidémiologie clinique et de santé de la population au Collège Albert Einstein (New-York).
S’agissant des règles douloureuses, un mal essentiellement féminin, c’est d’autant plus marquant. “Considérer que les règles douloureuses sont normales, c’est ça qui n’est pas normal”, martèle le Dr Kierzek.
Spasfon : une utilisation qui ne doit pas être diabolisée
S’il est fondamental de déculpabiliser les femmes réfractaires au Spasfon, il n’est pas non plus question d’invalider le témoignage de celles qui l’utilisent. Car s’il n’est pas retiré de la vente, et encore prescrit par pléthore de soignants, c’est bien qu’il a su faire ses preuves.
“Un service médical faible ne veut pas dire néant, argumente le médecin. N’étant pas dangereux, il peut être intéressant de le prescrire pour que la femme puisse le tester”.
Alors, jugé peu efficace contre les règles douloureuses par la science, le Spasfon pourrait-il alors agir comme un placebo ? Très certainement, confirment les Drs Thiers-Bautrant et Kierzek. Mais d’après le médecin urgentiste, c’est un enjeu qu’il convient de relativiser. “En médecine, il ne s’agit pas d’être dogmatique. Il a été prouvé que l’effet placebo a un pouvoir d’auto-guérison sur le corps, car il peut jouer sur les hormones du stress. Si une femme à la mémoire de sa douleur, alors le Spasfon peut avoir un effet psychologique bénéfique”.
Plus mesurée, le Dr Thiers-Bautrant corrobore. “Disons que, si ça marche grâce à l’effet placebo, c’est déjà ça de pris. Je pense d’ailleurs que les soignants comptent sur ce phénomène pour éviter l’escalade thérapeutique, dans le cas des dysménorrhées ». La gynécologue ajoute que cette méthode peut être adaptée lorsqu’une jeune fille a ses premières règles. “À ce moment-là, jouer sur l’effet placebo peut-être intéressant”.
Les deux médecins en profitent pour rappeler qu’un Spasfon ingéré seul a peu de chances d’agir. Tout est une question d’association : “Dans le cadre de douleurs dites mineures, il peut être associé à du Doliprane, des anti-inflammatoires ou de l’Ibuprofène pour être efficace. Quand la souffrance est plus sérieuse, on (les professionnel.lles de santé) ajoute en complément du Tramadol ou des morphiniques à l’ordonnance ».
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